mercredi 4 octobre 2006

Le ciel peut attendre (Heaven can wait)


Il faut savoir que de tous les films de Lubitsch, Heaven can wait est probablement le plus amer du point de vue de sa conception : en effet, à l’époque, Lubitsch était très malade, et sentait sa fin prochaine arriver à grand pas (il fut finalement terrassé par une crise cardiaque 4 ans plus tard). A partir de ce fait, l’histoire de ce Dom Juan racontant son histoire au Diable semble être une forme d’exorcisme pour le cinéaste, lui-même grand amateur de femme.

Mais alors qu’il aurait pu sombrer dans un pathos absolu, Lubitsch conserve sa passion de la comédie sophistiquée, avec une légère acidité en profondeur, bref sa « Lubitsch’s touch ». Cette fameuse technique, art des sous-entendus, de l’ellipse (ici le point de ralliement étant les anniversaires du héros) et de l’allusion (majoritairement sexuelle), est aussi cet art de mettre le spectateur dans la confidence de ce qui arrive aux personnages, qu’ils ne soupçonnent pas mais que, lui, le spectateur, en complicité avec la caméra, saisit. Un exemple pour être plus clair : lorsque le héros revient, discrètement, d’une folle nuit : rien n’indique qu’il a fait la fête si ce n’est son costume de soirée (sans ce détail, le héros aurait tout aussi bien pu revenir d’une promenade matinale). C’est cette fameuse touche qui a fait du cinéma de Lubitsch un art très apprécié des cinéphiles. Remplie de métaphore et rythmée à la perfection, la réalisation de Lubitsch est en soi une véritable leçon de cinéma. Comme le disait François Truffaut : « Il n’y a pas dans tout Lubitsch un seul plan inutile ».

Si le film est une comédie sentimentale, il est surtout un conte immoral : s’il ne fait pas son éloge, Lubitsch ne critique pourtant pas l’infidélité de manière virulente, si bien que notre « héros » parvient à convaincre le Diable lui-même qu’il a sa place au Paradis. Dès lors, comment savoir si ce qu’on vient de voir était bien ou mal ? Lubitsch n’en a cure, préférant l’apologie de l’hédonisme et voulant réaliser un film simple avec des gens que l’on pourrait croiser n’importe où. Lubitsch expliquait d’ailleurs que son personnage principal « ne transmettait aucun message et n’avait aucun but. Le héros était un homme qui s’intéressait seulement à vivre bien et qui ne visait pas à accomplir quoi que ce soit de noble. Comme le studio me demandait pourquoi je voulais faire un tel film, j’ai répondu que j’avais l’intention de présenter aux spectateurs un certain nombre de gens, et que si ces spectateurs les trouvaient aimables, cela serait suffisant pour rencontrer le succès » (Filmculture, n°25, 1962).

De plus, Lubitsch continue ses attaques subtiles mais bougrement efficaces de ce qu’il déteste, en l’occurrence un milieu bourgeois très conservateur et ne visant que son propre profit.

Et pour jouer cet héros, c’est à Don Ameche que le cinéaste a fait appel. Si on se souvient tous de lui comme le vieillard de Cocoon ou le businessman d’Un fauteuil pour deux, il convient de voir sa prestation dans ce film pour ce rendre compte à quel point cet acteur a été sous-employé dans sa carrière. Doué pour la comédie mais tout aussi crédible dans les moments les plus dramatiques, il propose ici une palette d’émotions remarquable, et domine le film de sa seule présence, même s’il doit de temps à autre partager la couverture avec l’irrésistible Charles Coburn et la ravissante Gene Tierney.

Fable sur l’amour intemporel, Heaven can wait est à la fois une comédie sophistiquée, une histoire d’amour magnifique et un plaidoyer pour la propre défense de Lubitsch avant de nous quitter. Pour le coup, le ciel aurait pu attendre encore un peu…

Note : ****

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