vendredi 14 septembre 2007

Mean Streets


C’est après que John Cassavetes et John Milius lui conseillèrent de revenir, après Bertha Boxcar, à un projet plus personnel que Martin Scorsese décida d’adapter un scénario vieux de 7 ans, écrit alors qu’il était encore à l’université avec son ami Mardik Martin sous le titre Season of the Witchs, qui deviendra Mean Streets (d’après une phrase de Raymond Chandler « Down these mean streets a man must go » qu’un critique proposa au cinéaste).

Après avoir écrit une version concentrée sur le conflit religieux du personnage principal, Scorsese réécrit avec Martin un scénario centré sur le mode de vie de petites frappes de Little Italy, en y insérant des éléments biographiques de Scorsese. Ce que les auteurs ignoraient, c’est que le film allait être des plus délicats à monter : partant avec un budget très réduit, Scorsese connut ses premiers soucis avec les habitants de Little Italy justement, qui s’ils ne s’étaient pas plaint du tournage du Parrain ne voyaient pas celui de Mean Streets d’un bon œil. Scorsese dut parlementer bon nombre de fois, billets verts à la clé (près de 5000 dollars durant les 27 jours de tournage). Et ce n’était qu’un début ! Vu le peu de moyens, Scorsese fut obligé de filmer un maximum caméra à l’épaule et se délocalisa à Los Angeles pour les intérieurs et certains extérieurs. Roger Corman, producteur de Bertha Boxcar, proposa à Scorsese de faire le même film mais avec des personnes noires, pour surfer sur le succès de Shaft et de la blaxploitation ; Scorsese refusa, par intégrité, mais reçut cependant l’aide de l'équipe technique non-syndiquée avec qui il avait tourné Bertha Boxcar. Côté casting, pas facile non plus : si Keitel reste le choix numéro 1 de Scorsese, les producteurs voyaient les choses différemment : une star dans le rôle de Charlie, en l’occurrence Jon Voight, qui déclina finalement le rôle. Al Pacino, à qui fut envoyé le script, ne répondit jamais. Scorsese voulait un casting new yorkais, par souci d’authenticité : c’est alors que Brian de Palma présente Robert de Niro à Scorsese. Le contact se passe bien, les deux artistes ayant grandi dans le même quartier. Dans un premier temps, De Niro refuse le rôle de Johnnie Boy et désire celui de Charlie, mais Scorsese refuse, et De Niro accepte finalement le second rôle. Durant le tournage, une large place est faite à l’improvisation, notamment entre De Niro et Keitel, tandis qu’à la fin du tournage la tension est à son comble entre Richard Romanus et Robert de Niro : Scorsese en profite pour multiplier les prises de la scène où De Niro braque Romanus, jouant de l’animosité entre les acteurs pour créer l’ambiance idéale.

A sa sortie, le film est un succès critique… et un échec public. Cette année-là la concurrence est rude : Orange Mécanique, Délivrance et surtout L’Exorciste qui sort en même temps que Mean Streets. Il y a cependant des choses positives : Scorsese est reconnu comme grand cinéaste, Bertolucci et Coppola contactent De Niro pour 1900 et Le Parrain II tandis qu’Ellen Burtsyn contacte Scorsese pour diriger Alice n’habite plus ici.

Martin Scorsese avoue avoir fait un film largement autobiographique et s’explique sur ses intentions : « C'était une tentative de faire un film sur la manière dont moi et mes amis vivions à Little Italy. Il y a une dimension anthropologique ou sociologique au coeur même du projet. Charlie se sert des autres en pensant les aider. En croyant cela, il ruine tous ses efforts aussi bien envers les autres que lui-même. Quand il se bat avec Johnny dans la rue, il essaie de donner l'impression qu'il le fait pour les autres mais ce n'est qu'une question d'orgueil, le premier péché dans la bible. Ma voix est utilisée en alternance avec celle d'Harvey Keitel pendant tout le film. C'était un moyen pour moi de trouver une paix intérieur. Il est très facile de se discipliner pour aller à la messe tous les dimanches. Ca ne prouve rien. Pour moi, la rédemption ne peut venir que de la façon dont on vit et dont on se comporte avec les autres. » Il est en effet assez évident de reconnaître en Charlie une représentation de Scorsese, comme l’était J.R. dans Who’s that knocking at my door. Le cinéaste n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parle de lui, et il le prouve une fois encore avec Mean Streets, qui pose définitivement les bases de l’univers scorsesien (dans la continuité de son premier film) : les Italos-américains, la famille, l’amitié, la trahison, New York, la mafia et l’incapacité d’un homme à s’insérer dans un univers qui n’est pas le sien (thème parfaitement illustré dans Taxi driver). Un autre thème sous-jacent, lui aussi récurent dans la filmographie du réalisateur, est la démystification du rêve américain : « Mean streets parle du rêve américain selon lequel tout le monde peut croire qu'il va devenir riche un jour. Si on ne peut y arriver par des moyens légaux, on trouvera d'autres moyens. Ce problème concernant les valeurs mêmes de notre société est toujours présent aujourd'hui. »

Techniquement, Scorsese fait déjà preuve, malgré un budget très réduit, d’une virtuosité de chaque instant, avec ses plans-séquences, ses longs travellings ou encore ces ralentis qu’il affectionne tant pour présenter un situation ou un personnage.

A noter enfin que Scorsese a également trouvé sa voie concernant l’utilisation de la musique dans ses films : « J'ai utilisé la musique avec laquelle j'avais grandi. Elle faisait naître toutes ces images. Il fallait gérer le problème des droits. Certains artistes se sont manifestés des années plus tard et Warner Bros a dû les payer. Nous essayions au maximum de les contacter en amont du projet mais pas toujours avec succès. Pour moi, Mean Streets a la meilleur bande son possible parce que ce sont tous des morceaux que j'ai aimé et qui représentait notre manière de vivre. Nous n'hésitions pas à garder les morceaux sur plusieurs minutes dans le film. Pour moi, Mean Streets, c'est "Jumping Jack Flash" et "Be my baby". »

Côté acteurs, les applaudissements sont surtout réservés à Harvey Keitel et Robert de Niro, tout deux incroyables et véritables moteurs du récit. On peut voir en Charlie un prolongement de J.R. du premier film de Scorsese, qui se terminera par le proxénète de Taxi Driver : un homme qui cherche à devenir quelqu’un mais qui n’y arrive pas et sombre donc dans le gangstérisme. De Niro compose un Johnny Boy allumé, pas très malin, frimeur, violent, sale gosse qui refuse de grandir et se mets dans des positions plus que délicates. A eux deux, il éclipsent le reste du casting, pourtant très sympa, de Richard Romanus en dandy criminel notoire et David Proval en tenancier de bar bon copain. Scorsese ne propose toujours pas de personnages forts à ses interprètes féminines comme il le fera par la suite mais, au vu du film, ce n’est pas bien grave ; après tout, nous sommes dans un univers masculin…

Un troisième film qui annonçait fièrement que le cinéma allait connaître l’un de ses plus beaux représentants dans les années à venir : Scorsese déjà aux antipodes d’un Parrain donnait le ton de ce qu’allaient être plus tard des Affranchis ou Casino sans oublier qu’il se constituait petit à petit sa famille cinéma dont le plus illustre représentant, Robert de Niro, venait d’offrir une interprétation inoubliable.

Note : ****

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