dimanche 12 novembre 2006

La nuit américaine


François Truffaut était plus qu’un cinéphile : c’était un amoureux du cinéma. Entendez par là que pour lui, rien n’était plus important dans la vie que le septième art (la vie elle-même était difficilement supérieure). Dès lors, rien d’étonnant qu’il ait voulu lui déclarer publiquement sa flamme avec La nuit américaine.

La mise en abyme est flagrante : un cinéaste tourne une histoire d’amour tragique avec son acteur fétiche, aidé par sa fidèle script-girl. Plus que Ferrand tournant Je vous présente Paméla avec Alphonse et Joëlle, c’est bien de Truffaut tournant avec Jean-Pierre Léaud et soutenu par Suzanne Schiffman. A ce propos, nombre de techniciens ont remerciés Truffaut d’avoir rendu hommage à leur travail, mais c’est surtout avec ce film que le public a pris conscience du rôle de la script-girl. D’autres, en revanche, accusèrent Truffaut d’avoir brisé la magie du mystère du cinéma…

Que cela ne tienne, le résultat est là : Truffaut déclare sa flamme au septième art, et il le fait admirablement. Une sorte de 8 ½ dans lequel Truffaut avoue son amour des acteurs, replace ses phrases fétiches (« Un tournage de film s’apparente à un trajet en diligence au far west : d’abord on espère faire un bon voyage, et puis très vite on en vient à se demander si on arrivera à destination ») tout en s’inspirant des films préexistants sur le monde du cinéma et que Truffaut adorait (Les ensorcelés de Minnelli, Chantons sous la pluie de Donen, Le mépris de Godard) et d’anecdotes vécues par le cinéaste lui-même. En résulte un ensemble de saynètes formant un tout cohérent, le tournage et ses (més)aventures quotidiennes.

Il est amusant de voir combien d’acteurs ont été révélés avec ce film : Nathalie Baye, dans le rôle à peine caché de Suzanne Schiffman, Bernard Menez en accessoiriste, Jean-François Stevenin (qui était réellement l’assistant de Truffaut sur le film) ou encore Dani. Du côté des têtes d’affiches, Truffaut retrouve Léaud, dans un rôle finalement proche d’Antoine Doinel (le grand gosse rêveur, romantique et gaffeur) mais aussi un casting international puisque se trouvent aussi là Jean-Pierre Aumont, ayan vécu à Hollywood, Jacqueline Bisset ou encore Valentina Cortese. Ce melting pot s’explique sans doute par la volonté farouche de Truffaut de renouer avec le succès public après les échecs consécutifs de Les deux anglaises et le Continent et Une belle fille comme moi. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça a marché.

De son côté, Truffaut reste fidèle à son style, tant au niveau des mouvements de caméra (et, bien entendu, à la musique de Georges Delerue, une fois encore superbe) que des thèmes : si on assiste bel et bien à un tournage, des éléments comme l’amour, la mort, l’enfance viennent couramment ponctué le récit de leurs présences. Il y a aussi ces éternelles références aux maîtres de Truffaut : Renoir, Cocteau, Hawks, Hitchcock, Welles, Rossellini, Bunuel, Dreyer, Lubitsch, Bergman, Godard ou encore Bresson. Il y a pourtant un élément frappant dans cette Nuit américaine : la paternité. De l’actrice enceinte et dont ignore le nom du père, à Jean-Pierre Léaud qui tue son père dans Je vous présente Paméla, en passant par Jacqueline Bisset qui épousé un homme qui pourrait être son père – et s’enfuit avec son beau-père dans le film. Est-il besoin de rappeler que Truffaut est né de père inconnu ? Quant à la figure maternelle, elle est représentée par Valentina Cortese (alcoolique car angoissée pour son fils leucémique) soit par le nom de Julie Becker (dont la mère était une actrice célèbre).

A sa sortie, le film aura un succès critique et public. Projeté à Cannes hors compétition, le film séduira la critique, mais c’est surtout à l’étranger que le film sera acclamé : nominé quatre fois aux Oscars, il remportera celui du Meilleur film étranger en 1974 ; il recevra trois British Awards (Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Actrice de second rôle pour Valentina Cortese) et les même récompenses seront offertes par la National Society of Film Critics Awards et New York Film Critics Circle Awards, avec en prime deux nominations aux Golden Globes (Meilleur film étranger et Meilleure Actrice de second rôle pour, à nouveau, Valentina Cortese). Rares sont les films à avoir reçu autant d’honneur.

Pour terminer, donnons la parole à François Truffaut/Ferrand : « Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y pas d’embouteillages dans les films, pas de temps morts. Les films avancent comme des train, tu comprends, comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail… dans notre travail de cinéma ». Et nous, cinéphiles, vous le saviez, nous étions faits pour être heureux en regardant vos films. Merci monsieur Truffaut.

Note : *****

0 Comments: