vendredi 9 novembre 2007

Le bon, la brute et le truand (Il buono, il brutto e il cattivo)


Alors qu’il nous avait gratifié des deux westerns spaghettis les plus réussis qu’il y ait eu, Sergio Leone n’avait pas dit son dernier mot en 1966 et voulait clôturer sa période western avec faste : c’est ainsi qu’il lança l’idée du Bon, la brute et le truand.

Eh oui, pour Leone, ce film devait être le dernier du genre qu’il devait tourner. Restait à savoir quoi y dire. La véritable origine du film, on en ne la connaît pas, mais deux versions existe : la première est que le script serait une idée de Luciano Vincenzoni, la seconde serait que Leone, grand admirateur de Céline, repensa au discours final de Monsieur Verdoux où ce dernier accablait les gouvernements de faire la guerre. Quoiqu’il en soit, Leone voulait aborda ce film avec beaucoup de conviction, notamment due à son enfance passée sous le régime fasciste et à sa volonté de démystifier un peu plus l’Ouest américain. Ne suivant pas les conseils d’Orson Welles, qui mit en garde Leone qu’un film sur la Guerre Civile était un échec assuré au box-office, Leone s’appliqua donc à réaliser son western ultime, qui pour la peine devait être parfait. Il bénéficia pour la peine de l’aide de l’armée espagnole, dont 1500 soldats furent employés comme figurants mais aussi décorateurs, puisqu’ils construisirent non seulement le cimetière avec 10 000 tombes mais aidèrent aussi à la destruction puis à la reconstruction et à la redestruction du pont (à cause d’un quiproquo, la première explosion eut lieu sans qu’aucune caméra ne tourne). Côté casting, après le désistement de Charles Bronson pour les rôles de Tuco et Sentenza, et le presque refus d’Eastwood (dont la célèbre phrase « Si ça continue, je vais finir dans un détachement de cavalerie » explique son point de vue) de partager l’affiche avec deux autres acteurs, Sergio Leone du se résigner à reprendre Lee Van Cleef, même si le cinéaste craignait les réactions du public quant au personnage du Colonel Mortimer dans le précédent film (Le bon, la brute et le truand devant logiquement être le prologue de la trilogie) et choisit Eli Wallach pour le rôle de Tuco (bien qu’initallement, Gian Maria Volonte était prévu), non pas pour son rôle dans Les sept mercenaires comme le veut la légende mais bien pour sa petite apparition dans La conquête de l’Ouest qui fit hurler de rire Leone. Le cinéaste opta aussi pour une technique particulière (le Techniscope, qui consiste à filmer sans lentille anamorphique (nécessaire au Cinémascope) et pouvait donc utiliser la moitié de la pellicule seulement ; il pu ainsi placer deux cadres widescreen sur une seule pellicule 35 mm) et une approche très documentée : chaque détail est ainsi authentique, du canon à l’arrière des trains aux longs manteaux en passant par le camp de prisonniers, inspiré du camp d’Andersonville que Leone a renommé, non sans ironie, Betterville… Hélas, Leone ne pu contrôler la post-production, et si la version italienne dure près de 3 heures, la version anglaise fut ramenée à 2h28, et c’est ce montage qui fit le tour du monde jusqu’au début des années 2000, où la version complète fut présentée, les doublages des scènes rajoutées étant faites par Clint Eastwood et Eli Wallach en personne…

