vendredi 8 décembre 2006

Salvador


Malgré les reproches qu’on peut lui faire (et même si à titre personnel, je n’aime pas le personnage en lui-même), Oliver Stone est (était ?) un cinéaste qui n’a pas peur de prendre position dans ses films. Salvador, son troisième film, le prouve allègrement.

Partant de faits historiques, et s’inspirant vraisemblablement de l’histoire d’un ami de Stone, le film est une attaque virulente contre les USA et leur attachement au capitalisme. Pour rappel, le Salvador fut le théâtre d'une guerre civile sanglante (plus de 100 000 morts) pendant 12 ans, de 1980 à 1992, entre l'extrême droite représentée par l'ARENA (Alliance républicaine nationaliste) et la guérilla marxiste du Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN). Pour soutenir la junte militaire en place, les États-Unis se sont engagés au côté de l'armée salvadorienne. En 1980, Mgr Oscar Romero, engagé au côté des paysans dans la lutte politique, fut assassiné dans la chapelle de l'hôpital la providence de San Salvador par les « escadrons de la mort » (fait illustré dans ce film). En 1992, les différents protagonistes de la guerre civile signent les accords de paix de Chapultepec qui mettent effectivement fin à la guerre. Il faudra attendre juillet 2002 pour qu’un un tribunal de Miami reconnut José Guillermo García et Carlos Eugenio Vides Casanova, deux anciens ministres de la défense responsables des tortures menées par les escadrons de la mort durant les années 1980. Les victimes avaient en effet fait usage d'une loi américaine qui permettait de telles poursuites. Les deux anciens dirigeants furent condamnés à payer 54,6 millions de dollars aux victimes… Du vent par rapport à ce que cette guerre absurde a coûté en vie humaine.

Ce que Stone dénonce ici, ce n’est pas tant l’ignominie du conflit que l’implication malveillante des USA dans cette guérilla sanglante. En effet, les USA ont radicalement soutenu la droite au pouvoir (dont faisait partie Garcia et Casanova) tant d’un point de vue financier que politique et militaire, simplement pour lutter contre l’idéologie pseudo communiste des révolutionnaires. Comme le dit le personnage de Boyle dans le film, les Américains étaient plutôt là pour se venger de leur gifle du Vietnam que pour aider le peuple, qui par ailleurs souffrait. On sait que les Américains ont soutenu nombre de despotes et autres personnages dangereux (en Iran en instaurant la dictature du Shah, au Guatemala, Nicaragua, ont assassiné Allende et installé Pinochet au pouvoir aux USA, ont soutenu l’Irak contre le Koweït et le Koweït contre l’Irak, ont formé Ben Laden…) et Stone le crie haut et fort à l’époque même des faits (le film date de 85).

Mais ce n’est pas là la seule qualité du film. Pour un film fauché, il faut admettre qu’il a de la gueule : Stone sait déjà à l’époque (grâce à ses collaborations avec des cinéastes comme Cimino, De Palma et Parker ?) comment se servir d’une caméra, et s’il n’hésite pas à user de ficelles classiques (musique dramatique à souhait) il faut reconnaître que le film est sous tension permanente, prêt à exploser à chaque seconde comme la situation à cette époque. Le tout agrémenté de scènes quasi insoutenables qui témoigne de l’horreur du conflit, comme cette multitude de cadavres abandonnés dans la « décharge » des escadrons de la mort.

Le troisième élément, et non des moindres, à porter le film vers des sommets, est sans conteste l’interprétation de James Woods, à vif et ironique, qui au fil de l’histoire abandonne ses rêves de gloire pour découvrir le Mal à l’état pur régner dans un pays où les étudiants sont publiquement abattus pour ne pas avoir de carte de vote, et où les rebelles ne valent guère mieux que ceux qu’ils combattent en abattant lâchement les prisonniers faits. A lui seul, l’acteur porte le film sur ses épaules de A à Z, même si les seconds rôles sont intéressants (dont un John Savage remarquable) mais un peu trop inexistants face à la prestation, par ailleurs nominé aux Oscars, de James Woods.

Un film remarquable, violent, sans concession, intelligent, critique, peut-être un peu trop long et visant trop le tire larme par moments mais au vu d résultat final, on n’en a cure : avant de se fourvoyer dans des films proaméricains (WTC), Stone était un cinéaste captivant.

Note : ***

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