vendredi 24 avril 2009

Sherlock Jr


C’est amusant de voir comment on a souvent comparer Charlie Chaplin et Buster Keaton alors que, fondamentalement, ils n’en ont en commun que le fait d’appartenir au burlesque.

Prenons ce Sherlock Jr par exemple, le film préféré de Keaton lui-même. Eh bien il s’agit ni plus ni moins que d’un des films les plus aboutis de Buster à tous points de vue.

D’une part, Buster Keaton ne s’embarrasse pas d’un récit qui détournerait le spectateur de ses cascades : le burlesque pour le burlesque. C’est ainsi que l’enquête policière est étouffée dans l’œuf, le spectateur sachant d’emblée qui est le voleur et l’héroïne aussi. Débarrassé de tout suspens inutile à ses yeux, Buster peut alors se concentrer sur l’aspect plus poétique de son film.

Il est bien difficile d’expliquer cette célèbre scène du rêve du projectionniste, où celui-ci tente désespérément d’entrer dans le film projeté. Des images valent mieux qu’un long discours :



Cette séquence (qui par ailleurs inspirera Woody Allen pour La rose pourpre du Caire, où cette fois un héros sort de l’écran plutôt que d’y rentrer) est symptomatique de la différence entre Chaplin, cinéaste humaniste, et Buster Keaton, cinéaste à visée artistique. Voici comment on peut interpréter cette séquence : il existe deux mondes (le réel et le rêve) qui cohabitent ensemble. Le cinéma est donc du rêve pour Keaton. Lorsque celui-ci s’assoit avec les autres spectateurs, il se met à leur niveau, et c’est quand il tente d’ « entrer » dans le film qu’il éprouve des difficultés, mais sa persévérance paie et le voilà alors totalement intégré au film. En quelques minutes, Buster Keaton vient de résumer l’essence même du cinéma et le statut du spectateur, tout en étant irrésistiblement drôle.

Après, Keaton ne perd jamais une occasion de démontrer son incroyable maîtrise corporelle et son goût du risque (cfr cette séquence où il pilote une moto en étant assis sur le guidon). Le récit étant sommairement résolu, l’artiste peut ainsi enchaîner les grands moments sans aucun complexe ou souci de cohérence narrative.

A noter enfin que, chez Chaplin, les relations amoureuses sont romantiques : soit elles finissent bien (Les lumières de la ville, Les temps modernes), soit elles finissent par la solitude de Charlot (Le cirque). Keaton, lui, ne voit dans les relations amoureuses qu’un ressort comique ou narratif (Le mécano de la General) plutôt que l’expression d’un sentiment. Il possède en outre un regard moderne sur les relations, à l’instar du final de Sherlock Jr où, imitant le film qu’il projette, le héros parvient à reconquérir sa fiancée – et se voit bien embarrassé ce qui l’attend du côté des enfants !

Extrêmement drôle mais aussi sacrément poétique, Sherlock Jr prouve qu’il est plus que temps de réhabiliter un cinéaste aussi doué que Chaplin au panthéon des génies du burlesque, pour ne pas dire du cinéma tout court.

Note : *****

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