dimanche 8 octobre 2006

Annie Hall



Avant 1977, Woody Allen était un comique sans réelle prétention, un gagman doué et un roi du dialogue, dans la plus pure lignée de son idole Groucho Marx. Pourtant, avec Annie Hall, le cinéaste new-yorkais allait franchir une étape décisive, et donner à son œuvre une nouvelle dimension qui allait le faire entrer dans le panthéon des très grands.

Il faut dire qu’auparavant, ses films n’avaient pas grand-chose d’autobiographique, ne poussait pas très loin la réflexion sur l’homme face à Dieu ou ses relation avec les femmes, et symbolisait plus une suite de sketches qu’un tout uniforme (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe (sans jamais oser le demander) en est le plus illustre exemple). Avec Annie Hall, Allen allait dessiner ce que serait son style, son univers : musique jazz, importance de faits autobiographiques, positionnement face à Dieu et la mort… Le personnage allenien se dessinait aussi : un Juif new-yorkais, intellectuel, timide mais séducteur, un rien parano quant à l’antisémitisme, évoluant dans son propre monde, en phase avec New York mais pas avec sa population.

Pour ce revirement, Allen parle de son histoire avec Diane Keaton (de son vrai nom Diane Hall, surnommée… Annie) et tente de comprendre ce qui a cloché. Pour ce faire, Allen va avoir un coup de génie en proposant une narration totalement nouvelle. La complexité de celle-ci est en fait remarquable, puisqu’elle permets un bon nombre de folies de la part du cinéaste, une certaine distanciation par moments et une volonté d’impliquer le spectateur à d’autres. On peut donc considérer trois points de vue existants dans Annie Hall : Woody racontant son histoire, Woody se racontant son histoire et Woody nous racontant son histoire. L’éclatement du récit participe enfin à l’attention du spectateur, puisque Allen ne désigne jamais s’il s’agit d’un flash-back ou non. Du coup, on est obligé de prêter toute notre attention au récit si on ne veut pas se perdre dans son labyrinthe…

Sans pour autant faire son 8 ½ (pour cela voir Stardust Memories), Allen veut partager ses angoisses mais aussi son processus de création, s’impliquer lui-même dans une histoire sous couvert d’un nom d’emprunt. Il profite aussi de l’occasion pour régler quelques comptes : ainsi les attaques fusent envers les études (la dispute avec l’universitaire dans le cinéma, les profs ignorants durant son passage à l’école…), la politique (plus particulièrement la gauche), les pseudos intellectuels ou encore le monde du showbiz en tant que tel (Hollywood et l’univers de la musique plus particulièrement, volant l’âme des artistes selon lui). Il n’en oublie pas pour autant ses références : Ingmar Bergman, Truman Capote (qui aimait tant rendre la réalité… fictionelle), Freud et même Marshal McLuhan, célèbre théoricien de la communication, lequel apparaît en personne après une scène irrésistible où Allen ne supporte pas les attaques envers Fellini !

Allen n’oublie pas non plus de mettre en avant ce qui seront ses thèmes récurrents : les relations amoureuses (souvent chaotiques il est vrai), la condition juive, la psychanalyse, l’art et la mort. Mais ce qui reste le plus beau de l’histoire, c’est l’amour que porte Allen à sa ville, New York, qu’il parvient à magnifier comme personne, et dont la vision de la « Big Apple » est moins terne et violente que celle de Martin Scorsese. Via Annie Hall, Woody exprime pleinement son amour pour sa ville natale, filmant chaque coin de rue, chaque lieu public comme s’il s’agissait d’une merveille. Allen déclare également son amour pour New York en n’hésitant pas à la comparer à Los Angeles. Ville dépravée, sans âme, sans recherche (les maisons étant un patchwork de plusieurs styles) et superficielle, Beverly Hills n’est que le refuge d’un univers conditionné, où les émissions sont bidouillées, les producteurs organisant de gigantesques fêtes pour se taper des starlettes et sniffer de la cocaïne, et où même Noël perd de sa magie à cause d’un soleil de plomb. Néanmoins, Allen ne se masque pas la vérité : New York est sale, la météo n’est pas toujours excellente alors qu’en Californie, le soleil est là et les jolies filles aussi. Mais voilà, c’est viscéral, Woody n’est bien qu’à New York, berceau du cinéma indépendant. Pour preuve, dès qu’il est à Los Angeles il attrape la nausée… Un amour infini est donc établi entre Allen et sa ville, qu’il ne quitterait pour rien au monde, pas même Annie alias Diane Keaton… A noter que cet amour trouvera son apogée deux ans plus tard avec le magnifique Manhattan…

Woody Allen n’est certainement pas le cinéaste le plus aimé de son pays. Peut-être est-ce parce que son style, assez européen, s’adresse plus aux cinéphiles qu’aux autres, malgré la volonté d’Allen d’être accessible à tous. Annie Hall a pourtant propulsé le cinéaste au rang des cinéastes majeurs, puisque le film fut un joli succès public mais surtout critique, remportant 4 Oscars en 1978 (meilleur film, meilleur scénario, meilleur réalisateur et meilleure actrice) et une nomination de meilleur acteur pour Allen lui-même. Entièrement porté par le duo Allen-Keaton, tour à tour drôle et mélancolique, Annie Hall est le premier chef-d’œuvre du réalisateur, sorte de synthèse de tout son univers, et reste à l’heure actuelle l’un des sommets de sa carrière.

Note : *****

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