« Ce qui m'intéressait dans le film était, d'une part, de démythifier les trois adjectifs et, d'autre part, de montrer l'absurdité de la guerre. Qu'est-ce que "bon", "brute" et "truand" signifient? Nous avons tous quelque chose de bon, de mauvais et de laid en nous. Certaines personnes paraissent vraiment horribles mais quand on apprend à les connaître, on réalise qu'elles valent mieux que ça. Quant à la Guerre Civile que les personnages rencontrent sur leur chemin, pour moi, c'est une chose stupide et inutile. On y trouve pas de "bonne cause"... Je montre un camp de concentration du Nord en pensant aux camps nazis avec leurs orchestres juifs. Tout ceci ne veut pas dire qu'il n'y a pas lieu de rire dans le film. Derrière ces aventures tragiques se cache un esprit picaresque » : ainsi Leone décrivait-il son film, à juste titre. Jamais un de ses films n’aura été si virulent, si ironique, si dramatiquement drôle, violent et universel : le camp de prisonnier ne fait-il pas référence aux camps juifs pendant la Seconde Guerre ? Anarchiste (aucun camp n’a raison ni de bons côtés, et l’Eglise est tournée en ridicule avec le frère de Tuco qui ne vaut guère mieux que son bandit de frangin), le film s’articule bien évidemment comme une course effrénée à la fortune, qui ferait presque penser à un buddy-movie dans la relation Blondin-Tuco, mais ne manque jamais de s’attarder sur l’univers qui entoure nos antihéros, celui de la Guerre de Sécession.

Au point de vue stylistique, Leone est à son apogée (qu’il conservera encore dans ses prochains films) après s’être fait la main sur ses deux premiers westerns, et exploite pleinement ici les codes du western-spaghetti avec ces personnages types, ces gros plans, cette démystification de tout et, surtout, cette musique signée Morricone. Le film fut ainsi comparé à un opéra baroque, mais Leone s’en défend en le voyant plutôt comme un concerto : « Il n’y a aucun réalisme dans l’opéra. C’es autre chose… Ici, chaque personnage à son thème musical. Et il est aussi un instrument de musique qui sert mon écriture. Dans ce sens, je joue beaucoup sur les harmonies et les contrepoints. J’opère une musicalité qui doit renforcer autant la fable que la réalité. C’était nécessaire à cause des difficultés attachées aux films décrivant un voyage. Je représente le parcours de trois entités qui sont des amalgames de tous les défauts humains. Je dois épurer ce voyage. Et il me faut des crescendos et des « clous spectaculaires » qui restent cohérents avec l’esprit général de l’œuvre. Alors, la musique a pris une importance capitale. Elle devait être complexe, avec l’humour et le lyrisme, le tragique et le baroque… ». La complicité entre le cinéaste et le compositeur semble elle aussi à son paroxysme, comme elle le sera pour Il était une fois dans l’Ouest et Il était une fois en Amérique, et il est devenu impossible de ne pas revoir le film dès que l’on entend son célèbre hymne inspiré de cris d’hyènes. Une telle osmose dans le cinéma, cela n’arrive que très rarement.

Il existe, en outre, une quantité de scènes inoubliables dans ce film : le camp de prisonniers et la torture de Tuco, la course effrénée de ce dernier dans le cimetière, l’épisode du désert… Autant d’épisodes ayant marqués à jamais l’Histoire du cinéma, parfois rallongées par cette fameuse version longue à présent disponible (qui n’a pour véritable but que d’éclaircir certains points, qui ne le nécessitaient pas vraiment pour comprendre le reste du film). Il y a cependant une séquence, devenue incontournable, qui mérite une attention toute particulière : le duel final. « Duel n’est pas le mot juste. Peut-on dire « triel » ? En fait, c’est un duel multiplié par trois puisqu’ils sont trois à se faire face ! Au départ, il me fallait un décor d’arène, un cimetière qui puisse évoquer le cirque antique. (…) L’idée d’arène était capitale. Avec un clin d’œil morbide puisque c’étaient les morts qui regardaient ce spectacle. J’ai même tenu à ce que la musique puisse signifier le rire des cadavres à l’intérieur de leur tombe… » Leone ajoute : « Je m’étais appliqué à étirer le temps, à jouer sur la musique et à définir un découpage imparable : gros plan, plan moyen, plan d’ensemble… Je devais connaître le moindre détail avant de placer la caméra. Les trois premiers gros plans de chacun des acteurs nous ont pris toute une journée. »

Succès tant critique que public, Le bon, la brute et le truand n’a pas pris une ride en 40 ans, et c’est avec chance que Vincenzoni ne pu jamais monter la suite qu’il avait écrite (Leone s’y opposa, même avec un autre réalisateur aux commandes) : cela contribue au charme intemporel et universel de ce film devenu un chef-d’œuvre, ni plus, ni moins.

Note : *****

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