samedi 25 novembre 2006

Les infiltrés (The Departed)


Martin Scorsese est un cinéaste exceptionnel : rares en effet sont ceux comme lui qui parviennent habilement à mélanger cinéma d’auteur et films de commande avec brio. Et si de nombreux doutes ont été émis quant à The Departed, il est temps de remettre les pendules à l’heure et se rendre compte que Scorsese est très loin d’être fini.

Reprenons un peu le point de départ : à ma droite, un flic intègre qui se retrouve infiltré dans le gang d’un dangereux parrain de la mafia ; à ma gauche, un voyou qui devient la taupe du dit mafieux, infiltré quant à lui dans les services de police. The Departed se la joue plutôt Heat en évitant un seul instant de se faire rencontrer les deux « héros » du film, et le récit s’articule surtout sur le principe de vengeance et la corruption des systèmes.

Un des thèmes mis en avant, et probablement le plus flagrant, est l’importance de la figure paternelle. Il s’agit là d’un élément récurrent dans ses films : l’artiste qui refuse d’assumer sa paternité dans New-York, New-York, Paul Newman en mentor dans La couleur de l’argent, Robert de Niro en modèle pour Ray Liotta et Joe Pesci dans Les Affranchis, Daniel Day-Lewis remplaçant le père tué de DiCaprio dans Gangs of New-York… Ici, les relations se nouent entre elles, et il existe trois relations distinctes : Damon/Nicholson, Nicholson/ DiCaprio et DiCaprio/Sheen. On peut aussi deviner, plus subtilement, une relation Whalberg/Sheen. Enfin, on ignore qui est le vrai père de l’enfant que porte Madeleine à la fin du film…Un deuxième thème est celui de la trahison. Ironie de la part d’un film de la sorte, chacun finit par trahir, d’une manière ou d’une autre, un proche : Collin Sullivan trahit Costello, car celui-ci l’a trahi en premier ; Billy Costigan fait de même ; l’infidélité de Madeleine ; la deuxième taupe du service de police. Pour rappel, chaque trahison à son importance sur la suite du récit, comme c’était déjà le cas dans, La couleur de l’argent, Les Affranchis ou encore Casino et Gangs of New-York. Autre élément récurrent : la femme fatale, celle qui provoque le déchirement entre personnages ou crée une situation de conflit. Si cette fois, elle n’est pas directement la source d’ennui, elle permet néanmoins à Costigan d’atteindre son but final, c’est-à-dire réduire la vie de Sullivan à néant.

Scorsese n’a jamais caché sa fascination pour la mafia et les bad guys. Comment oublier les petites frappes de Mean Streets, la bande des Affranchis ou le trio de Casino, sans oublier le mythique Bill le Boucher ? A nouveau, Scorsese dresse le portrait d’un méchant diabolique mais terriblement fascinant en la personne de Costello alias Jack Nicholson. Son mode de vie, son esprit cool, son argent, ses femmes et ses répliques cinglantes en font le personnage le plus attirant du film. Ce qui n’est pas le cas des deux personnages principaux, anti-héros jusqu’au bout à l’instar de ceux du Travis Bickle de Taxi Driver, du Jimmy Doyle de New-York, New-York, du Jake LaMotta de Raging Bull, du Rupert Pupkin de La valse des pantins ou du Howard Hughes de The Aviator. Pourtant, et c’est là que le bat blesse, Scorsese cède à la pression des producteurs en incluant une histoire d’amour vaseuse entre DiCaprio et sa psy, certes essentielle quant aux échanges de personnalités entre les personnages, mais rendue bien trop nunuche pour être crédible et, soyons francs, prétexte à une scène de cul un brin ridicule et totalement dénuée de sentiments.

Il convient aussi de noter les quelques petites références de Scorsese à ses propres films : à Taxi Driver notamment, lorsque Costello et Sullivan se donnent rendez-vous dans un cinéma porno (Costello ne comprend pas l’utilité d’un tel cinéma, mais c’est tout de même là qu’il se rend ; on se souvient de Travis Bickle et de ses virées nocturnes dans ces endroits…) ou encore à Casino, dont la réalisation est semblable mais aussi par une nouvelle utilisation du Gimme Shelter des Rolling Stones. Trois choses étonnantes vis-à-vis du style de Scorsese pour terminer : l’action du film ne se déroule pas à New-York mais à Boston, il ne s’agit plus de mafia italo-américaine mais irlandaise, et lors d’une scène Costello n’hésite pas à insulter et blasphémer des membres de l’Eglise…

D’un point de vue purement technique, le film est abouti : Scorsese surprend encore et toujours avec ses mouvements de caméras spectaculaires, et une fois n’est pas coutume offre une violence rarement vue à son film : à la manière d’un Tarantino, il en arrive à exagérer tellement les effusions de sang que le film ne choquent plus, que les spectateurs ne trouvent plus horrible que DiCaprio soit recouvert du sang de son supérieur mais seulement dégoûtant. Jamais il n’avait atteint un tel niveau de violence – ce qui rapproche encore plus The Departed de Casino, les ressemblances entre les deux films étant plus que frappantes. Mais Scorsese sait visiblement ce qu’il fait, et signe une série de plans magistraux, dont les compositions sont finement étudiées. Il n’hésite d’ailleurs pas à y insérer parfois une traite d’humour, comme lors du fameux plan final…

Enfin, Scorsese n’a rien perdu de son légendaire talent de directeur d’acteur : si l’on est en droit d’être déçu de la prestation de Matt Damon, trop léger pour être un méchant réellement convaincant, Leonardo DiCaprio s’en tireavec les honneurs et, quoi qu’il en dise, se rapproche de plus en plus de son ami Robret de Niro, dont certaines mimiques transparaissent malgré elles. Les seconds rôles (Mark Whalberg, Alec Baldwin, Martin Sheen et surtout Ray Winstone) sont très bons, et pourtant c’est bel et bien le vétéran Jack Nicholson qui remporte la palme, enfin de retour dans un rôle à sa mesure. Finis les grimaces et les gags à deux balles, il joue un Costello proche de l’incarnation du Mal absolu, d’une telle justesse et avec tant de magnétisme qu’il parvient à imposer sa présence tout au long du film, même lorsqu’il ne joue pas dans la scène. Une performance qui redore son blason de manière incroyable.

D’ores et déjà considéré comme le futur hit de Scorsese, son film le plus rentable (bien qu’il soit le plus important budget qu’il ait eu à ce jour), The Departed n’est pas qu’un simple film de commande respectant assez bien le film original : c’est aussi un film où le cinéaste a pu glisser son mot d’auteur. Et prouver qu’il reste encore et toujours l’un des plus brillants cinéastes de sa génération, voir même de tous les temps.

Note : ****

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