vendredi 10 septembre 2010

Le roman d'un tricheur

« Si la grande originalité du Roman d'un tricheur est d'être l'unique film de fiction de l'histoire du cinéma qui soit commenté par une voix off à 90 pour 100, son immense mérite est d'avoir fait oublier cette particularité au point que des spectateurs interrogés à la sortie de la salle croiront avoir vu un film joué et parlé directement. » (François Truffaut, Le Cinéma et moi).

C’est sans conteste pour cette particularité que le film a pu marquer l’histoire du cinéma, et certainement pas pour son scénario ou sa mise en scène. Il est vrai que la « mise en scène » relève ici de la « mise en sons » pour citer à nouveau Truffaut, et quelle magie : cela marche. Le procédé n’est jamais lourd, participe même à une dérision constante, comme d’entendre le voix de Guitry et de voir la tête de l’enfant aux (nombreuses) morts simultanées de sa famille. Bien sûr, la mise en scène semble du coup passer au second plan, d’autant que Guitry n’était pas un technicien hors pair (encore que la présentation de la famille du jeune tricheur est virtuose), mais je trouve qu’il subsiste toutefois une certaine liberté de ton salvatrice dans ce film pour l’époque, avec une caméra qui bouge certes peu mais des séquences parfois surprenantes, telle la présentation de Monaco.

Guitry, mégalomane à ses heures, s’impose comme un auteur au sens total du terme. A la fois réalisateur, scénariste, acteur et narrateur, il multiplie les casquettes pour mieux dominer son film : seule sa voix est entendue tout au long du Roman d’un tricheur, et la récurrence des plans où il écrit son journal rappelle qu’il en est l’auteur. Rien d’étonnant à ce que l’artiste se soit si bien entendu avec Orson Welles, autre mégalo en son genre (tout comme la rumeur veut que Welles était admiratif du Roman d’un tricheur au point d’en subir l’influence sur l’importance de la voix-off et de certains mouvements de caméra).

Au-delà de la performance et de l’audace du film, encore fait unique à ce jour, c’est l’humour noir de Guitry qui fait mouche, du petit garçon sauvé de la mort par un petit vol à ce grand séducteur condamné à ne pas être honnête. Certaines répliques sont délectables dans la noirceur (« On peut pleurer sa mère, ou son père ou son frère, mais comment voulez-vous pleurer 11 personnes ? Vraiment on ne sait plus où donner de la peine ! Je n’ose pas parler de l’embarras du choix, et pourtant c’est bien de cela qu’il était question. ») et le bonheur d’entendre Guitry les réciter est sans nul pareil.

Bien sûr, le film a pris un sacré coup de vieux, et les décors de studios sentent le renfermé mais quel plaisir continu durant une petite heure vingt de voir cet artiste approcher le cinéma de manière littéraire plus que théâtrale et de s’amuser d’une telle façon avec le son, encore neuf à l’époque. Un classique incontournable.

Note : *****

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