jeudi 24 août 2006

La soif du mal (Touch of Evil)


Cinéaste maudit car trop doué pour être contrôlé, Orson Welles n’a quasiment connu que des déboires dans sa vie artistique. Le temps passant, les cinéphiles pleurent à la réhabilitation et certaines de ses œuvres connaissent un nouveau souffle, une seconde vie grâce au travail de quelques passionnés. Tel est le cas de La soif du mal, qui a enfin connut récemment une sortie en dvd digne de ce nom puisqu’on a tenté de refaire le montage selon les volontés de Welles.

L’introduction du dvd explique d’ailleurs cette histoire : le film fut remonté sans l’avis de Welles et on ajouta même des séquences réalisées par un autre cinéaste. Sachant que son combat était perdu d’office, Welles signa simplement 58 pages de recommandations sur le nouveau montage du film, pour que celui-ci soit conforme à sa vision. C’est grâce à ses pages que le film a pu récemment (et tant bien que mal, la vision d’un montage ne pouvant être que difficilement retranscrite sur papier) connaître un montage « définitif ». Et quel plaisir ! Si Citizen Kane reste l’œuvre la plus connue et sa plus réussie d’un point de vue dramatique, La soif du mal en atteint presque le niveau de perfection !

Il y a tout d’abord l’aspect technique du film. Comme d’hab, Welles applique son style dantesque avec une aisance incroyable : nombreux plans-séquences, cadrages bien définis, jeux d’ombres et de lumières, contre-plongées… Tout est là, et autant dire que l’effet est incroyable. En fait, Welles se sent comme sur le tournage de La dame de Shanghai, et sait donc que vu les faiblesses scénaristiques, il doit réaliser une mise en scène qui absorbera le spectateur. Cette fois, ce n’est plus avec des miroirs que Welles s’amuse à marquer l’Histoire du cinéma mais bel et ben un plan-séquence inouï, de 4 minutes et qui est depuis rentré dans les annales du cinéma. Il faut dire qu’une telle complexité n’a jamais été atteinte auparavant et ne le sera peut-être jamais. Et lorsqu’on demanda à Welles comment il avait réalisé ce tour de force, il répondit simplement : « j’ai dit "moteur !" ». Il y a aussi, inconsciemment, des préludes à d’autres œuvres majeures : l’enfermement de Janet Leigh dans le motel vide fait irrémédiablement penser à ce que sera l’introduction de Psychose ; l’offensive des jeunes contre cette même Janet Leigh, entourant sa chambre de toute part a des airs avec La nuit des morts-vivants de Romero ; enfin, le plan-séquence d’ouverture inspirera partiellement De Palma pour son Phantom of the Paradise…

Le scénario, que Welles ne trouvait pas à son goût (mais, hormis Shakespeare et Don Quichotte, en trouvait-il un digne de son génie mégalomane ?) n’est pourtant pas des plus mauvais : film noir avec une jolie galerie de personnages, réflexion sur la justice et fin immorale (même s’il y parvient crapuleusement, et y laisse même la vie, Quinlan avait déniché le véritable coupable de l’attentat…). Il faut dire que Welles a beaucoup retravaillé le script, notamment au niveau des personnages, en privilégiant bien entendu son propre rôle.

Car c’est là la deuxième grosse claque du film : après une réalisation dantesque (et cette fois le terme n’est pas galvaudé), la performance de Welles est tout simplement bluffante ! Outre son apparence physique, monstrueuse par rapport à sa précédente apparition dans Mr Arkadin, c’est son intensité dramatique qui coupe le souffle : dans le rôle de ce flic teigneux, raciste, enclin à l’alcoolisme et à la création de fausses preuves, Welles vampirise l’écran non seulement avec ses gros plans mais aussi cette espèce d’aura qui se dégage de son personnage, lequel on ne parvient jamais à réellement cerner. Face à lui, Charlton Heston, Janet Leigh et Marlène Dietrich tentent tant bien que mal de tenir la distance, et s’ils y parviennent ils n’ont pourtant pas le même impact sur nous que le commissaire Hank Quinlan.

Une merveille donc, sans doute l’un des sommets de la carrière de Welles, laquelle est déjà un des sommets de l’histoire du cinéma mondial ; vous imaginez le niveau ?

Note : *****

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