lundi 4 décembre 2006

Le labyrinthe de Pan (El laberinto del fauno)


Il arrive que certains pays offrent des cinéastes très brillants, qui savent allier cinéma d’auteur et cinéma populaire. C’est ainsi que Guillermo Del Toro, cinéaste mexicain, signe, avec Le labyrinthe de Pan, l’une de ses meilleures œuvres, et un film fantastique comme on n’en avait plus vu depuis bien longtemps.

Il faut dire que Del Toro n’est pas un débutant dans la matière : cet ancien étudiant en effets spéciaux est le père de Cronos, Mimic, L’échine du Diable (dont Le labyrinthe de Pan s’approche) ainsi que Blade 2 et Hellboy. Autant dire que le fantastique et le cinéma pop-corn, ça le connaît. Et c’est un peu ça ce Labyrinthe de Pan, un mélange d’obsessions personnelles de Del Toro (le franquisme, le christianisme, l’enfance) et de cinéma populaire (les batailles entre rebelles et armée) pour plaire au plus grand nombre sans se départir de son étiquette de « film d’auteur » (surtout que Del Toro clame que le faune n’est qu’une représentation d’un monstre entré un jour dans sa chambre lorsqu’il était enfant…)

Vous l’aurez donc compris, le film n’est pas qu’un simple film fantastique, mais également un conte pour enfant, un film de guerre, bref un film touche-à-tout. Embrassant une multitude de thèmes, et s’approchant d’une vérité difficile concernant cette sombre période qu’était le franquisme, le scénario est remarquable dans le sens où, d’une part les scènes semblent distinctes les unes des autres mais sont pourtant indissociables, de l’autre car nous naviguons entre deux eaux : les aventures de la petite fille sont-elles réelles ou imaginaires ? Tout au long du film, Del Toro nous promène sans jamais nous dire où nous allons, jusqu’à un final certes plus clair que le reste du film mais qui reste ambigu.

Un petit mot de Del Toro sur le fascisme et par la même occasion sur le sens de son film : « À mes yeux, le fascisme est une représentation de l'horreur ultime et c'est en ce sens un concept idéal pour raconter un conte de fées destiné aux adultes, car le fascisme est avant tout une forme de perversion de l'innocence, et donc de l'enfance. Pour moi, le fascisme représente en quelque sorte la mort de l'âme car il vous force à faire des choix douloureux et laisse une trace indélébile au plus profond de ceux qui l'ont vécu. C'est d'ailleurs pour cette raison que le véritable "monstre" du film est le Capitaine Vidal, qui est incarné à l'écran par Sergi Lopez. Un monstre bien réel comparé à ceux qui évoluent dans le labyrinthe. Le fascisme vous consume à petit feu, pas forcément physiquement, mais au moins spirituellement. »

Une autre réussite du film est sans conteste sa réalisation : sombre, trouble, magique, elle s’installe assez rapidement et donne d’emblée le ton du film : un produit étrange, fascinant, qu’on oublie pas. Rien d’étonnant lorsque l’on connaît les sources d’inspirations de Del Toro : le peintre Francisco Goya (dont le tableau représentant Saturne dévorant son fils a fortement inspiré l'inquiétante créature du "Pale Man"), le dessinateur Arthur Rackham mais aussi ces films qui ont influencé le cinéma de Del Toro comme La belle et la Bête de Cocteau, Nosferatu de Murnau ou Le masque du Démon de Mario Bava. Les effets spéciaux servent pleinement le récit (entendez par là qu’il n’occupe pas tout le film) et la photographie est renversante. Clairement, le film est stylisé, et c’est peut-être ce qui manquait aux films fantastiques récents, renouant avec un certaine tradition de l’imaginaire.

Au niveau des interprétations, les acteurs sont bons, certaines se débrouillant mieux que d’autres, mais ce sont surtout la jeune Ivana Baquero dans le rôle principal, remarquable, et surtout Sergi Lopez qui l’emportent. Ce dernier, qui trouve là l’un de ses rôles les plus marquants, devient un représentation du Mal digne des plus grands, sans manichéisme exacerbé, sans pitié envers les autres (effrayante séquence où il tue un paysan à coups de bouteille) comme envers lui-même (comme le prouve cette scène où il tranche son reflet d’un coup de rasoir), torturé par la mort de son père sans qu’il le montre, égoïste et arrogant et pourtant protecteur envers sa descendance. Une sorte de Diable humain, synthèse du franquisme aux yeux du réalisateur et qui, le temps du film, démontre toute l’horreur de l’Homme sans sombrer dans la caricature.

Saluons enfin comme il se doit la musique de Javier Navarette, sublime, qui parvient à saisir toutes les nuances du film, et à les retranscrire en quelques notes qui font honneur au genre fantastique. Sans aucun doute la cerise sur le gâteau.

Une œuvre obscure et fascinante, déchirante et magique, un conte pour aider les enfants à devenir adultes – et pour aider les adultes à redevenir des enfants. Certes avec des défauts mais ceux-ci sont rapidement occultés par le résultat final : un chef-d’œuvre du genre.

Note : ****

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