lundi 24 septembre 2007

Qui veut la peau de Roger Rabbit (Who framed Roger Rabbit)

On peut lui faire des reproches, mais force est de constater que Robert Zemeckis a toujours eu un don pour se surpasser en matière de divertissement bourré d’effets spéciaux, dont le film le plus abouti restera sans doute à jamais Qui veut la peau de Roger Rabbit.

Il ne fut pourtant pas toujours prévu au casting : les producteurs songèrent en effet pendant un long moment à Terry Gilliam, lequel refusa estimant le film bien trop difficile à faire. Zemeckis fut donc appeler à la rescousse, lui qui cartonnait avec son Retour vers le futur. Le défi d’associer acteurs rées et personnages de cartoon était délirant mais déjà abordé dans plusieurs longs métrages des années auparavant (Les trois caballeros, Mary Poppins, L’apprentie sorcière, Peter et Elliott le dragon…). L’équipe se mit donc en marche, et chacun travailla d’arrache-pied à la réussite de ce film : Zemeckis devait ainsi gérer les négociations avec Disney, Warner et Paramount (collaboration qui n’aboutira pas, nous privant d’apparitions de Popeye, Casper ou Tom & Jerry) tandis que Richard Williams, responsable de l’équipe animation, gérait les 326 animateurs nécessaires à la réalisation des 82 080 dessins du film. Bob Hoskins, qui l’avait emporté au choix sur Robert Redford, Harrison Ford, Sylvester Stallone, Jack Nicholson et Ed Harris (Bill Murray fut également évoqué, mais Zemeckis ne pu le rencontrer avant le tournage ; lorsqu’il l’apprit, l’acteur hurla, lui qui aurait accepter sans la moindre hésitation le rôle), observa sa fille jouer avec ses amis imaginaires pour se préparer. Christopher Lloyd lui obtint le rôle après que les producteurs eurent penser à Roddy McDowald et essuyèrent le refus de Christopher Lee.

La conception des personnages ne fut pas des plus faciles : Jessica Rabbit connu ainsi une dizaine de version avant que les animateurs n’optent finalement pour un look à la Veronica Lake et sa célèbre coiffure. Roger Rabbit, le proclamé héros de ce film, fut le plus étudié de tous : outre les nombreux croquis avant de tomber sur le design final du lapin, Richard Williams se démena pour créer le personnage de cartoon parfait : ainsi mélangea-t-il le visage Warner, le corps Disney et la Tex Avery’s attitude pour le corps et l’esprit du personnage ; la salopette de Dingo, les gants de Mickey et le nœud papillon de Porky Pig lui serviraient de vêtements, en rappelant que les couleurs utilisées (vêtement rouge, nœud pap’ bleu et corps blanc) sont les couleurs de l’Amérique…

La prouesse n’a d’égale que son ambition : le film est absolument incroyable, mélangeant prise de vues réelles avec de l’animation à un tel niveau de qualité que le film, dès sa sortie, devait devenir une référence. Heureusement que Zemeckis ne se limita pas aux projections-tests, effectuées sur des ados de 18-19 ans qui détestèrent le film. Le résultat fut grand : 349 millions de dollars de recettes et 4 Oscars : Meilleurs effets spéciaux, Meilleurs effets sonores et Meilleur montage tandis qu'une statuette spéciale est venue récompenser l'impressionnant travail de Richard Williams pour la direction de l'animation et la création des personnages animés. Et le statut de film culte les années passant.

Il faut dire que tous les ingrédients étaient réunis pour faire un succès. Le scénario déjà : fortement inspiré de Chinatown de Polanski, il s’agit d’un habile (et improbable ?) mélange de film noir, comédie, film familial et d’animation avec des clins d’œil pour adultes (la majorité des personnages sont à 99% issus des années 30-40, soit les personnages que l’on a tous connu enfant), mais contrairement aux films précédents du même genre, l’intrigue n’est pas une suite d’épisodes mais bel et bien un tout continu, une véritable intrigue policière dans la lignée des films noirs, et dont l’humour cache à peine des sujets un peu tabous, comme la mainmise des multinationales sur des petites entreprises ou une époque assez sombre des USA où le crime et l’alcoolisme étaient monnaie courante. Il faut dire que les scénaristes ont étudié le sujet : plus de 40 versions du script seront ainsi écrites, variant les méchants (tour à tour Baby Herman, Jessica Rabbit…) et dont quelques gags ont disparus (le juge Demort devait ainsi être reconnu coupable du meurtre de la mère de Bambi !). Reste à se demander ce que la préquelle (intitulée Toon Platoon) valait, le projet n’ayant pas atteint le stade de développement.

Le second point tient sans doute dans le rythme endiablé du récit, mené tambour battant par une réalisation et un montage au couteau, allant à l’essentiel sans oublier de faire un détour rapide mais efficace par la comédie. Zemeckis a le sens du divertissement efficace et cela se sent, rendant autant hommage aux anciens films noirs qu’aux cartoon eux-mêmes. Le mérite est d’autant plus grand qu’il est parvenu, avec l’aide de Richard Williams qu’il faut absolument saluer, à faire cohabiter dans un même film pour la première (et sans doute dernière) fois les personnages de Disney et ceux de Warner en respectant les consignes établies par contrat (Bugs Bunny devait ainsi, contractuellement, avoir droit au même minutage à l’écran que Mickey, ce qui explique pourquoi les entités antagonistes (Bugs/Mickey, Donald/Daffy Duck) se retrouvent en même temps à l’écran).

Enfin, et non des moindres, la performance incroyable de Bob Hoskins, acteur sous-employé si vous voulez mon avis, parvenant à chaque instant à nous faire croire qu’il joue avec ses personnages animés. Alors que certains acteurs éprouvent déjà beaucoup de ml à jouer avec un partenaire réel, Hoskins lui est parvenu à jouer dans le vide, face à un robot ou une poupée, ou encore une croix sur un mur. Une telle prestation ne peut laisser qu’admiratif, puisqu’il parvient malgré cette difficulté à capter l’essence du détective type des années 40, style Humphrey Bogart (alcoolique et acariâtre, parfois violent) sans délaisser l’humour bon enfant. Il en paya aussi le prix : il souffrit ainsi d’hallucinations quelque temps après le tournage et se disputa avec son fils qui lui en voulait d’avoir tourné avec Bugs Bunny et Mickey sans les avoir ramenés à la maison ! Face à lui, Christopher Lloyd, autre acteur sous-employé, retrouve Zemeckis après Retour vers le futur et semble être à l’aise avec le réalisateur, composant un méchant digne des plus grands dessins animés, cartoon et Disney confondus. Enfin, juste pour le plaisir, saluons le professionnalisme de Charles Fleischer, la voix originale de Roger Rabbit, qui n’hésita pas à se rendre chaque jour du tournage sur le plateau déguisé en lapin géant avec salopette rouge et nœud papillon immense (ce qui eut pour conséquence de provoquer plusieurs moqueries au sein de l’équipe, notamment sur la qualité à venir du film !).

Film pop-corn techniquement bluffant, et ce encore à l’heure actuelle, Qui veut la peau de Roger Rabbit a poussé le vice, au-delà de la performance, jusqu’à rendre hommage, mieux jusqu’à s’insérer dans un genre sans se forcer, le renouvelant par la même occasion et proposant pour les plus jeunes une relecture du film noir et, pour les adultes, un plaisir coupable de retomber en enfance. Un grand moment de cinéma.

Note : ****

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