lundi 17 novembre 2008

Le fantôme de l'opéra (The phantom of Opera)


Carl Laemmle. Drôle de nom, mais grand bonhomme : il fut en effet le fondateur du mythique studio Universal. Quel intérêt ? Eh bien c’est grâce à lui, à son bras droit Irving Thalberg (autre grand producteur) et à son fils (Carl Laemmle Jr) que l’on doit de grands noms du cinéma (John Ford, Erich Von Stroheim, Harold Lloyd, Mary Pickford et Lon Chaney) mais surtout un véritable âge d’or du cinéma fantastique, dont Le fantôme de l’opéra de Rupert Julian fait assurément partie en l’inaugurant.

A ce titre, Le fantôme de l’opéra est le seul film de l’âge d’or du fantastique que produira Carl Laemmle senior, puisque c’est son fils qui s’occupera des productions de La momie, Frankenstein, Dracula, La fiancée de Frankenstein ou L’homme invisible. De même, on attribue souvent la réalisation du film à Rupert Julian, mais il faut savoir qu’Edward Sedgwick (aujourd’hui connu pour ses collaborations avec Buster Keaton) a réalisé plusieurs séquences après que Julian, justement, n’aie quitté le plateau après s’être engueulé avec l’équipe du film. Autre anecdote, le film fut une « Jewel Production » : contrairement aux autres majors, Universal ne disposait pas en son temps d’une chaîne de cinéma (malgré le fait que Laemmle ait commencé dans les nickelodéons) et Laemmle avait alors imaginé en 1916 un système de classifications pour que les propriétaires de cinéma s’y retrouvent : il y avait ainsi les Red Feather (pour les cinémas petits budgets), les Bluebird (le plus courant) et les Jewel (les productions prestigieuses) ; le studio abandonna cette idée en 1929 lorsque Carl Laemmle Jr deviendra le boss.

Plus de 80 ans plus tard, il est bien évident que cette adaptation du roman de Gaston Leroux ne fait plus vraiment peur. Le film ne bénéficie pas non plus d’effets spéciaux mémorables comme L’homme invisible, ou d’un message aussi fort que Frankenstein. Alors qu’est-ce qui fait encore son charme ? Deux choses : l’innovation technique que le film représente, et surtout la présence magnétique d’un des plus grands acteurs du muet : Lon Chaney.

Lorsque Le fantôme de l’opéra est réalisé, il convient de rappeler aux plus étourdis que le cinéma est encore en noir et blanc. Pourtant, le film contient à l’origine plusieurs séquences en couleur ! Deux procédés furent utilisés : le Technicolor pour la scène de Faust et celle du bal masqué, et le Handschiegel (une technique reposant sur le coloriage à la main) pour la cape du fantôme lors de la séquence sur le toit. Voir un film muet en couleur, plutôt surprenant ! Et le film fut un tel succès qu’en 1929, on utilisa la récente utilisation du son pour créer près de 40% de film en son synchrone (le reste demeurant un accompagnement lors des projections). A noter que Lon Chaney ne put doubler, par faute de temps, son personnage.

Lon Chaney donc, qui constitue le deuxième attrait essentiel du film. L’ « homme aux mille visages » était réputé pour être un grand perfectionniste et, surtout, quelqu’un aimer jouer de la souffrance de son corps pour donner une dimension supplémentaire à son personnage. C’était en outre un grand artiste puisqu’il créa pour le film son propre maquillage. L’idée était de ressembler à un crâne : il commença d’abord par coller une fine peau de poisson à son nez, le tira jusqu’à ce qu’il obtienne l’effet qu’il désire et collait l’autre extrémité sur son crâne masqué par le faux crâne chauve (pour certaines prises, Chaney remplaçait la peau par du fil et du caoutchouc, ce qui occasionna beaucoup de coupures et de saignements de l’acteur), il rempli ensuite ses joues de coton, colla ses oreilles en arrière et mis de la membrane d'œufs sur ses globes oculaires pour leur donner un regard nuageux. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’effet est saisissant ! Et permet à Chaney de s’effacer totalement derrière son personnage, pour notre plus grand bon heur : incontestablement, il domine tous les autres acteurs du film, par un jeu subtil, tantôt délicat tantôt schizophrène, un jeu très moderne pour l’époque qui fait qu’aujourd’hui encore, il n’a presque pas vieilli.

La performance de Chaney est telle qu’on ne peut blâmer le reste du film ; on pourrait se plaindre d’un scénario parfois confus (certaines ellipses sont gênantes), et d’une réalisation somptueusement baroque mais ne profitant pas assez des innovations techniques de la caméra (travellings, etc.) pour rendre le film un peu plus vivant.
Toujours est-il que Le fantôme de l’opéra sera un succès colossal, notamment grâce à Lon Chaney ; c’est sans doute une performance égale à celle de ce dernier qui manquera aux adaptations suivantes, et qui fait que la version de 1925 reste un incontournable du genre.

Note : ***

0 Comments: