jeudi 17 janvier 2008

L'expérience (Das Experiment)


Olivier Hirschbiegel : un cinéaste allemand issu de la télévision qui, l’espace de deux films (le second étant La chute) très controversés, est devenu le symbole du nouveau cinéma allemand. Et L’expérience n’est autre que son premier film de cinéma.
A la base, un roman : Black box. A la base du roman, une expérience : celle du professeur Philip G.Zimbardo intitulée la « Stanford Prison Experiment » en 1971, où une poignée de volontaires a accepté de jouer les prisonniers et les matons pendant deux semaines sous le regard du professeur. Seul hic : l’expérience s’est arrêtée au bout de six jours parce que les participants présentaient des « comportements pathologiques » qui ont inspirés certaines scènes du film, comme la scène de l’extincteur au début ou encore celle où les prisonniers devaient nettoyer les toilettes avec leurs habits. Gros succès public dans son pays d'origine, L'expérience a été présenté et récompensé dans de nombreux festivals : Prix du meilleur réalisateur à Montréal en 2001, Prix du meilleur réalisateur, du meilleur scénario et de la meilleure photographie à Munich en 2001, Prix du meilleur scénario à Porto en 2002 et Prix du meilleur acteur (Moritz Bleibtreu) à Seattle en 2002.

Un petit mot sur le tournage : d’abord, Hirschbiegel n’a pas hésité à largement se documenter sur les comportements humains à travers des livres, vidéos, rapports et rencontres avec des psychologues et des psychiatres. « Tout ce qui se produit dans le film devait être plausible, possible », insiste-t-il. Ensuite, pour donner plus de crédibilité aux scènes de son film, Oliver Hirschbiegel a parfois laissé place à l'improvisation, ne donnant que quelques indications à ses acteurs et laissant sa caméra filmer. De l'avis même du réalisateur, la frontière entre les acteurs et leurs personnages a commencé à s'effacer, d'autant plus qu'Oliver Hirschbiegel avoue avoir favorisé certaines amitiés et antipathies pour les besoins de l'intrigue. Pour plus de véracité, les prisonniers étaient réellement enfermés dans leurs cellules le temps des prises de vue, bloqués par de lourds barreaux fermés à clé. Au beau d'un moment constate le metteur en scène, « les gardiens et les prisonniers étaient effectivement deux groupes distincts qui ne se mélangeaient pas. Ils prenaient même leurs repas séparément. » Enfin, le film fut tourné dans l’ordre chronologique des scènes, pour jouer sur l’état psychologique des acteurs.

Tout ça c’est bien joli, mais que raconte vraiment le film ? Eh bien c’est simple : comment le pouvoir donne à certains des idées trash, et comment les dominés de nature se laissent manger sur la tête par les esprits forts. Thème finalement peu mis en avant au cinéma il est vrai, mais dont le traitement cinématographique ici n’est pas sans danger : L’expérience est avant tout un film voyeuriste. Les partisans du film crieront que c’est un film qui dénonce une forme de téléréalité ; d’accord, il y a matière à débat, mais quid des scènes gratuites comme la nudité de la scientifique, qui manque de se faire violer, ou des scènes de violences excessives et parfaitement inutiles (l’humiliation du héros qui se fait uriner dessus par tous) ? Un tout autre traitement était possible, mais Hirschbiegel n’en a visiblement pas voulu, alourdissant en outre son récit d’histoires annexes en fin de compte assez inutiles : oui, le personnage féminin a un rôle important, mais devait-on se farcir tous ses flash-back, justifications aux scènes suivantes ? L’enfermement du héros dans un coffre (aux étranges mesures d’ailleurs : plus petit qu’un homme d’extérieur, aussi grand qu’un placard à l’intérieur) devait-il être si long ? Pourquoi établir les portraits de tous les personnages si c’est pour n’en retenir que 3 ou 4 ? La distanciation qu’Hirschbiegel veut créer à travers le côté froid de sa mise en scène n’est hélas pas suffisant pour nous éviter une mauvaise position face au film : soit on adhère (ce qui est ambigu, car cela voudrait dire qu’on prendrait une certaine forme de plaisir à voir quelques pauvres quidams traités comme des bêtes), soit on rejette, pas de demi-mesure.

Il y a aussi un manque de positionnement du cinéaste face à son sujet (le même problème se retrouvera d’ailleurs dans La chute) : est-il pour ou contre l’expérience ? De quel côté se trouve-t-il ? Cela doit sans doute relever du souci d’objectivité, ce qui en soit est appréciable, mais tant de scènes sont problématiques dans L’expérience que l’on aurait aimé avoir un message clair qui nous dirait l’opinion du réalisateur, et non pas une enfilade de stéréotypes (le vilain vraiment méchant et manipulateur qui semble sorti d’un Derrick, le côté aryen en plus) qui étouffe par ailleurs la réflexion d’Hirschbiegel sur la société moderne, la faisant passer pour une histoire racontée et non plus une allégorie.
C’est dommage car la plupart des acteurs ne sont pas mauvais, et Moritz Bleibtreu est même assez bon dans ce mélange improbable de Murphy dans Vol au-dessus d’un nid de coucou et Boden dans Shock Corridor de Samuel Fuller.

L’idée de base était donc intéressante ; c’est le traitement qui, a trop vouloir en faire, casse tout, réduit le film non plus à une réflexion sur le pouvoir et la manipulation mais un divertissement froid. Fort dommage.

Note : **

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