mardi 21 décembre 2010

Détective bureau 2-3 / Crevez vermines ! (Tantei jimusho 2-3 : Kutabare akuto-domo)

Détective bureau 2-3 (préférez le titre original : "Crevez, vermines !") est un film étonnant, pop et presque kitsch, ancré dans les années 60, celles de la musique jazzy et de la liberté de ton. Ancré dans la vague « films de yakuzas » que produisait la Nikkatsu à l’époque, le film est surtout le début d’expérimentations audacieuses de la part d’un cinéaste japonais majeur en devenir : Seijun Suzuki.

Suzuki a un parcours pour le moins atypique : obligé de faire la guerre à l’âge de 20 ans, il trouvera la violence des combats absurde et grotesque, ce qui le marquera profondément. Après avoir échoué à l’examen d’entrée d’une université de commerce, il se lance dans le cinéma par dépit plus que par désir. Les débuts de sa carrière sont des films majoritairement de série B, relevant principalement du yakuza-eiga, les films de yakuzas, et le pinku eiga, les films roses. Suzuki doit tourner vite et sous d’énormes contraintes de temps, d’argent et de durée de film, et doit proposer des œuvres originales pour passer en avant-programme de films plus importants. Ce n’est pas grave en soi car Suzuki n’a pas (encore) de prétention artistique à ce moment-là. Au fil des années, il gagne en notoriété, mais son anticonformisme se fait de plus en plus fort lui aussi. En 1963, le diptyque Détective bureau 2-3 et La jeunesse de la bête inaugure une poignée de films qui vont déplaire au studio Nikkatsu mais où Suzuki démontre tout son génie. Quatre ans plus tard en 1967, La marque du tueur sera le coup de grâce pour Suzuki, viré.

Si j’explique tout cela, c’est parce que l’influence de ce parcours sur le cinéma de Suzuki est flagrante. Je trouve que le style de Suzuki s’approche nettement de ce que faisait Samuel Fuller par exemple : un cinéma percutant, allant à l’essentiel, sans fioritures, avec une vision très précise de la violence, une démystification des icônes populaires (gangsters-yakuzas), généralement sans grand budget et avec beaucoup de pression des studios mais aussi avec une audace formelle subtile et de tous les instants.

Détective bureau 2-3 est clairement sous influence du film noir américain, dont il détourne non sans ironie les codes par ailleurs, et loin des films de yakuzas habituels. Le scénario, s’il est basique, est néanmoins riche en rebondissements et permet au spectateur de ne pas s’ennuyer une seule seconde pendant la durée du film. A noter que l’humour est par ailleurs souvent présent, en général un humour noir ou cynique qui sied parfaitement au style de Suzuki.

Mais il me semble difficile de parler de ce film sans en évoquer une figure majeure au même titre que Suzuki : Joe Shishido. Acteur jusqu’alors rencardé aux rôles de troisième zone, ayant carrément fait recours à la chirurgie esthétique pour obtenir le visage si particulier qui le caractérise, il trouve ici son premier grand rôle et compose pour la peine un personnage fascinant, à mi-chemin entre James Bond (la classe en toute circonstance, le charme, l'humour flegmatique) et Philip Marlowe (la fin justifie les moyens, pas de scrupules, la violence dans le sang).

Clairement cynique et audacieux, tant d’un point de vue de la forme que du fond (oser égratigner l’image des yakuzas, figure emblématique au Japon et fond de commerce de la Nikkatsu, faut le faire), Détective bureau 2-3 signe le début d’une période hélas trop courte où Suzuki démontre tout son savoir-faire, qui influencera bon nombre de cinéastes par le monde ensuite d’ailleurs. Grandiose.

Note : ****

1 Comment:

Le Cinéphile du Grenier said...

Merci beaucoup pour votre avis, qui correspond à mes impressions, et éclaire le contexte. Patrick