lundi 17 septembre 2007

L'ennemi public (The Public Enemy)


Bien avant le film noir existait le film de gangster, réponse cinématographique à une Amérique en pleine Dépression où de grands noms (Howard Hawks en tête) se sont illustrés. Et si Scarface reste la référence absolue du genre, il ne faudrait pas oublier un autre film essentiel : L’ennemi public de William A. Wellman.

A une époque où les USA vivent malheurs (crash boursier de Wall Street) sur malheurs (la prohibition), la vie criminelle devient vite une échappatoire pour la majorité des gens, et Hollywood ne manque pas de le remarquer. S’associant avec la censure, ils décident d’illustrer ces grands criminels, fictifs ou non (Scarface s’inspire largement d’Al Capone) tout en conservant une ligne directrice qui doit montrer qu’aucun avenir n’existe dans ce milieu, généralement illustré par une mort tragique.

Initialement, ce fut Edward Woods qui obtint le rôle principal, et James Cagney fut retenu pour le rôle du meilleur ami Matt Doyle ; cependant, quand Wellman observa Cagney aux répétitions, il se dit (avec raison) qu’il conviendrait mieux au rôle de Tom que Woods. Parallèlement, Louise Brooks refusa le rôle dévolu à Jean Harlow. Wellman parvint à obtenir l’accord des studios quant à une utilisation inédite de la violence à l’écran : ainsi, il voulait représenter avec réalisme la situation actuelle dans certaines grandes villes. Pour cette dose de véracité, Wellman ne lésina pas sur les moyens : ainsi, l’attaque à la mitrailleuse que subit Cagney fut bien réel, ce fut un tireur d’élite qui fut chargé de tirer sur Cagney dès qu’il disparaîtrait derrière le mur, autrement dit les impacts que l’on voit se dessiner sur le mur sont bien réels. La scène où Tom et Matt vont abattre le cheval responsable de la mort de Sam Nails Nathan fut quant à elle inspirée d’un fait réel. Enfin, la scène la plus probable du film fut quant à elle improvisée selon la légende : Cagney s’amusa ainsi à écraser un pamplemousse au visage de Mae Clarke pour voir la réaction de l’équipe, sans se douter que cette scène finirait dans le montage final. Elle eut trois conséquences : d’abord, la ligue féministe protesta ; ensuite Cagney reçut pendant des années dès qu’il allait au restaurant un pamplemousse offert par le patron, que l’acteur mangeait avec plaisir à chaque fois ; enfin, l’ex-mari de Mae Clarke apprécia tellement cette scène qu’il se rendait tous les jours au cinéma pour voir uniquement cette scène, puis quittait le film ! Ah les hommes…

Cette recherche constante d’audace mêlée de vérité est la clé de la mise en scène de Wellman, relativement épurée quoiqu’un peu teintée d’expressionnisme. Le seul reproche que l’on pourrait faire doit certainement provenir de la Warner, qui imposa (comme la United Artists pour Scarface) une fin politiquement correcte ; Wellman parvient tout comme Hawks a détourné cette obligation mais il ne pu empêcher ses crédits d’introduction et d’épilogue annonçant que « le gangstérisme c’est mal, que la mort et la tristesse attend quiconque franchira cette limite, ne respectera pas la justice, et bla bla… ». Un message qui réduit la puissance tragique du récit en le transformant en simple mise en garde de l’Etat. Cela ne gâche pas pour autant la mise en scène du cinéaste, qui s’emploie à être cru dans sa représentation de la violence sauf exceptions, où Wellman préfère jouer sur la compréhension en écartant sa caméra d’un meurtre ou en laissant ses personnages sortir du cadre et ne laisser entendre que le bruit du coup de feu. C’est sans doute grâce à cette distanciation que Wellman a pu sortir son film, occultant de la sorte des moments bien plus terrible comme la scène finale…

La plus grande satisfaction de ce film demeure néanmoins la performance de James Cagney, qui devenait avec ce film l’icône même du genre : violent, avec une gueule type, psychopathe, la simple scène du pamplemousse démontre toute l’étendue de son talent, et révèle le véritable secret de son jeu : l’imprévisibilité. C’est en effet cette capacité de surprendre à chaque instant, d’être capable de faire n’importe quoi dans la minute qui suit sans que l’on puisse s’en douter qui en faisait le gangster parfait, le criminel endurci effrayant mais humain, attaché à sa mère et capable de tomber amoureux. De fait, ce choix judicieux de la part de Wellman de lui offrir le rôle principal fut un coup de génie, propulsant l’acteur au sommet de sa popularité (même si cela eu aussi pour conséquence de l’enfermer dans ce type de rôle) puisqu’il écrase tout le reste du casting. A croire que Cagney eu bien raison de s’inspirer du gangster de Chicago Dean O’Bannion et de deux truands qu’il connu étant adolescent à New York.

Bien qu’il ait un peu vieilli, comme tous les films du genre d’ailleurs, L’ennemi public reste une référence incontournable dans le cinéma de genre, et la découverte d’un génie de l’interprétation que l’on pourrait presque assimiler à Montgomery Clift, James Dean ou Marlon Brando dans cette faculté de séduire par son côté mauvais garçon. Du grand art.

Note : ****

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