vendredi 11 juillet 2008

Blanche-Neige et les sept nains (Snow White and the seven dwarfs)

Rares sont les œuvres comme Blanche-Neige et les sept nains qui ont marqué de manière indélébile et indiscutable l’Histoire du cinéma. Pourtant, force est de constater que ce bijou de 1937 n’a pas volé sa place au panthéon des œuvres-clés du septième art.

Tout commence en 1933, lorsque Walt Disney décide de réaliser un projet fou : faire un long métrage entièrement en animation. Cette « Disney’s Folly » comme on disait à l’époque n’avait rien d’insensé : Quirino Cristiani avait déjà réalisé, hors Etats-Unis, en 1917 et 1918 El Apóstol et Sin dejar rastros, deux films considérés aujourd’hui hélas comme perdus (mais il est toujours possible de voir Die Abenteuer des Prinzen Achmed (1926), donc le plus vieux film d’animation mondial. Reste que Walt Disney lui voulait faire, et a d’ailleurs fait, le premier film d’animation américain.

Toujours est-il que Disney, confiant, lance une production des plus dantesques : 750 personnes, dont 32 animateurs, 102 assistants (et 167 « entre les deux »), 65 animateurs d’effets, ou encore 158 peintres féminins ! Deux millions d’illustrations ont été faites, utilisant 1500 nuances de peinture, tandis que la fabrication même du film nécessita à elle seule 18 mois. Rien d’étonnant dès lors que le budget initial de 150 000 dollars soit devenu un budget final de 1,4 millions !

Il faut aussi tenir compte, outre ce que Blanche-Neige a nécessité, des éléments qui ont été finalement abandonnés : par exemple, 25 chansons avaient été composées pour le film, mais seulement 8 sont audibles. Les nains ont connus avant leurs noms respectifs près de 50 noms différents ; enfin il y a toutes ces scènes qui n’ont jamais été finalisées bien qu’elles aient fait partie du scénario (entre autres, une scène où la Reine gardait le Prince dans un donjon, et organisait une danse macabre avec des squelettes ; une autre où Blanche-Neige s’imaginait en train de danser dans les nuages avec le Prince ; deux séquences musicales aussi concernant les nains ; enfin, une séquence d’ouverture avec la mère de Blanche-Neige, qui fut supprimée par crainte de la censure).

Walt Disney veut aussi, par souci de succès, que le dessin soit le plus réaliste possible : pour lui, si on parvient à croire que les personnages sont réels, alors ce sera le succès assuré. Pour ce faire, il fait appel à la danseuse-chorégraphe Marge Champion (qui sera rappelée pour d’autres Disney à venir) pour servir de modèle à Blanche-Neige. Pour les détails, les coloristes pensent à pigmenter de rouge les joues de la Princesse ; de même, le Prince pose un énorme problème, les dessinateurs ne sachant pas le rendre assez viril (c’est pour cela qu’il apparaîtra le strict minimum dans le film).

Blanche-Neige fut aussi l’occasion d’innovations techniques et marketing : les équipes utilisèrent pour la réalisation une caméra multiplane, qui permet de produire un effet de relief. Economiquement, le film joua à fond la carte du « produit dérivé », dont il est le premier a avoir lancé la pratique de ses droits (ce qui consiste à percevoir un pourcentage sur l'usage de personnages dans une application quelconque). Blanche-Neige fut ainsi le premier film à avoir une bande originale en vente, tout comme il fut l’un des premiers à avoir des marchandises dérivées en vente dès le soir de la première.

Une fois la fabrication finie, rien n’était encore joué pour Walt Disney et sa boite de production, aux bords de la faillite : le comité de censure britannique pensa un temps classé le film en « A » (enfants accompagnés) avant de finalement opté pour la mention « U » (pour tous âges) : le problème résidait dans la séquence où Blanche-Neige se retrouve perdue dans la forêt. Il faut dire que cette séquence était jugée très effrayante pour de jeunes enfants à l’époque (la légende veut même qu’après une projection au New York City's Radio City Music Hall, tous les sièges durent être remplacés : les enfants présents dans la salle avaient eu tellement peur lors de cette séquence qu’ils mouillèrent tous leurs pantalons et donc les fauteuils aussi !). Finalement, le film fut plus que fort bien accueilli : dans ses trois premiers mois d'exploitation, Blanche Neige attira plus de 20 millions de spectateurs, et le film en comptabilise aujourd'hui plus de 200 millions à travers le monde. Ce sera même, durant un an, le plus gros succès cinématographique, avant de céder sa place en 1939 à Autant en emporte le vent ; en échange, Walt Disney recevra une récompense singulière aux Oscars : pour récompenser ses innovations techniques et la création d’un nouveau genre, il recevra un Oscar normal… accompagné de sept petites statuettes supplémentaires ! A noter enfin que Blanche-Neige ne fut pas qu’un succès populaire : Sergueï Eisenstein n’hésita pas ainsi à considérer ce dessin animé comme étant tout simplement « le plus grand film jamais réalisé ! ». Quelques années plus tard, le film sera le premier d’animation à être sélectionné par le National Film Registry, et sera élu meilleur film d’animation de tous les temps en 2008 par l’AFI.

Que d’histoires, que d’anecdotes, mais surtout que d’éloges envers ce film ! Mais mérite-il toujours cette place si particulière qu’il occupe dans l’Histoire du cinéma ?

