jeudi 10 janvier 2008

Le deuxième souffle


Alain Corneau effectue son grand retour, et pas n’importe comment : en adaptant, 40 ans après Jean-Pierre Melville, Le deuxième souffle de José Giovanni.

Je ne me lancerai pas dans une analogie entre les deux films, à de rares exceptions près, pour la simple raison qu’un cinéaste n’est pas l’autre, qu’une époque n’est pas l’autre, et que le film de Melville a atteint au fil des années une telle sacralisation que la version de Corneau ne pourrait qu’en pâtir. Concentrons-nous donc sur cette dernière version.

Propos du cinéaste : « On a souvent parlé du film de Jean-Pierre Melville, qui me fascinait, explique le cinéaste. Lui refusait d'admettre que c'était un grand film, à cause de tous les soucis qu'il avait eu avec Melville. Il reprochait au film de manquer d'oxygène, d'être dénué de sentiments, de ne pas faire passer l'amitié qu'il y avait entre les gens. Après avoir réalisé Police Python 357 et La Menace, je cherchais des idées autour d'histoires fortes, comme celle du Deuxième souffle. Je n'envisageais pas du tout de le refaire, car pour moi c'était un univers d'avant, avec des postures morales qui étaient devenues académiques. On a réellement, sérieusement, commencé à parler de refaire Le Deuxième souffle dans les années 70-75 avec José, qui était plutôt partant. On en parlait deux fois par an, chaque fois qu'on se voyait. Un jour j'ai dit : "Allez, cette fois, je vais essayer". J'ai gambergé, de façon incohérente. Fallait-il actualiser l'intrigue ? J'ai essayé : cela partait en quenouilles... Mais si je faisais un film d'époque, je courrais le risque qu'il soit décoratif. Fallait-il le délocaliser ? J'ai rencontré des producteurs américains, mais j'ai vite compris que cette histoire était enracinée dans notre culture. ».

L’intelligence de Corneau a été de ne jamais cherché à ressembler au film de Melville, mieux il cherche à s’en éloigner un maximum en évitant le réalisme et l’épure du cinéaste au stetson et aux lunettes noires au profit d’une mise en scène baroque, sauvage et très stylisée. La mort de Gu, par exemple, fait irrémédiablement penser (et Corneau l’a confirmé) au cinéma asiatique, celui de John Woo en particulier avec ses ralentis, cette stylisation de la destruction, du chaos et de la mort. Une mise en scène très audacieuse donc qui ne rend pourtant pas totalement justice au film : le décalage entre la stylisation du récit et le récit lui-même est ainsi tellement grand que l’on finit par décrocher. L’histoire est quand même sensée se passer à la fin des années 50, ce qui impliquait une autre forme de réalisation que celle, excessive, de Corneau, où même les couleurs sont devenues à ce point étudiées que le décrochage temporel est flagrant : le film est beau, mais ne colle pas avec le récit tragique écrit par Giovanni.

A propos de récit, on remarquera que Corneau s’est attardé sur deux éléments que Melville avait plus ou moins laissé de côté : la relation amoureuse entre Gu et Manouche, et le caractère tout aussi épuisé que Gu du commissaire Blot.

Là où il faut aller chercher les bons éléments, c’est dans le casting. Prestigieux (Daniel Auteuil, Monica Bellucci, Michel Blanc, Eric Cantona, Jacques Dutronc, Gilbert Melki, Nicolas Duvauchelle, Philippe Nahon, Daniel Duval), il est surtout dans la plupart des cas tout à fait approprié : Daniel Auteuil, par exemple, compose un Gu éloigné de celui de Lino Ventura, mais c’est tant mieux : Auteuil semble ainsi plus facilement porter le poids de l’âge, la fatigue, le côté usé, à bout de souffle du personnage que ne le faisait Ventura, trop fort pour avoir un aspect vieux jeu, dépassé. Dutronc effectue quant à lui une prestation magique, celle d’un véritable dandy que l’on sait très dangereux, tandis que Monica Bellucci, teinte en blonde pour l’occasion (écho flagrant à Brigitte Bardot, dont la ressemblance est assez troublante) s’en sort sans trop de casse. Mais celui qui domine tout le film, comme d’habitude depuis quelques années, est sans conteste Michel Blanc, assurément tragédien dans l’âme qui fait oublier Paul Meurisse sans trop de peine en le rendant plus humain avec ses doutes, ses tromperies mais aussi, à la fin, une forme de tendresse, de justice à l’égard de son éternel rival. Une performance tout simplement grandiose.

Autre élément réussi : la musique, composée par Bruno Coulais (déjà actif sur Les rivières pourpres). « On s'est découvert un amour commun pour Howard Shore... » confie le réalisateur, « Je savais que sur ce film il me faudrait un compositeur unique, aux commandes de tout le film. Il a compris très vite le style du film. Dès sa première maquette, tout était là : l'univers en suspension, purement tragique, dramatique, une musique jamais synchrone avec l'image dans le sens direct du terme, qui donnerait aux images l'oxygène nécessaire. J'ai pu faire tout le montage avec ses maquettes ».

Film intéressant, ambitieux, audacieux, Le deuxième souffle de Corneau souffre cependant d’un manque de crédibilité, d’une trop grande volonté de s’inscrire dans la mode actuel du film policier pour parvenir à toucher l’essence même du roman de Giovanni : l’histoire d’un homme fini face à son destin, se précipitant vers sa propre mort par conviction personnelle. Une pure tragédie que Corneau a manqué de peu, et c’est bien dommage.

Note : **

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