mardi 21 septembre 2010

Freaks

Suite à l’incroyable succès de Dracula de Tod Browning, Irving Thalberg, alors directeur de production (avisé et audacieux), demanda au scénariste Willis Goldbeck une nouvelle histoire encore plus terrifiante. Lorsque lui fut soumis le scénario de Freaks, celui-ci prononça une phrase resté célèbre : "Je vous avais demandé quelque chose de terrifiant... et je l'ai eu !". Et de fait : à sa sortie, Freaks créera tellement de polémiques que le film finira par être interdit pendant près de 30 ans en Angleterre notamment, après avoir subi les foudres de la censure (près d’une demi-heure de métrage fut coupée, et la fin fut remaniée encore et encore). Aujourd’hui pourtant, il est largement reconnu comme un classique du genre, ayant inspiré bon nombre de cinéastes et de films (Elephant Man de David Lynch étant l’exemple canonique).

Commençons donc par ce qui cloche dans ce film à mes yeux : le scénario est très maigre (genre 40 lignes maximum) et les acteurs sont assez mauvais. Voilà, comme ça, c'est dit on n'en parle plus.

Abordons alors Freaks et son véritable intérêt : une ode à la différence et un portrait sociologique de son époque. Bien que fréquemment cité comme tel, Freaks n’est pas un « film fantastique » : ce que l'on voit est réel, les "freaks" sont des êtres humains qui respirent, mangent, ont des émotions. Si on peut reprocher un manichéisme flagrant à Browning (les gentils vraiment gentils et les méchants salement méchants, bouuuh), on ne pourra pas en revanche le blâmer de filmer avec une tendresse quasi paternelle ces êtres difformes : à travers la vie conjugale de sœurs siamoises (avec le mari jaloux et l’oubli fréquent que les sœurs ne peuvent faire de choses séparément), d'un homme-tronc s'allumant seul une cigarette, d'une femme sans bras boire un verre de vin, d’une femme à barbe ayant une fille visiblement tout aussi poilue (trait d’humour noir, par ailleurs fréquent dans le film), bref à travers une série de petits moments de vie (inutiles à l'histoire mais importants concernant le but du film), Browning élève ces "freaks" au rang de la "normalité" en ce qu'elle a de gestes quotidiens et normaux pour certaines personnes. Les apparences sont trompeuses, et le réalisateur insistera longuement sur cette idée (avec les freaks mais aussi chez les humains : la belle est en réalité une garce, Hercule un lâche et même le clown nous fait croire qu'il prend un bain... alors qu'il s'agit d'un chariot pour un spectacle).

La morale est ambiguë concernant la vengeance des dits freaks... ou pas. Tout dépend de la fin : la première, où le film s'arrête sur le corps de Cléopâtre mutilée, ne laisse aucun doute sur le concept de « vengeance » des freaks sur la normalité, mais la seconde, où la fiancée de Hans le retrouve et lui dit "tu n'aurais pas pu les empêcher" l'innocente et montre alors que, tout comme chez les humains, il y a des freaks bons et d'autres moins. Dans les deux cas, la vengeance n'est jamais qu'une réponse profondément "humaine" à une insulte sans nom, mais la portée de cette vengeance trouve deux motivations différentes et changent complètement l’approche du film.

Un film dérangeant, certes, mais c'est de là qu’il tire sa force.

Note : ****

2 Comments:

neil said...

Un grand film, très fort et émouvant. j'aime beaucoup le naturel avec lequel Browning traite ses personnages.

dasola said...

Bonjour Bastien, un chef d'oeuvre tout simplement. La fin est inoubliable. Bonne journée.