jeudi 9 décembre 2010

Misère au Borinage

1932 : Henri Storck, 25 ans, déjà actif dans le cinéma expérimental, grand fan d’Eisenstein et proche de l’idéologie communiste, décide de parler, avec l’aide de Joris Ivens, de la vie des mineurs. Cinéaste militant, il est sur le point non seulement de réaliser son film le plus important mais aussi un futur film d’école : Misère au Borinage.

Le Borinage est une sous-région belge située en Région wallonne dans la province de Hainaut, à l'ouest et au sud-ouest de la ville de Mons, à l'extrémité ouest du sillon Sambre-et-Meuse. C'est un ancien site minier qui donnait jadis du charbon à l'affleurement, notamment dans la forêt Charbonnière. Les veines se prolongeaient au-delà de la frontière franco-belge et on a retrouvé le charbon du côté français plus en profondeur, la surface étant recouverte de sédiments tertiaires. Plus tard, les hommes ont creusé des mines. La technique évolua si bien que l'exploitation de charbonnages fit du Borinage un des berceaux de la révolution industrielle après l'Angleterre. Mais derrière cette prospérité économique, il y avait aussi la misère sociale : le travail pénible et nocif à la santé, la paie médiocre, le train de vie guère plus emballant et l’interdiction des grèves. Storck et Ivens décident donc de filmer ces vies, en particulier celles de mineurs punis après une grève fortement réprimée en 1932. Pour l’anecdote, lorsque les réalisateurs lancèrent un appel aux dons, ils reçurent une somme colossale (35 000 francs) d’un riche anonyme, qui s’avéra être en réalité… un riche propriétaire flamand mais qui, paradoxalement, avait des affinités avec l’idéologie communiste.

Bien sûr, Misère au Borinage est un pamphlet contre l’exploitation de l’Homme par l’Homme. Pourrait-il en être autrement lorsque l’on voit les images que les cinéastes ont filmées ? Ce Germinal made in Belgium est insoutenable au niveau humain, entre les conditions de vie précaires de familles entières (allant jusqu’à l’expulsion immédiate, en plein hiver, d’un couple avec un enfant en bas étage ) et les conséquences d’une vie dans un mauvais environnement (les enfants débiles). Après, on peut largement discuter des reconstitutions de Storck et Ivens, notamment la scène de l’huissier qui vient, déguisé en ouvrier, expulser des mineurs avant que les collègues de ce dernier viennent l’aider en empêchant les gendarmes d’emporter les meubles.

Mais l’idéologie communiste trouve aussi ses marques via le cinéma à l’état pur : en l’occurrence, ce montage en référence au montage soviétique (faire passer des idées politiques via la succession des plans) et ce clin d’œil appuyé au Cuirassé Potemkine (ici, un seau d’eau rempli d’insectes évoque directement le morceau de viandes infesté de vers dans le film d’Eisenstein). En outre, les plans sont souvent travaillés, tant au niveau de la lumière (des éclairages spéciaux furent emportés car les maisons des mineurs n’avaient pas d’électricité) que du cadrage (le film du bien évidemment être tourné dans la clandestinité). Enfin, pour l’anecdote, Storck et Ivens sont ici parmi les premiers à utiliser des films et des morceaux de pellicules préexistants pour illustrer leur film : c’est ce qui deviendra, quelques années plus tard, le found-footage, un courant majeur du cinéma expérimental.

Film-modèle du film militant, du cinéma engagé, du documentaire idéologique, Misère au Borinage n’en est pas moins un témoignage fort, âpre, douloureux d’un passé pas si lointain, rappelant qu’il y a moins d’un siècle certains gens, hommes, femmes, enfants, souffraient pour pouvoir subsister. Et si la situation a « officiellement » changé par chez nous, elle est toujours d’actualité dans d’innombrables pays (ne serait-ce par exemple, comme nous le rappelle souvent l’actualité meurtrière, le cas en Chine) et même en Belgique, comme l’a prouvé Patric Jean et ses Enfants du Borinage, hommage à Henri Storck par ailleurs.

Note : ****

1 Comment:

neil said...

Véritable film culte pour pas mal de mes amis, j'ai passé un très bon moment quand je l'ai vu. Des dialogues excellent et du grand n'importe quoi. A voir.