mercredi 27 décembre 2006

Reservoir Dogs


En 1992, un cinéphage débarque avec son projet sous le bras, clamant être un génie en puissance. Son nom : Quentin Tarantino. Son projet : Reservoir Dogs.

Torché en trois semaines et demi, le scénario est typiquement un produit indépendant : un lieu, peu de personnages, aucune action impressionnante, beaucoup de dialogues dont le mot « fuck » cité 252 fois. Le titre provient de deux films : Au revoir les enfants (que Tarantino, nul en français, appelle That Reservoir Movie) et Straw Dogs de Sam Peckinpah. Ca nous donne déjà une idée du personnage… Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Soutenu à Sundance, conseillé par Terry Gilliam, Tarantino monte petit à petit son film. Vincent Gallo, Christopher Walken, George Clooney et James Woods refusent un rôle (Woods changera d’ailleurs d’agent après cet incident), mais Tarantino refuse aussi David Duchovny, Robert Forster et Timothy Carey. C’est le jour où Harvey Keitel, par une filière magique comme on en voit qu’à Hollywood, reçoit le script entre ses mains que tout change : le film entre amis de 30 000 dollars filmé en 16 mm devient un vrai long métrage avec 1,5 million de budget à la clé. Tarantino peaufine le casting, bidouille quelques combines (Robert Kurtzman aurait accepté de travailler gratuitement à condition que Tarantino écrive un film sur une de ses histoires, Une nuit en enfer… et les costumes et voitures des acteurs leur appartenait vraiment, faute de moyens) et c’est parti !

Voilà que le film sort, et c’est pas brillant. Ca marche, c’est pas ça, mais ça reste très privé. Le film est vite critiqué pour sa violence, mais acclamé pour son audace. La scène de torture sur Stuck in the middle with you fait grincer des dents tandis que l’interprétation de Like a virgin fait même rire Madonna. Le côté marketing innove de son côté : pour la première fois, le distributeur joue la carte des « multiples posters », qui consiste à afficher un nombre d’affiches différentes un peu partout (en l’occurrence, chaque affiche représentait un personnage, la couleur de fond étant son surnom). Depuis, cette technique est largement utilisée… Mais le film décolle légèrement, et finit par connaître un petit succès. Il s’agit plus d’une œuvre culte qu’autre chose mais qu’importe, ça marche. Et puis, la machine s’emballe : True Romance et Tueurs-nés sortent, Pulp fiction est salué à Cannes, et le simple nom de Tarantino devient incontournable. Depuis, l’œuvre est citée dans les conversations de cinéphiles, a été élue « Le meilleur film indépendant jamais fait » par le magazine Empire qui l’a même désigné comme « Film le plus influençable de ses quinze dernières années ».

Quelle histoire. Mais, il faut être honnête, Reservoir Dogs l’a mérité son succès. Pour un film « fauché », il s’en est vachement bien sorti. Prenons le scénario par exemple : en soi, très simple. Un braquage qui tourne mal, une taupe, du déjà vu 100 fois, sauf que Tarantino n’est pas du genre à se laisser avoir : on glisse par-ci par-là des références pour les cinéphiles (Les pirates du métro, Quand la ville dort…), on copie les autres (le style du film est directement inspiré de John Woo, tant dans les personnages qui semblent provenir du Syndicat du crime que du petit jeu du « Je te braque, tu me braques, on se flingue mutuellement », sans oublier l’héritage que le film dit à L’ultime razzia de Stanley Kubrick) et ça passe. C’est presque du théâtre aussi, cette limitation de décors et de personnages mais le huis clos reste toujours difficile à gérer, encore plus en matière de cinéma sur une durée de 1h30.

L’astuce, c’est également de choisir des acteurs qui, en plus d’avoir un talent monstre (Keitel et Buscemi en tête) possèdent une « gueule de cinéma », qui confèrent à leurs personnages ce côté réaliste… dans un univers surréaliste. Après, les acteurs sont là pour se marrer, et ça marche doublement puisqu’ils sont de la sorte irrésistibles : servant des dialogues pointus et jouissifs (les débats sur les chansons de Madonna, le pourboire ou les surnoms…), ils se lâchent et vont, à l’instar du film, dans tous les sens tout en conservant une ligne directrice.

Tarantino, de son côté, n’est pas encore aussi magistral qu’il peut l’être aujourd’hui, mais parvient néanmoins à négocier avec brio certain plans : l’introduction en panoramique, le générique de début (la technique : filmé en 12 images par seconde puis accéléré pour obtenir 24 im./s.) ou, ce fameux plan incompris, celui de la torture : hommage à un certain Hitchcock, Tarantino ne filme jamais la douleur en elle-même, puisque la caméra s’éloigne lorsqu’il coupe l’oreille du flic, et laisse le spectateur s’imaginer la scène. Pas encore au point mais a déjà compris toute les subtilités d’une narration cinématographique.

Film culte par excellence, modèle à suivre pour un film indépendant, début d’une carrière couronnée de succès, Reservoir Dogs est, un peu comme Pulp Fiction, un film à reconsidérer avec recul. Pour se rendre compte, là aussi, qu’il s’agit d’un grand film.

Note : ****

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