La réponse tient en deux mots : bien évidemment ! Il faut se rendre compte du travail de titan que représente un film d’animation, encore plus à cette époque, pour se rendre compte de la qualité de Blanche-Neige, qui n’a en fin de compte presque pas vieilli malgré ses 70 printemps. La caméra multiplane inventée par Bill Garity y est pour beaucoup : cette technique relativement simple permettait un gain de temps et une qualité d’image exemplaire. Le principe est le suivant : Les cellulos (feuille plastique transparente d'acétate de cellulose sur laquelle on peint à la main les différents éléments d'un dessin animé) sont placés à différentes hauteurs sur un banc-titre (un banc constitué d'une ou 2 colonnes supportant une caméra fonctionnant image par image). Le cellulo correspondant au décor est placés derrière ceux correspondants aux différents personnages et éléments mobiles du plan. Ainsi, lorsqu'un élément se déplace, on n'est pas obligé de dessiner toutes les images entières, mais seulement les éléments qui changent. On gagne alors en temps dans la fabrication du film et les éléments fixes ne donnent pas l'impression de vibration qui serait apparue s’ils avaient été redessinés à chaque image. Cela permet aussi de créer, au sein même de l’image, un mouvement tel un travelling ou un panoramique.

C’est là une des grandes forces du film : ne jamais être statique. Après tout, la seule différence entre le dessin animé et la BD, c’est justement le mouvement. C’est ce qui explique pourquoi, dès les premiers films d’animation, les personnages passent leur temps à danser. Dès lors, avec l’utilisation du sonore, la danse est justifiée par des moments chantés, d’où une fréquence de moments musicaux dans les films Disney, ici notamment. Quoiqu’il arrive, l’image n’est jamais sans mouvement, que ce soit un mouvement mécanique ou un mouvement interne à l’image (mouvements de feuilles, plumes d’oreiller, poussière…).

Blanche-Neige est aussi la parfaite représentation de la construction narrative type de Disney : un mélange de moments drôles et de moments émouvants. Ce mélange repose sur un principe simple : des personnages principaux réalistes et des personnages secondaires caricaturaux. Ici, Blanche-Neige évoque l’innocence, l’amour, tandis que la Reine évoque la peur (notamment lors de sa transformation en vieille femme), alors que les nains renvoient à des personnages de cartoon, très influencés par les héros du burlesque comme Chaplin, Buster Keaton ou Harpo Marx. C’est ainsi que naissent de grandes scènes, la force des Disney réussis, qui marquent les esprits : qui n’a jamais rit devant la séance de bain des nains, ou eut un pincement au cœur lorsque Blanche-Neige est considérée comme morte ?

Tous ces détails ont fait de Blanche-Neige un succès incontestable et incontesté. Mais derrière son apparente innocence, le film de Disney n’a pas que des côtés féeriques : rapidement, Disney a été considéré comme un manipulateur de masse par les thèmes qu’il avance. Il est vrai que dans Blanche-Neige, la Femme n’a pas une place enviable : soit elle est faible et doit donc obéir et servir l’Homme (Blanche-Neige fuit parce que le soldat l’ordonne, elle ne peut rester chez les nains que si elle fait le ménage et les repas, elle doit la résurrection à un Homme) soit elle est libérée et donc très dangereuse (la Reine). De plus, la Femme ne peut que s’épanouir en faisant le ménage, à l’instar de cette scène où Blanche-Neige nettoie de fond en comble la maison « porcherie » des nains en chantant sa joie. Un autre thème abordé est celui, capitaliste en fin de compte, de l’épanouissement au travail, comme le montrent les nains qui sont heureux de travailler dans la mine, où ils accumulent les richesses. Un autre grief récurrent envers Disney est le manichéisme exacerbé : chez Disney, pas de psychologie complexe des personnages : ils sont soit tout bon, soit tout mauvais.

Des défauts majeurs il est vrai, qu’il faut cependant replacer dans leurs contextes : le rôle de la femme dans la société dans les années 30 n’est pas comparable à celui d’aujourd’hui. Les USA sortait du crash boursier de 1929 et il fallait donc redresser l’économie du pays, notamment en travaillant dur pour ceux qui le pouvaient. Quant au manichéisme, il provient simplement, ici comme dans d’autres adaptations par la suite de la part de Disney, de l’œuvre de base (Disney revendique d’ailleurs d’entrée de jeu sa fidélité au conte des frères Grimm, en commençant par l’ouverture d’un livre et la lecture d’une page d’introduction).

Œuvre fondatrice et révolutionnaire, sur laquelle le temps ne semble pas avoir emprise, Blanche-Neige reste une des plus grandes réussites des studios Disney, tant sur le plan formel que narratif. Il est dommage que l’idéologie dominante du film soit si ancrée dans une époque et un contexte socio-économique ambigus et/ou dépassés ; qu’importe, la magie opère du début à la fin. Et c’est probablement ça, après tout, la plus grande qualité de Disney.

Note : ****

1 Comment:

Unknown said...

Si tu apprécie Blanche neige et les 7 nains, et que tu souhaites en savoir plus sur la production du film, je t'invite à lire l'interview d'un des réalisateurs du film, Wilfred Jackson
http://tresorsdisney.blogspot.fr/2012/12/wilfred-jackson-blanche-neige-est-un.html
http://tresorsdisney.blogspot.fr/2012/12/wilfred-jackson-je-ne-faisais-pas-des.html

Tu peux aussi visiter plus en détail mon site sur les cartoons de Disney : http://tresorsdisney.blogspot.com