mardi 24 avril 2007

1900 (Novecento)


Le cinéma est un moyen d’expression comme un autre, c’est un fait, mais peut-on vraiment s’en servir pour illustrer son idéologie ? Bertolucci a tenté d’y répondre avec 1900.

Il faut dire que Bertolucci n’a jamais caché ses opinions politiques : que ce soit à travers ses films (La stratégie de l’araignée) ou via ses fréquentations (grand ami de Pasolini), Bertolucci s’est toujours avoué comme un communiste convaincu. A l’époque, alors que Mai 68 est encore dans toutes les mémoires, le cinéaste profite de sa notoriété internationale acquise avec Dernier tango à Paris pour parler de son pays, de son Histoire d’un point de vue radicalement marxiste. Initialement prévu comme un film télévisé, le film devient un projet de cinéma et récolte des aides un peu partout : 2 millions chez United Artists, 2 autres chez Paramount et encore 2 chez 20th Century Fox. Ce qui ne l’empêchera de dépasser le budget de 3 autres millions. Le film sera autant décrié qu’acclamé à sa sortie, mutilé aux USA, raccourci d’une demi-heure en Europe (ce qui ramène le film à 5 heures, supprimant au passage des scènes jugées choquantes comme Depardieu et De Niro se faisant masturber par une prostituée ou les deux garçons du début comparant leur pénis), mais passé tout cette effervescence et ce parti pris résolument politique de la part des critiques, qu’en est-il réellement ?

Eh bien cette œuvre fleuve semble avoir vieilli et en y regardant de plus près prêt à sourire jaune ; comment un film faisant l’apologie du communisme a-t-il pu être financé par des sociétés résolument capitalistes ? Le discours de 1900 n’a pas attiré les nouvelles générations vers le communisme mais a bel et bien aidé les studios américains à se remplir les poches. De plus, la foi aveugle de Bertolucci envers son parti l’empêche de voir la réalité en face, le forçant à remanier la vérité historique à sa manière : les fascistes sont décrits comme mauvais et reniés par tous, mais le peuple n’a-t-il pas suivi en masse cette idéologie au départ ? Le message du film par ailleurs est si évident qu’il en perd de sa puissance, ridicule manichéisme de la glorification du pauvre paysan et vilain patron opportuniste et sans notion d’amitié et d’amour. L’utopie finale cependant, où le prolétariat détruit la notion de « patron », est typiquement marxiste mais ne se voit pas glorifiée puisque la réalité revient au galop : les paysans et les bourgeois sont condamnés à se battre éternellement.

La mise en scène de Bertolucci n’aide pas non plus le film a traversé les âges sans problèmes : comme dit précédemment, le film était prévu comme une œuvre télévisuelle, et malheureusement on le ressent plus d’une fois. Il y a aussi cette étrange manie d’une caméra tremblante, ne sachant pas exactement où se mettre, ce qui contraste fortement la plupart du temps avec le plan suivant, très bien construit. Si Bertolucci sait également diriger les foules et répartir équitablement les dialogues entre chaque personnage, il reste cependant étonnamment sage d’un point de vue réalisation dans le sens où aucun événement de grande ampleur ne e passe : nous vivons la montée du fascisme, la lutte communiste et la Seconde Guerre de loin, isolé sur ces terres d’Emilie. En 45 ans (de la mort de Verdi à la Libération), Bertolucci nous isole dans un domaine certes vaste mais qui finit par nous étoffer un peu, les quelques bouffées d’oxygène offertes par des visions des villes étant bien vite disparues. La mise en scène est un mélange bien étrange, où le meilleur du cinéaste côtoie le pire.

Côté casting, que du lourd : Robert de Niro, Gérard Depardieu et Donald Sutherland dans les rôles principaux, Burt Lancaster et Sterling Hayden dans les rôles secondaires. Là aussi, on peut douter de la manœuvre de Bertolucci qui, bien que voulant rendre hommage à son parti, craint l’échec public et s’octroie donc ces stars montantes et ces monstres sacrés d’Hollywood. Fort heureusement, chacun est au sommet de sa forme, Lancaster et Hayden en particulier. Sutherland est assurément le plus marquant de tous, composant un leader fasciste des plus diaboliques et tarés qu’il soit ; stéréotype certes, mai pas tant que ça, même si certaines scènes poussent le bouchon un peu loin (le meurtre du chat par un coup de tête).

Enfin, impossible de parler de 1900 sans aborder la musique d’Ennio Morricone, sans doute l’une de ses compositions les plus marquantes et des plus efficaces, mélangeant terreur et nostalgie, mélancolie et lyrisme comme rarement. Remarquable, tout simplement.

Pour conclure, 1900, trente ans plus tard, qu’est-ce ? Simplement le cri d’amour d’un artiste envers son pays, se servant de ses convictions comme moteur à son récit, ce qui l’empêche du coup d’atteindre les sommets. Quelques scènes mémorables ne font pas oublier d’autres où tout part dans tous les sens, mais le cinéaste semble n’en avoir cure et il a raison : son film est désormais entré dans la légende du cinéma, à juste titre sans doute car malgré ses défauts il reste un moment de bravoure, d’amitié, de désillusion qui renoue avec le lyrisme des grandes épopées d’autrefois. Un film fleuve qui ne laisse personne indifférent, c’est sans doute ça le plus important…

Note : ***

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