dimanche 6 janvier 2008

L'homme à la caméra (Chelovek s kinoapparatom, Человек с киноаппаратом)

Un documentaire mythique et qui redéfinit le sens du cinéma que cet Homme à la caméra !

Vertov inscrit d’emblée son film dans le documentaire métaphorique. Etablissant une corrélation entre ce qu’il filme et la manière dont il filme (réveil calme de la ville : plans fixes, agitation : plans en mouvement et montage rapide), le cinéaste souhaite impliquer directement le spectateur dans le récit : il ne le crée pas pour lui mais avec lui, appliquant ainsi sa théorie du « ciné-œil ».

Vertov élabore sa théorie du « ciné-œil » autour de l'idée que la caméra perçoit mieux la réalité que ne peut le faire l'oeil humain. Pour bien saisir la pensée de Vertov, il faut avant tout comprendre son obsession pour la vue, car il y a une telle méfiance de l'oeil chez lui, qu'il n'est pas étonnant de l'entendre glorifier l'invention de la caméra, comme le ferait un astronome pour le télescope par exemple : « Notre oeil voit très mal et très peu, alors les hommes ont imaginé le microscope pour voir les phénomènes invisibles, ils ont inventé le télescope pour voir et explorer les mondes lointains inconnus, ils ont mis au point la caméra pour pénétrer plus profondément dans le monde visible, pour explorer et enregistrer les faits visuels, pour ne pas oublier ce qui se passe et dont il sera nécessaire de tenir compte par la suite. » Ainsi, pour Vertov, il y a cette idée qu'on ne peut pas vraiment se fier à l'oeil humain lorsqu'il s'agit d'observer la réalité, mais il y a aussi cette idée fondamentale d' « enregistrer des faits visuels », c'est-à-dire d'immortaliser des événements sur pellicule : « C'est la vie même que nous plaçons au centre de notre intention et de nos travaux et puisque, tout comme vous, nous entendons par fixation de la vie, la fixation du processus historique. » C'est là un des buts premier de Vertov et une partie de ses efforts visent à la conservation du passé : « C'est pourquoi il faut traiter avec sérieux les actualités cinématographiques, cette fabrique de matériaux, où la vie, en passant par l'objectif de la caméra, ne s'enfuit pas à jamais et sans laisser de traces. »

Le cinéma de Vertov implique donc un refus total et catégorique de soumission aux codes cinématographiques : pas d’acteurs (même si ici, son frère et chef opérateur est un personnage récurrent), pas de décors planifiés, pas de scénario, bref un cinéma qui se construit de lui-même selon ce qui l’entoure. Un procédé déroutant, très en avance sur son temps qui porte le récit vers une expérience unique.

Vertov oublie ainsi l’idée d’un cinéma comme mode de divertissement, d’éducation ou autre, mais le profile comme un moyen de découvrir le monde, le vrai, celui qui nous entoure. Il s’éloigne donc de ses compatriotes comme Eisenstein et de leurs théories sur le cinéma. En revanche, et c’est là le plus grand reproche que l’on pourrait faire au film, il n’en délaisse pas moins un côté nationaliste proche de la propagande : durant son film, Vertov ne montre qu’une Russie saine, propre, organisée, où les habitants sont soit de grands sportifs soit des intellectuels. Il y a même cette image, à la limite de la contemplation, cadrant un buste de Lénine. Rien de bien méchant, si ce n’est que cela soutient la thèse d’un pays en phase de devenir une importante puissance mondiale inégalable. Connaissant le contexte historique, on le droit d’être sceptique sur la moralité du film…

Pourtant, le film n’en est pas moins déplaisant. Avec le temps, il ne semble même pas vieillir, conservant ce mystère qui fait son charme et son aspect unique. Cocteau dit un jour : « Lorsqu’une œuvre semble en avance sur son époque, c’est simplement que son époque est en retard sur elle. » Une citation qui semble convenir parfaitement à ce film.
Film-phare de l’histoire du septième art, source d’inspiration pour de nombreux artistes, précurseur du cinéma expérimental, L’homme à la caméra est une œuvre unique, inégalée et inégalable, que bien plus de cinéphiles devraient connaître…

Note : *****

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