dimanche 5 septembre 2010

S.O.P. - Standard Operating Procedure

Les termes "Standard Operating Procedure" (abrégé : SOP) sont à la base utilisés dans une large variété de domaines : médical, militaire, scolaire, industrie...Une "Standard Operating Procedure" sont une série d'instructions ayant force de directives, visant à maximiser / rationaliser les chances de succès d'une opération, tout en minimisant au maximum les risques d'échecs et de pertes. Dans la terminologie militaire, une "Standard Operating Procedure" constitue en une série de procédures / directives militaires, déclenchées en fonction d'un événement donné; le plus souvent une situation exceptionnelle. Le terme de "Standard" induit régulièrement en erreur. Il ne s'agit pas justement de procédures "standardisées". Par ailleurs, cette procédure ne semble pas s'appliquer sur une large échelle telle qu'un corps d'armée entier par exemple, mais s'applique davantage aux unités militaires plus petites comme un bataillon ou une compagnie. La procédure, coercitive ou non, dure aussi longtemps qu'elle n'a pas été levée. Par ailleurs, elle fait souvent office de guide et de ligne directrice, lorsque la doctrine officielle fait défaut. Agir à l'encontre d'une SOP est une faute gravissime, passible de très lourdes sanctions.

Après s’être intéressé en 2003 au passé de l’Amérique va-t’en-guerre (Fog of War que je ne saurai que trop conseiller), il était logique que Errol Morris s’intéresse au présent et au conflit en Irak. Ce n’est pas tant le conflit que vise Morris ici mais bien les travers d’une armée qui n’a pas sa place dans le pays : à travers la sordide affaire de la prison d’Abu Ghraib (le scandale des photos de châtiments de prisonniers irakiens, qui a mené au jugement et à la condamnation de 11 soldats américains en 2006), Morris souligne un monde militaire en déclin, pourri en son sein par quelques éléments perturbateurs, un corps officier fourbe et manipulateur et une jeunesse sacrifiée en guise de bouc émissaire.

Fidèle à son style toujours très travaillé (cette fois, la photo est réalisée par le doublement oscarisé Robert Richardson et la musique composée par Danny Elfman, et Morris a travaillé sur base de plus de 1000 photographies dont certaines interdites à la presse pour choisir celles qui illustrent le documentaire), Morris laisse la parole aux acteurs même de l’histoire, ceux qui ont pris ou posé sur les photos. Si on n’échappe pas dans un premier temps au cri de rage des protagonistes (« c’est pas moi c’est lui » ou « c’était un ordre, on ne pouvait rien faire »), Morris n’en fait pas moins un plaidoyer en leur faveur : comme dans Thin Blue Line, il ne les juge pas mais veut juste connaître, ou du moins approcher la vérité. Sans imposer son point de vue mais justement en mettant en avant celui des interviewés, il dénonce les dérives d’une guerre absurde que l’Amérique a perdue d’entrée de jeu, et le contrecoup médiatique d’Abu Ghraib qui n’a eu pour effet que de condamner aux yeux des Américains même le conflit, ce qui en fait l’un des films engagés les plus percutants sur la guerre en Irak.

Au-delà de ça, Morris évoque la difficulté de l’image, et par-là même la difficulté du documentaire, d’être claire pour elle-même : il faut pouvoir la recontextualiser et en vérifier la véracité (le recadrage fausse tout) avant de l’offrir au public, sous peine de créer un faux discours (ici, en l’occurrence, le fait que toutes les jeunes recrues ont été condamnées mais personne dans la hiérarchie supérieure n’a été inquiété). Pour preuve : si le film ne propose qu’un point de vue, celui des Américains (ce qui pourrait offrir des critiques virulentes), c’est parce que le cinéaste et son équipe n’ont jamais pu retrouver au bout d’un an les prisonniers irakiens relâchés.

Une grande œuvre à nouveau de la part d’un cinéaste qui ne cesse d’autopsier une Amérique qui ne tourne plus rond et qui, accessoirement, a été le premier documentaire nominé à l’Ours d’or à Berlin ; à défaut de l’avoir remporté il a obtenu celui d’Argent, le Grand Prix du Jury.

Note : ****

0 Comments: