jeudi 24 avril 2008

[REC.]


Le réalisme au cinéma se porte bien, merci. Il a même réussi, et on se demande pourquoi il a mis autant de temps à le faire, à s’imposer dans les films à haute dose de tension et d’effroi. Pour preuve, 2008 aligne pas moins de 4 films recourant à ce procédé : Cloverfield, Diary of the dead ainsi que [REC.] et son remake américain Quarantine.

Mais en quoi ces films se différencient-ils du Projet Blair Witch, qui il y a dix ans déjà utilisait le procédé de la caméra perso comme témoin d’une horreur fantastique ? Eh bien disons qu’avec la démocratisation plus qu’immense du caméscope et l’ampleur du phénomène Youtube sur Internet (lui aussi très largement rentré dans les habitudes), et l’apparition de la télé-réalité, les spectateurs ont pris l’habitude de se reconnaître comme voyeurs, et même de s’assumer en tant que tels en voulant toujours plus de réalisme, toujours plus de vérité, de phénomènes pris sur le vif. Jaume Balaguero, le réalisateur, explique justement s'être inspiré de l'univers de la télé-réalité : « Nous avons pensé que la clef résidait peut-être dans la manière dont sont construits certains programmes destinés au petit écran", explique le cinéaste. "Il fallait que notre film soit le plus réaliste possible, que l'histoire paraisse se dérouler en direct, un peu à l'image d'une émission de télé-réalité. » Paco Plaza, le co-réalisateur, poursuit dans ce sens : « Nous étions convaincus qu'en nous inspirant des artifices propres à la télévision, nous serions en mesure de créer un film d'horreur différent, et bien plus effrayant, de ceux qu'on a l'habitude de voir. » Il faut en plus de cela souligner que les deux hommes ont travaillés ensemble OT : The Movie, un documentaire autour de la version espagnole de Star Academy. Les influences sont évidentes…

La seconde astuce de ce genre de film consiste dans l’utilisation intensive du net pour faire une promo dantesque : Blair Witch avait inauguré la voie avec ses fausses infos, Cloverfield ayant suivi avec un teaser terrifiant (la Statue de la Liberté décapitée quand même) ; il ne restait donc plus qu’à [REC.] de jouer le grand jeu et de frapper fort. Chose faite : le teaser avait cela d’original qu’il ne montrait finalement que peu (voir pas) d’images du film mais uniquement des réactions du public, filmé en night-shot dans une salle de cinéma.

Projeté dans quelques festivals où il a glané prix sur prix (triplement récompensé au Festival du Film Fantastique de Gérardmer 2008 en recevant le Prix du Jury, le Prix du Public et le Prix du Jury Jeunes, quatre distinctions au Festival International de Sitges 2007 avec les Prix du Public, Prix de la Critique, Prix des Meilleurs réalisateurs pour et Prix de la Meilleure actrice, plus récemment Corbeau d’Argent et Prix Pégase du Public au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles), [REC.] s’annonçait donc comme une immense claque, un sommet de l’angoisse qui ferait date dans l’histoire du genre fantastique. Est-ce le cas ?

Eh bien oui et non. Dans la forme, le film est très réussi, et sait ménager ses effets tout en gardant une intelligence de chaque instant. Dans le fond, en revanche, c’est moins bon.

En fait le problème (mais en est-ce vraiment un après plus de cent ans de cinéma ?) c’est que le scénario sent le déjà vu, le déjà vécu : un groupe de personne enfermé dans un immeuble avec un truc louche qui se passe et décime toute la petite population de l’endroit… Bof. Sans compter que l’explication donnée sur cette mini-hécatombe tombe un peu de nulle part, voulant éviter le récurrent « mal zombi » pour autre chose… Qui s’avère être assez décevant.

Point de vue réalisation en revanche, on assiste à une réussite quasi-totale : avec un budget dérisoire, résumé à un huis-clos et une utilisation minimale des effets spéciaux (surtout des maquillages en réalité), [REC.] s’impose comme un standard du genre. Les réalisateurs Jaume Balaguero et Paco Plaza expliquent avoir voulu « construire le cauchemar le plus crédible possible, une expérience terrifiante qui pourrait garder le public le plus captif possible. On a donc décidé de raconter cette histoire comme un reportage télévisé en direct, de tourner en "live" avec l'horreur qui survient en temps réel, sans possibilité de stopper le récit. L'idée était de laisser l'action se développer devant les yeux du spectateur. Comme si tout ce qui se passait à l'image était VRAIMENT EN TRAIN de se dérouler, avec le minimum d'ellipses temporelles. ». Et surtout, un parti pris de la surprise : les acteurs par exemple ne savaient jamais ce qui allaient se passer dans la scène qu’ils tournaient, afin que leurs sursauts soient réels, de même que l’opérateur qui joue donc ici le rôle du caméraman. Les réalisateurs restent aussi conscients des limites du procédé « reportage sur le vif » et ne tombe pas dans le piège de la « caméra invincible » (le caméraman n’est pas sans peur et sans reproche, ce qui veut dire qu’il peut avoir peur devant les événements et songer à sauver sa peau avant de filmer). On assiste donc à un vrai reportage, avec ses coupures abrupts ou encore ses moments d’écran noir avec seul le son qui marche (à noter bien évidemment l’absence de musique, ce qui ici sert le film admirablement). La tension devient alors aussi palpable qu’elle ne l’était dans Projet Blair Witch, mais est renforcée de par l’imagination du spectateur qui a maintenu perdu la notion de distinction entre réalité et mise en scène (on sait que les émissions de télé-réalités sont mises en scène, mais on se force à croire que c’est du spontané).

Du côté acteurs, c’est du grand art, aucun ne surjouant vraiment si ce n’est peut-être le jeune policier qui obéit coûte que coûte aux ordres. Mention spéciale tout de même à la jolie Manuela Velasco, qui se voit donc contrainte de porter le film sur ses épaules, mais qui le fait de manière tout à fait respectable.

En jouant beaucoup sur l’effet de surprise, l’économie de moyen et la frontière subtile entre réalité et fiction, [REC.] semble bien parti pour s’imposer, dans les années à venir, comme un modèle du genre, au même rang que Blair Witch Project. On en viendrait presque à dire que c’est évident dans le sens où Quarantine, son remake U.S., est prévu en salle la même année que [REC.], alors que ce dernier n’est pas encore sorti sur le sol américain. Et si c’était les producteurs les vrais monstres ?

Note : ***

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