lundi 28 janvier 2008

American Gangster


La trilogie du Parrain, Les Affranchis, Casino, Scarface, L’ennemi public, Les anges aux figures sales, Les fantastiques années 20 ; difficile de faire un film sur le gangstérisme associé au rêve américain sans avoir ces titres qui viennent à l’esprit, et qui rappelle que le genre est depuis longtemps riche de chefs-d’œuvre indétronables. D’autant plus grand est le mérite de Ridley Scott de s’être attelé à la réalisation d’American Gangster.

A l'origine du film se trouve un article de Mark Jacobson publié le 14 août 2000 dans le magazine New York et intitulé The Return of Superfly. Le journaliste y donnait un compte-rendu de ses entretiens (avec Nicholas Pileggi, coscénariste des Affranchis et de Casino comme intermédiaire) avec Frank Lucas, trafiquant et pourvoyeur d'héroïne à grande échelle, chef de famille et figure charismatique de la communauté noire, qui revenait sur sa carrière de malfrat. Le titre fait allusion à Superfly, un monument de la Blacksploitation rendu célèbre par la chanson éponyme de Curtis Mayfield, monument qui aurait été inspiré de Frank Lucas lui-même. Universal acquit les droits de l'article l'année de sa publication, mais le projet fut mis en stand-by jusqu'à ce que Ridley Scott soit désigné pour le mettre en scène.

Encore que Ridley semble avoir eu de la chance puisque il a été envisagé un moment de confier le film à Brian de Palma, Antoine Fuqua ou encore Terry George, qui retravailla d’ailleurs le script original de Streven Zaillian. Côté casting, on a évoqué les noms de Brad Pitt, Benicio del Toro, Joaquim Phoenix, Don Cheadle, Ray Liotta, John C. Reilly ou encore James Gandolfini avant de voir les rôles principaux confiés à Josh Brolin, Denzel Washington et Russel Crowe, engagé par Ridley Scott après le tournage de A good year.

Au fil des années, on a pu remarquer que Scott n’aime pas laisser les éléments historiques au hasard. Pour s’assurer le maximum d’authenticité, le cinéaste n’a pas hésité à faire appel à Frank Lucas et Richie Roberts eux-mêmes comme conseillers techniques, ainsi que quelques acteurs ayant connu Harlem à l’époque des faits comme Ruby Dee ; il n’a pas non plus hésité, en se basant sur ses propres souvenirs, à filmer dans les véritables endroits de l’action, à New York, Harlem, Long Island et même en Thaïlande.

Forcément, on se dit d’entrée de jeu « Ok, c’est un film de gangster, fait par Ridley Scott, donc rien de neuf sous le soleil mais au moins on en aura plein les mirettes » ; eh bien oui et non. Oui il n’y a rien de neuf car tout a déjà été fait : les interprétations inoubliables, la tragédie, la virtuosité de la mise en scène, le faux happy-end, tout ça se trouvait déjà chez Coppola ou Scorsese. Mais là où il faut bien faire attention, c’est réduire le film à un divertissement standard hollywoodien. La précision et l’authenticité de la mise en scène de Scott ne laisse planer aucun doute quant à une recherche approfondie sur le sujet (musiques de l’époque, soin apporté aux costumes, décors et maquillages pour vieillir les acteurs) qui est juste parfois étouffée par des effets de style un peu éculés (la caméra portée toute tremblante lors d’une course-poursuite) mais Scott ne cherche pas à être original. Mieux, il sait revendiquer les grands films de l’époque de manière directe ou non : American Gangster, c’est l’héritage de French Connection, Serpico, Le Parrain 1 & 2, Mean Streets ou encore la Blaxploitation.

Une des idées intéressantes du film est de faire un parallèle entre la vie chaotique de Roberts et la vie rêvée de Lucas à travers un montage alterné plutôt réussi ; cependant, on regrettera d’avoir des scènes un peu trop « inutiles » qui ralentissent le rythme du film, notamment le divorce de Roberts qui, s’il apprend de très petites choses sur le personnage, aurait tout aussi bien pu être retiré du scénario, ou du moins raccourci au strict minimum. Le thème principal du film, à savoir le fameux rêve américain, est traité avec ce qu’il faut de lucidité et d’ironie, totalement détruit par un plan final très symbolique quant à l’état de notre société actuelle.

Bien sûr, la grande force du film résulte autant de la mise en scène que du duel au somemt entre Russel Crowe, superbe, et Denzel Washington. Ce dernier compose un Frank Lucas qui, par son calme qui dissimule une violence extrême, par l’intelligence de ses propos mais surtout par sa sobriété et son rattachement aux valeurs élémentaires, deviendra à ne pas douter une figure incontournable du genre policier à venir. Sans faire la moindre fausse note, Denzel Washington prouve qu’il est assurément l’acteur le plus charismatique et le plus doué du casting, pourtant très bon. Mention spéciale d’ailleurs à Josh Brolin en flic ripoux, qui semble bien parti pour faire parler de lui dans les prochaines années (frères Coen, Oliver Stone).

Qu’est-ce qui cloche alors ? Difficile à définir : quelques longueurs, un manque de profondeur dans la dramaturgie, un certain classicisme dans le scénario et un peu d’esbroufe dans la mise en scène. C’est d’autant plus dommage que le film, sans grande prétention malgré son sujet épique et son côté saga avec un criminel « bigger than life », retrouve le souffle et l’esprit seventies, la grande époque de ce genre de polar urbain qui a défini toute une mythologie du cinéma policier contemporain. Il s’en est fallu de peu qu’American Gangster devienne l’égal d’un Parrain ou des Affranchis ; en dépit il reste un film passionnant servi par des interprètes en très grande forme.

Note : ***

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