mardi 6 mars 2007

Apocalypto


La réalisation, le passage de devant à derrière la camera : voilà un rêve que de nombreux acteurs caressent ou ont caressé longtemps. Il y en a certains qui s’en sont sortis avec brio, style Charles Laughton ou John Cassavetes ; Mel Gibson fait partie de cette catégorie, preuve supplémentaire avec son film Apocalypto.

A nouveau, le film fait scandale : violent, en v.o. maya, les historiens se plaignent du n’importe quoi du scénario et un peuple se sent offensé de voir ses ancêtres décrits comme des barbares tortionnaires. Et à nouveau, le bruit autour du film agit comme un coup de pub radical, moins efficace que pour Passion mais pas mal quand même.

Soyons francs : le film n’est pas un chef-d’œuvre, loin de là. Il ne s’agit rien de plus qu’une course poursuite à travers la jungle d’un petit gars qui veut retrouver femme et enfant sans perdre de temps. Rien de bien original, et Mel Gibson l’avoue lui-même : « Mon désir était de tourner un film d'action et d'aventure trépidant qui ne laisse aucun répit. Je cherchais à concevoir un moyen de raconter l'essentiel de l'histoire visuellement, pour toucher les spectateurs au plus profond d'eux-mêmes, viscéralement et émotionnellement ». Pas de chichis donc dans ce film… ou presque, parce que sous ses allures de film d’action se cache un véritable parcours initiatique et, surtout, un formidable parallèle avec la décadence humaine de ces dernières années. En effet, d’après des experts, la civilisation maya aurait disparu suite à des problèmes de dégradations environnementales, de consommation excessive et de corruption politique. Comme il sous-entendait déjà les dangers de l’extrémisme religieux et la crainte de l’inconnu dans Passion, Mel Gibson attaque notre société actuelle avec une d’autrefois, et pousse même l’ironie avec un final ambigu, l’arrivée des conquistadors, symbole de civilisation, qui d’une part sauve la vie de notre héros mais qui, comme on le sait, conduira à la disparition sanglante de plusieurs peuples...

En langue grecque, le terme "Apocalypto" signifie "nouveau départ". Il faut donc voir ce film non pas uniquement comme un film d’action mais comme une réflexion sur l’Homme et son évolution ; en tentant d’échapper à ses poursuivants puis, finalement, en décidant de lutter contre eux, notre héros va se redécouvrir, affronter ses peurs pour redevenir un guerrier valeureux comme ses ancêtres. Mel Gibson n’abandonne donc pas la spiritualité dans son nouveau film, loin de là, et s’il ne rechigne toujours pas à mettre des images bien violentes, on reste loin du réaliste Braveheart et du quasi insoutenable Passion.

Surprenant metteur en scène, perfectionniste (le montant des prises de vues digitales correspondait à l’équivalent de 620 000 mètres de pellicule) et pointilleux sur la qualité du son (nomination aux Oscars pour ça) et de l’image (utilisation de la caméra HD Genesis de Panavision), Mel Gibson est aussi un sacré directeur d’acteur, sans doute son métier premier lui étant une précieuse aide. Ici néanmoins, il opte pour des comédiens semi ou pas du tout professionnels, à quelques exceptions près : il en ressort que chacun est crédible et même surprenant dans son rôle, notamment le vilain si méchant qu’il hésite pas à porter une mâchoire d’animal en collier (beurk…), et d’autant plus grand est leur mérite qu’ils travaillaient dans des conditions pas si évidentes, à moitié à poil avec des fausses dents qui les empêchait sans entraînement de parler correctement le maya tout en faisant passer des sentiments… Peut-être pas de quoi se relever la nuit mais des prestations sur lesquelles on ne crache pas quand on les a sous les yeux, croyez-le bien.

En l’espace de trois films, Mel Gibson a pu nous prouver qu’il savait se servir d’une caméra, que la vue de sang ne le dérangeait pas et qu’il a une manie de se plonger dans le passé pour comprendre le présent. S’il n’est pas encore arriver à maturité côté création, il sait comment faire de bons films et, à un fifrelin, des chefs-d’œuvre. Apocalypto est une œuvre à la fois déjà vue et surprenante, épique et intimiste, bref un film paradoxal. C’est pas tous les jours qu’on en voit un à ce point, et personnellement ça m’a fait plaisir.

Note : ****

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