dimanche 18 mars 2007

American Beauty


Kevin Spacey résume le film en même temps que son personnage de manière remarquable : « Lester est un Américain type, qui conforme sa vie à certains idéaux avant que la réalité ne le rattrape brutalement. Quelque chose se produit dans son existence, un choc qui lui rappelle ses aspirations premières. (...) Il se débat avec un trop-plein de sentiments longtemps refoulés et qui aujourd'hui se rappellent à lui. C'est plus qu'une crise de la quarantaine, c'est une renaissance ». L’heureux producteur du film, explique quant à lui le sens du titre : « On peut y voir une allusion à cette variété de rose, cultivée avec un soin maniaque par Carolyn/Annette Bening. Mais ce titre évoque également le personnage d'Angela, qui incarne les canons américains de la beauté. Enfin, il s'étend à tout ce qui se réfère au rêve américain et que nous considérons comme beau dans notre vie quotidienne ». Alors, pour pleinement savourer le film, il convient d’observer l’accroche du film : regardez de plus près…

Regardez de plus près l’histoire d’Américains moyens, ni bourgeois ni pauvres, juste aisés. Chaque façade de maison cache en fait une famille déséquilibrée, de dingues : d’un côté, une mère adultère et opportuniste et un père se définissant lui-même comme léthargique sauf du côté sexuel, et de l’autre côté une mère visiblement droguée par des médicaments, épouse d’un ancien militaire aux tendances un peu nazies. Sans sombrer dans la caricature, la seule maison correcte du film est celle du couple homosexuel…

Regardez de plus près les bouleversements de vies humain sur un simple fait anodin, la pire étant sans conteste celle de Lester Burnham, antihéros du film qui se verrait bien dans Lolita avec l’amie de sa fille, classée d’emblée comme le stéréotype de l’adolescente paumée. Subtilement, Alan Ball vient de déjouer tous les pièges de l’écriture en plongeant directement dedans. Mais il n’y a pas que ça : les thèmes abordés, et le plus important étant la décomposition familiale, le sont avec une ardeur et un humour noir des plus délicieux. Les sarcasmes et le cynisme des personnages trouvent écho dans un récit construit à la perfection, mélangeant les genres et offrant une vision de l’american way of life réalisée au vitriol, comme on ne la montrera jamais assez au pays de l’Oncle Sam.

Regardez de plus près un jeune metteur en scène, Sam Mendes, habitué des planches passer au cinéma avec un talent monstre, s’approchant même du génie. Il est bien entouré, c’est vrai, ne serait-ce que par son directeur photo Conrad Hall (un habitué des grands réalisateurs puisque son CV indique Duel dans le pacifique, Butch Cassidy et le Kid ou encore Marathon Man) dont les images léchées sont un des atouts majeurs du film, mais Mendes est aussi un artiste à part entière. Sans se laisser déborder par un scénario riche, il dirige ses acteurs d’une main de maître sans en oublier de faire en sorte que l’univers de Ball devienne cohérent, réaliste et, si possible, stéréotypé, histoire de coller encore plus à la vérité. Pour sa première fois, Mendes se débrouille très bien, même s’il lui arrive de s’effacer quelques fois pour laisser exploser ses interprètes à l’écran, surtout Kevin Spacey.

Regardez de plus près Kevin Spacey justement, trouvant là le rôle de sa vie et n’ayant pas peur de relever le défi. Un personnage infect (il a quand même des tendances sexuelles malsaines) rendu sympathique par la force des choses, n’est-ce pas génial ? Sa crise de la quarantaine aidant, il en vient à se foutre du monde autant qu’il se fout de lui-même. Et il le fait avec une jouissance communicative, puisqu’on en vient nous aussi à prendre notre pied lorsqu’il s’engueule avec sa femme, brise les assiettes et envoie son patron… enfin vous m’avez compris. Annette Bening et Chris Cooper ne sont pas en reste, l’un comme l’autre au bord de la crise de nerfs et aux pulsions autodestructrices. Face à ce trio, les jeunes acteurs se débattent tant qu’ils peuvent pour briller, mais le fait est là : Benning et Cooper dominent le film, Spacey domine tout, même nous pauvres spectateurs amusés de drames familiaux.

Regardez de plus près une révélation incroyable, comme on en avait plus vu depuis longtemps : cinq Oscars (dont 4 principaux : Meilleur Acteur, Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Scénario et Meilleure Photographie), ainsi que 66 nominations et 83 récompenses à travers le monde. Une consécration pour Kevin Spacey, un second Oscar pour Conrad Hall, et un statut de réalisateur incontournable pour Mendes, dont chaque film est désormais attendu avec impatience. Même Tarantino n’avait pas autant brillé lorsqu’il fut révélé à la face du monde, et Mendes est bien plus mûr que Tarantino…

Regardez de plus près un chef-d’œuvre du cinéma, un vrai, l’un des rares à être reconnu comme culte dès sa sortie. Regardez de plus près un film qui ne ressemble à aucun autre, qui n’hésite pas à rire du drame de manière franche et sarcastique. Regardez de plus près, et regardez encore et encore American Beauty, pour ne pas oublier que le cinéma, celui avec un grand C, existe encore même à Hollywood…

Note : *****

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