mardi 6 février 2007

Maris aveugles (Blind Husbands)


Bien qu’il soit connu comme acteur, il ne faudrait pas oublier que Erich Von Stroheim fut avant tout un réalisateur, et Maris aveugles est justement son premier film.

Alors que nous approchons du centenaire du film (1919), il faut surtout replacer celui-ci dans un contexte particulier : à l’époque, le cinéma n’était engagé en rien, ne désirait que du happy end et les réalisateurs sachant imposer leurs idées étaient rares, si ce n’est D. W. Griffith (dont Von Stroheim fut l’assistant). Pourtant, las de voir des films débiles à son goût sur les écrans, Erich Von Stroheim a eu l’audace, et surtout la chance, d’obtenir carte blanche pour son premier film, annonçant quelque chose d’inédit dans le paysage cinématographique. Déjà, cet artiste anticonformiste se fit remarquer avec un tournage difficile et un scénario jamais vu jusque là. Ce ne fut que le début d’une carrière incroyable mais hélas courte, la mégalomanie et surtout l’indépendance de Von Stroheim ayant été trop grandes pour les studios qui, après l’échec des Rapaces, son chef-d’œuvre, en fit un cinéaste maudit, et sa carrière de réalisateur fut stoppée net quelques années plus tard, après seulement 14 ans, à l’âge de 48 ans…

En connaissant un peu le système de production et les films de l’époque, on comprend aisément que Von Stroheim en a effrayé plus d’un. Prenons ses thèmes, par exemple, déjà présents dans ce film : l’infidélité, le côté obscur de l’Homme, une fin à moitié heureuse seulement… Autant d’éléments que les spectateurs de l’époque n’étaient pas habitués à voir : disséquer leurs défauts, quelle horreur ! D’autant qu’il n’y allait pas avec le dos de la cuillère, et sa peinture d’une société décadente est des plus virulentes, même aujourd’hui.

D’un point de vue stylistique, Von Stroheim était déjà un adepte du réalisme. S’il n’impose pas encore les conditions maximales pour son tournage (imaginez que pour les Rapaces, il n’a pas hésité à tourner dans la Vallée de la mort à une moyenne de 50°C !), il tourne réellement dans les montagnes pour ce film, ce qui a certainement du être éprouvant pour les acteurs, mais le rendu est fantastique ! C’est bien simple, on en viendrait presque à avoir le vertige. Pour le reste, il sait positionner sa caméra au bon endroit selon le décor : qu’il s’agisse d’une chambre ou d’un chalet, il connaît le cadrage adéquat. Il y a enfin cette volonté de sortir de la mise en scène classique avec ses surimpression des plus étranges.

En tant qu’acteur, il domine à lui seul le film, mais sait laisser ses collègues se distinguer quand c’est leur tour. Pourtant, en dépit de leurs efforts, et surtout ceux de Franellia Billington, c’est Von Stroheim qui saisit toutes les subtilités de son personnage (logique, vu que c’est lui qui l’a écrit…) et en fait un « méchant attachant », comme il le fera avec bon nombre de ses rôles par la suite (comment oublier La grande illusion ?).

Le film a bien évidemment pris un coup de vieux, et de prime abord il en ferait rire voir bailler plus d’un ; pourtant, replacé dans son contexte historique, ce film est une bombe. Ni plus, ni moins.

Note : ***

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