lundi 7 juillet 2008

Shine a light


En plus d’être un réalisateur supradoué et un cinéphile des plus avertis, Martin Scorsese est aussi un mélomane confirmé. Il suffit d’écouter les bandes originales de ses films pour se rendre compte de sa culture musicale impressionnante, où domine cependant une légende du rock : les Rolling Stones. L’association atteint enfin son paroxysme avec la captation d’un concert des papys du rock sous le nom de Shine a light.

L’attente aura été longue (quatre films ont déjà été faits sur les Stones : Après Gimme Shelter en 1970, Ladies and Gentlemen : The Rolling Stones en 1974, Let's Spend The Night Together en 1982 et Rolling Stones at the Max en 1992, si on ne tient pas compte du documentaire de Jean-Luc Godard intitulé Sympathy for the devil) mais nous y voilà enfin : l’une des rencontres les plus alléchantes du cinéma et de la musique s’est enfin produite. « J'ai simplement voulu restituer en sons et en images la formidable force dégagée sur scène par les Stones, Mick Jagger en tête » explique le cinéaste, qui n’a jamais caché son amour du rock. « C'était notre musique. C'était notre identité. Ce qui nous définissait par rapport à nos parents", explique le cinéaste. "La musique est pour moi aussi importante que le cinéma. Elle m'inspire constamment, elle imprègne mes images, mes mouvements d'appareil, mon montage. Je sais que, sans la musique, je serais perdu. Très souvent, c'est uniquement en entendant la musique choisie pour mon film que je commence à le visualiser. »

C’es donc ainsi que « Marty » s’est attaché à la captation d’un double concert des Stones au Beacon Theatre de Manhattan. Originellement pourtant, c’est à Rio de Janeiro que Mick Jagger voulait être filmé, mais Scorsese a réussi à imposer le Beacon Theatre pour un côté plus intimiste, plus proche de sa sensibilité et surtout plus pratique pour le tournage. A noter enfin que Scorsese a su s’entourer pour ce travail virtuose : aux côtés du réalisateur oscarisé, on trouvera donc pas moins de seize cadreurs, dont, en superviseur caméra, le directeur photo oscarisé Robert Richardson (Aviator, JFK) et sous ses ordres, une équipe de caméraman all star : l'oscarisé John Toll (Braveheart), l'oscarisé Andrew Lesnie (King Kong) ainsi que les nommés aux oscars Stuart Dryburgh, Robert Elswit et Emmanuel Lubezki.

Le film s’ouvre donc sur la mise en place du concert, côté Stones et côté Scorsese : de manière assez ludique, on découvre les répétitions du groupe, tandis que de son côté le cinéaste s’angoisse de ne recevoir aucune playlist pour organiser son tournage. Il est assez amusant de voir quelques tensions entre Martin Scorsese et Mick Jagger, d’un professionnalisme constant et pointu dans leurs préparations, même si Jagger est beaucoup moins angoissé en apparence que Scorsese. On y découvre un Scorsese sur le qui vive, un Mick Jagger imposant en leader du groupe, et surtout un Keith Richards rockeur jusqu’au bout des ongles, tellement no limits, comme cette scène assez drôle où tous les membres du groupe salue poliment la belle-mère de Bill Clinton tandis que Richards la prend dans ses bras, l’embrasse et la tutoie comme si c’était une vulgaire groupie. Et ce n’est qu’après ce petit quart d’heure, en noir et blanc sobre, que le concert peut enfin démarrer.

Le contraste est flagrant : au noir et blanc de l’introduction succède une débauche de couleurs, de lumières vives et de hurlements de la foule qui ne parviennent pas à couvrir le mythique son des Rolling Stones. Plus déjantés que jamais, le groupe va enchaîner les hits en commençant par Jumpin’ Jack Flash, histoire de mettre le feu à la salle. Un peu plus tard, au milieu du film (ce qui correspond plus ou moins à la fin du premier concert), les chansons vont être plus douces, plus mélancoliques, tout en gardant une ambiance chaleureuse, ponctuée par les duos avec Jack White et Buddy Guy (certainement le meilleur des trois duos). La seconde moitié du film, c’est-à-dire le second concert, va reprendre le même rythme : une intro démente sur fond de Sympathy for the devil avant d’enchaîner des morceaux endiablés (le duo avec Christina Aguilera), des moments plus calmes et de terminer sur un Satisfaction tiré en longueur tant il est jouissif.

Scorsese aère son film en insérant, après 2 ou 3 chansons, des images d’archives, qui retracent quelques-unes des dates-clés du groupe (leur reconnaissance internationale, les arrestations de Mick Jagger et Keith Richards) ou montre la solidité du groupe, qui trouve sa force dans l’amitié entre les membres (comme le prouve la complicité entre Keith Richards et Ron Wood). Ces petits moments, fort bien agencés, permettent donc au film de ralentir un peu le rythme entre deux morceaux, et il faut bien reconnaître que c’est utile.

Le degré d’appréciation de ce film variera forcément d’un spectateur à l’autre, selon le degré de fanitude de chacun envers les Stones. Mais que l’on aime ou non, on ne pourra que reconnaître que malgré leurs âges, les papys du rock assurent toujours autant : sur scène Mick Jagger est un véritable électron libre, ne s’arrêtant jamais de gesticuler, d’assurer le show en se déchaînant comme un jeune gaillard de 20 ans, tandis que les autres membres du groupe restent des musiciens hors-pair. Côté pile, Scorsese démontre aussi toute la virtuosité dont il est capable, ne laissant jamais la caméra fixe trop longtemps, privilégiant les mouvements en fonction des chansons (brefs ou contemplatifs, c’est selon) et ne quittant jamais de l’objectif le groupe au profit de ces plans souvent rébarbatifs de la foule en délire (ici, 3 ou 4 plans maximum pour souligner l’ambiance qui règne dans la salle).

La captation de Scorsese est intéressante puisqu’elle se divise en trois étapes : la première, l’introduction, place Scorsese à l’égal des Stones, chacun étant filmé dans un temps équitable. La seconde, le concert en lui-même, efface totalement la présence du metteur en scène puisque jamais nous ne le retrouverons dans la salle des commandes. Il faudra attendre la troisième étape, la conclusion du film, pour que Scorsese réapparaisse dans un plaisir purement formel : alors que les Stones se rhabillent et quittent la scène, la caméra suit Mick Jagger de très près, de si près qu’elle finit par devenir le point de vue subjectif de Jagger. Ce faux plan-séquence montre un passage des coulisses à la sortie de la salle, où une foule de fans hurlent à la mort leur idole (à noter que sur le chemin, nous croisons par deux fois Scorsese qui donne des consignes à la caméra, et par définition au spectateur), et se termine par une montée dans le ciel de Manhattan, puis de New York en entier où, clin d’œil, la lune devient la célèbre langue de Forty Licks.

« Rockumentaire » électrisant, virtuose, parfois un peu long mais toujours séduisant, Shine a light montre une évolution fondamentale de Scorsese depuis The Last Waltz : le plaisir de filmer est ici le plus important, mettant la caméra au service d’un groupe qui, par son show toujours aussi dingue, se suffit à lui-même. Grand moment de musique, grande leçon de réalisation.

Note : ****

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