mardi 7 novembre 2006

Scoop


Avec Scoop, Woody Allen était forcément attendu au tournant : des dernières années cinématographiques mitigées, un Match Point qui divisa… Alors, Scoop va-t-il enfin réunir les vieux fans et les nouveaux amateurs du cinéaste ? Réponse impossible à dire.

Il y a de toute évidence une relation continue avec ses précédents films : si Match Point sentait le Crimes et délits, il va s’en dire que Scoop flaire bon le Woody policier : Meurtre mystérieux à Manhattan, Escrocs mais pas trop ou encore Le sortilège du Scorpion de Jade sont autant d’éléments qui transparaissent dans ce film. Il s’explique sur cet amour de ce genre de film : « J'ai pensé à ces histoires policières, parfois comiques, mais le plus souvent sérieuses, qui me plaisaient quand j'étais plus jeune : la série L'Introuvable avec William Powell et Myrna Loy, certaines comédies avec Bob Hope, sans oublier de nombreux films d'Hitchcock. Dans ma filmographie, un de mes films préférés est Meurtre mystérieux à Manhattan. Dans ce registre particulier, la comédie est sans doute un peu moins efficace que le drame, mais je n'y peux rien : Scoop est une comédie, et souhaitais un ton léger, avec même quelques touches de bouffonnerie. C'est le genre de film que j'aime voir et tourner. Je peux seulement espérer que le public partagera ce plaisir. »

Bien qu’il soit un vieux projet, Scoop n’est pas le scénario le plus élaboré de l’auteur : il s’agit même d’une histoire très simple. N’espérez donc pas trouver ici une œuvre à multiple niveaux de lecture, mais un simple divertissement sans prise de tête. Woody en profite pourtant pour nier le fait qu’il serait devenu angoissé par la mort : ici, l’un des héros est tout simplement un esprit ! Il est même amusant de voir comment Allen imagine le passage vers l’au-delà, mélange de croyance chrétienne et de mythologie grecque (la traversée du Styx avec la Mort en longue cape et sa fidèle faux) alors qu’il n’est pas de cette origine ; sans doute une manière supplémentaire de s’intégrer à l’esprit européen…

Car c’est définitif, Woody change de style : exit New York, le jazz et Freud, bonjour Londres, le classique et l’ironie de la vie. Certains diront que c’est triste (et on peut les comprendre), d’autres (dont je fais partie) verront dans ce changement un plaisir : quoi de mieux qu’un cinéaste qui opère un tel virage à ce stade de sa carrière ? Désormais, Woody sait qu’il n’a définitivement plus rien à prouver, et s’amuse à faire les films qu’il veut comme il veut. Même ses personnages évoluent : la femme reste le point central de l’histoire mais n’est plus le centre de relations tendues (mais plutôt ici douteuse et risquée), et Allen cède désormais la place du séducteur pour se concentrer sur celle du comique. En ressort, ici en l’occurrence, un triptyque équilibré et d’une force cinématographique remarquable.

Et c’est tant mieux, car Woody, libéré du rôle principal (et ayant enfin trouvé sa place quand il n’est pas sur le devant de la scène, contrairement à avant), se concentre sur sa réalisation : photo soignée, répliques cinglantes de retour (« Je suis né de confession hébraïque, mais j'ai vite migré vers le narcissisme ») et grand soin apporté aux détails qui font la différences. Les décors évidemment, mais aussi la musique : est-ce un hasard d’entendre, outre le rythmé Strauss et l’ironique Tchaikovsky, le In the Hall of the Mountain King de Grieg, le même air que dans M le maudit qui parlait déjà d’un tueur en série ? Ce n’est pas là le seul hommage, le film rendant gloire au journalisme d’investigation et aux films ayant eu rapport avec ce métier, dont Les hommes du Président qu’Allen cite explicitement dans une scène irrésistible (« Je suis du Washington Post. Je vous assure ! Vous vous souvenez des Hommes du Président ? Eh bien j’étais le plus petit ! »). Jouissif.

Le pire, c’est qu’avec tout ça Woody reste un directeur d’acteur formidable, et sa nouvelle muse Scarlett Johansson semble être bien partie pour quelques films vu ce qu’il pense d’elle. Il faut dire qu’elle est remarquable en journaliste un peu cruche, Woody abusant plus de son humour que de son physique avantageux. On n’est plus au niveau de l’interprétation de Match Point, mais on n’en reste pas loin. Face à elle d’ailleurs, Hugh Jackman est un dandy un peu trop coincé pour être réellement convaincant, bien que le changement radical de registre mérite quelques applaudissements.

Un Woody plus que digne d’intérêt, mélange d’ancien et de nouveau style de l’auteur, certes simple mais jubilatoire de bout en bout, tellement qu’on y retournerait presque de suite le revoir. Oh et puis zut, j’y vais de ce pas !

Note : ****

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