vendredi 20 février 2009

Espion(s)

C’est à l’occasion de la projection de son premier film Espion(s) en guise d’ouverture du Festival International du Film d’Amour de Mons que le réalisateur Nicolas Saada nous a fait l’honneur de sa présence – et que j’ai pu le rencontrer pour discuter un peu de son film.

Quelles sont les origines du projet ?
Nicolas Saada : « L’envie de travailler avec Géraldine Pailhas, écrire un rôle pour elle, à partir de ce que je devine, que je ne connais pas forcément très bien mais que j’aime chez elle, depuis notre travail sur Parallèles.
Et puis il y avait l’envie depuis toujours de faire un film qui ressemble à ceux que j’admirais quand j’étais plus jeune. Espion(s) cherche à poursuivre ces deux envies : un film qui chemine vers une actrice et qui ressemble au cinéma qui m’inspire. »

Le personnage de Vincent est vraiment comme un enfant, il joue à James Bond mais au fur à mesure il mûrit ; dans le paysage cinématographique français Guillaume Canet représente bien ce type de personnage, vous pensiez à lui à l’écriture ?
N.S. : « Je n’avais pas d’image précise en tête pour Vincent. J’avais Géraldine pour le rôle de Claire mais pas Vincent. J’ai rencontré Guillaume à la suggestion de son agent, et j’ai eu une espèce de choc en le découvrant.
C’était en janvier 2007 et je me suis rendu compte que Guillaume était en train de passer de l’adolescence à l’âge adulte. J’ai pensé que ce passage-là serait très fort pour le film. Guillaume a complètement joué le jeu, et fait de ce personnage ce qu’on appelle aujourd’hui un "adulescent", quelqu’un qui sort de l’adolescence pour passer à l’âge adulte. »

Qu’a-t-il apporté au film, lui qui avait l’habitude du genre depuis « Ne le dis à personne » ?
N.S. : « Les réflexions de Guillaume étaient toujours les mêmes, elles portaient soit sur le sens des séquences, soit sur que dit Vincent, mais jamais sur la mise en scène. Il ne m’a jamais dit où poser la caméra, etc. D’ailleurs c’est amusant parce que des gens m’ont dit qu’il y avait la même continuité visuelle entre Parallèles et Espion(s) alors qu’il n’y a pas le même chef opérateur. »

Comment percevez-vous le cinéma de genre en France ?
N.S. : « Bon je ne vais pas me faire des amis, bien que je crois que j’en ai quand même (rires) mais je dirais qu’il y a des gens qui voient le genre comme un moyen d’inventer des formes, un moyen de réfléchir sur le cinéma.
Je pense à Christophe Gans, et des cinéastes comme Eric Rochant, Olivier Assayas ou Desplechin qui considèrent le genre comme une manière de faire des films un peu personnels tout en respectant une espèce de marché avec le public.
Et puis il y a deux autres écoles qui sont moins proches de moi.
Il y a une école un peu sauvage, un peu hard rock, un peu heavy metal, qui réduit le genre au cinéma gore… J’ai beaucoup de problème avec la violence dans ces films : elle me terrifie et je n’arrive pas à trouver ce qui devrait me faire sourire dans ces films. Je sais qu’il y a un second degré, mais je ne le vois pas. Ça me choque beaucoup, même si il y a des scènes très impressionnantes et réussies dans La colline a des yeux d’Alexandre Aja. Mais le film gore à la française n’a pas encore trouvé son Franju je crois.
Et il y a une dernière tendance, que je n’aime pas du tout : c’est celle des films de genre gonflés à l’hélium, où tout le monde porte des lunettes noires, des vestes en cuir, roulent en 4X4… Je ne comprends pas du tout ces films-là, où tout est faux, tout est fabriqué… Je me sens plus proche de la première école qu’on a évoqué : le « film de genre d’auteur ». »

J’ai l’impression que dans votre film il existe deux cinémas : un français, plus intimiste, centré sur le couple, et un anglo-saxon, tendance Hitchcock ou Scorsese…
N.S. : « Lequel de Scorsese ? Les infiltrés ? »

Oui, mais aussi ses films de mafia avec les thèmes de la trahison, de la relation basée sur le mensonge…
N.S. : « C’est vrai… »

Mais euh (le temps que je retrouve mes esprits) donc vous en tant que cinéaste vous vous sentez plus proche du cinéma français, de l’anglo-saxon ou vous êtes vraiment à la frontière des deux ?
N.S. : « Disons que je suis très proche de la fibre anglo-saxonne : si je faisais de la musique je ne pourrais jamais chanter de la pop ou du rock en français, de même je ne pouvais pas imaginer faire un film de genre en français, c’est pourquoi je voulais que le film soit en version originale sous-titrée, pour tout ce qui fait partie du film de genre.
En revanche il y a tout un cinéma français que j’ai découvert assez tard, quand j’étais plus adulte : des cinéastes comme Eustache, des films comme La peau douce de Truffaut, Nous ne vieillirons pas ensemble de Pialat, Max et les ferrailleurs de Sautet. C’est une tradition du cinéma français qui me touche, qui évoque de choses qui me troublent, comme les sentiments ou plutôt la difficulté de les exprimer.
Donc j’avais envie que ces deux parties de moi cohabitent dans le film. »

Si on parlait de la musique de Cliff Martinez, qui a composé pour plusieurs films de Steven Soderbergh ?
N.S. : « Je voulais une voix anglo-saxonne sur la musique. Pour moi la musique, ce n’est pas simplement une illustration, c’est le commentaire de l’artiste, et je voulais que Cliff s’exprime sur le film, comme le ferait un scénariste par exemple. J’avais envie d’un son complètement américain sur Espion(s), qui apportait un point supplémentaire et décalé à ce que je voulais faire, c’est-à-dire un film qui n’appartient pas vraiment à quoi que ce soit, qui ne soit pas attaché à une culture. »

Dans quelle direction l’avez-vous orienté dès lors ?
N.S. : « Je voulais que Cliff Martinez reste complètement ancré dans le genre tout en restant très proche de ce que lui sait faire le mieux, le climat. Je savais qu’avec lui j’aurais une musique très homogène parce que ce qu’il y a de formidable chez lui, quand on voit des films comme Solaris ou L’Anglais il a une gamme et un registre très étendus. Il sait faire des choses très différentes et préserver une homogénéité de style. »

Le mot de la fin : Espion(s), c’est un film d’espionnage avec une histoire d’amour ou c’est un film d’amour avec une histoire d’espionnage ?
N.S. : « Les deux mon général ! C’est un film "bröl" comme diraient les Belges ! (rires) Et j’espère que ce mélange des genres va leur plaire.

Interview réalisée dans le cadre du Festival International du Film d’Amour de Mons 
pour le Quotidien du Festival

MON AVIS :
Un film de genre français réussi, c'est assez rare pour être souligné. Il y a bien sûr des faiblesses un peu dommageables (les effets spéciaux notamment sont assez ridicules...) mais Nicolas Saada a le mérite – et l'audace – de proposer un film d'espionnage sans action, sans course poursuite, et avec une très légère fusillade à la fin ; l'attention est plus portée vers l'ambiance, le climat malsain, la tension permanente et la complexité des personnages, hitchcockiens dans le sens où ils se trouvent imbriqués dans des histoires qui les dépassent. Belle réussite.
Note : ***

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