vendredi 2 novembre 2007

Piège de cristal (Die Hard)


Il suffit parfois d’un rien, comme le génie d’un cinéaste, pour transformer un matériau brut en véritable pépite d’or. L’un des exemples les plus frappants à ce niveau est et restera sans doutes des années encore Piège de cristal.

Petit retour en arrière : à la fin des années 80, le cinéma d’action (et les box-office aussi par ailleurs) sont dominés par deux types de héros sans peurs et sans reproches, aux corps d’athlètes et capables de détruire une armée entière à la seule force d’un cure-dents et d’un lacet (associés, ils peuvent même former une arme de destruction massive). Ce type d’héros, dont Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger sont les représentants les plus célèbres, vont souvent d’eux-mêmes au devant du danger, sans broncher et avec pour seul objectif de sauver le monde d’une immense attaque terroriste, de sauver un peuple opprimé par un tyran ou, tout simplement, de sauver sa fille kidnappée par un vilain méchant (ah Commando…). Arrive alors le scénario de Piège de cristal, titre original Die Hard (basé sur le roman Nothing lasts forever de Roderick Thorp), qui reprend les mêmes principes d’action que les autres films du genre, autrement dit un dur à cuire qui butte du méchant et sauve des innocents. On propose alors le scénario à John McTiernan, qui le refuse le trouvant trop stupide et se concentrant sur son prochain film… Commando 2 avec Schwarzy. Ce dernier rejete l’idée de la suite, et McTiernan finit par céder à Die Hard en se disant que, d’une manière ou d’une autre, il pourrait sauver les meubles. Tour à tour, Schwarzenegger, Stallone, Burt Reynolds et même Richard Gere sont contactés pour jouer le rôle de McLane, sans succès. McTiernan opte alors pour Bruce Willis, qui connaît un joli succès dans la série Clair de lune, et un inconnu dont ce sera le premier long métrage, Alan Rickman, pour jouer le bad guy de service. Le choix de Willis va rapidement s’avérer payant : outre le fait d’avoir conseillé Bonnie Bedelia dans le rôle de sa femme, Willis apporte son humour et sa fraîcheur au personnage de McLane, faisant de lui l’exact opposé des autres héros de film d’action en se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment et préférant alerter la police plutôt que d’agir seul. Si le scénario s’improvise ainsi tout au long du tournage, McTiernan soigne très attentivement sa mise en scène, de la conception des maquettes aux effets visuels novateurs, sans se fixer de limites (les explosions extérieures du bâtiment sont ainsi de véritables explosions et non pas des miniatures).

A sa sortie, c’est le carton : Piège de cristal pulvérise tout au box-office, un nouveau type de héros (efficace mais non dénué d’humour cynique et de bons mots) est né et donnera lieu à quelques émules même chez les anciens (le très moyen Demolition Man pour Stallone et l’excellent True Lies pour Schwarzy) tout en glorifiant Bruce Willis au panthéon des stars bankables et talentueuses. Pour l’anecdote, le film connaîtra un petit problème en Allemagne, les noms et nationalités des terroristes devenant irlandaises et non plus allemandes ; la raison est qu’à l’époque, le terrorisme allemand (la Rote Armee Fraktion, ou Bande à Baader selon les appellations) était très problématique en Allemagne, et on ne souhaitait pas attiser un peu plus les ennuis au sein du pays déjà troublé en ces années de plomb.

Toujours est-il qu’à l’heure actuelle, Piège de cristal reste un référence en la matière, pour ne pas dire une véritable leçon de cinéma d’action donnée par le plus que talentueux John McTiernan. Ayant su réduire son récit au minimum vital, McTiernan a réussi à transformer une vulgaire prise d’otages en un thriller passionnant, le cinéaste a réussi un tour de force digne de son précédent film, Predator, qui redéfinissait déjà le cinéma d’action des années 80 en illustrant un Schwarzenegger en proie aux doutes car tombé sur plus fort que lui. Dans le même esprit, McTiernan continue sa réflexion sur l’homme sauvage face à l’homme civilisé : après le retour à l’état sauvage pour la survie dans Predator, McTiernan illustre comment un homme s’adaptant à son domaine (il fabrique une bombe avec un ordinateur) alors qu’il n’y est préalablement pas à l’aise (la séquence de l’écran tactile) parvient à se débarrasser de ces terroristes high-tech. Ce n’est pas un hasard de voir les scènes d’actions se dérouler dans un étage en construction, une pièce remplie d’antiquités ou un final au milieu d’un étage transformé en jungle en feu. Parallèlement à cet emploi intelligent de ses décors, McTiernan sait aussi exploiter les endroits les plus insolites pour créer de la tension : de la cage d’ascenseur aux conduits d’aération, chaque lieu est pleinement utilisé avant de passer au suivant. Le cinéaste démontre ainsi quelle importance un décor peut avoir sur un récit qui, il est vrai, s’avère au final être du déjà vu et parfois même prévisible. Il ne faudrait pas au passage oublier l’intelligence du montage, notamment dans ces scènes de discussions radiophoniques entre McLane et Gruber filmées en champ/contrechamp (du moins c’est l’impression qu’on a) alors qu’ils ne se trouvent jamais (forcément) dans la même pièce.

Le second point fort du film, et tout le monde l’aura bien compris puisqu’il sera réutilisé dans les trois suites de la saga, est sans conteste Bruce Willis. Musclé, il n’affiche pourtant pas els physiques de culturistes de Stallone ou Schwarzy ; contrairement à ses deux amis, il privilégie la réflexion à l’action ; enfin, et c’est sans doute le plus important, il ne manque jamais l’occasion de placer un bon mot, que cela soit de l’autodérision (parmi les héros du western comme John Wayne il se dit fan de Roy Rogers) ou simplement de l’ironie (comme cette scène dans le conduit d’aération « Viens à Los Angeles, on passera noël en famille, on fera la fête… »). Cet humour associé à celui de McTiernan, qui n’hésite pas à employer l’Ode à la joie de Beethoven pour illustrer un casse, fut sans doute l’élément-clé qui assura le succès au film en plus de ses scènes d’actions admirables et d’un scénario réduit à l’essentiel (on parle très peu des problèmes personnels des héros). Face à lui, l’excellent Alan Rickman compose l’un des meilleurs méchants au cinéma d’action, qui ne trouvera d’égal qu’avec Jeremy Irons dans Die Hard 3, lui aussi réalisé par McTiernan.

Avec un script qui aurait découragé tout réalisateur sensé et un casting composé de valeurs peu ou pas sûres du tout, John McTiernan a réussi à imposer son univers et ses thèmes dans une œuvre de commande calibrée blockbuster, sans se fourvoyer dans la facilité ou au minimum syndical. Le talent du cinéaste conjugué au charme de son acteur principal, devenu depuis l’une des valeurs les plus sûres du cinéma qu’il soit populaire ou d’auteur, a permis à Piège de cristal d’entrer dans la légende (pour preuve, il est le seul film d’action brute des années 80 à bien vieillir) et de créer une foule d’admirateurs qui ont un jour tenter de copier la recette, sans le succès de l’œuvre originale. N’est pas un surdoué qui veut.

Note : *****

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