vendredi 18 avril 2008

Les promesses de l'ombre (Eastern Promises)


Tantôt acclamé, souvent décrié, David Cronenberg n’a jamais laissé personne indifférent. Mais force est de constater que depuis quelque temps, le cinéaste fait une quasi-unanimité auprès des critiques et du public, et Eastern Promises confirme bien cette hypothèse.

Dès 1999, le scénariste Steven Knight (à qui l’on doit déjà le pas joyeux Dirty Pretty Things de Stephen Frears) avait apporté son script au producteur Paul Webster, mais ce n'est qu'en 2004 que la maison de production Focus Features s'est montrée intéressée. L'actrice Naomi Watts a eu très tôt connaissance de ce projet. Elle se souvient : « J'avais lu le script de Steve Knight avant de savoir que ce serait David Cronenberg qui le mettrait en scène. Puis j'ai su que ce serait lui et qu'il y aurait Viggo ; je n'ai pas hésité. Quant à David, il a tant de confiance en lui que ça devient contagieux. » Le film est alors lancé, et si le film est centré sur la communauté russe de Londres, les comédiens qui interprètent les personnages principaux ne sont en réalité ni russes ni anglais : l'Américano-Danois Viggo Mortensen, l'Australienne Naomi Watts, le Français Vincent Cassel, l'Allemand Armin Mueller-Stahl et le Polonais Jerzy Skolimowski. Evidemment, les deux stars hollywoodiennes principales se doivent d’être au sommet de leur forme et emploient donc la méthode des grands : Naomi Watts passera beaucoup de temps au Whittington Hospital pour son rôle de médecin, tandis que Mortensen étudiera grandement le mode de fonctionnement de la mafia russe, et aura même la surprise un soir, alors qu’il était dans un pub à Londres, de tomber sur un couple russe qui, à la vue des tatouages que portait l’acteur à ce moment-là, l’on vraiment pris pour un membre de la mafia !

Dans un premier temps, force est de constater que Cronenberg n’a jamais livré œuvre aussi sobre, classe, froide et classique auparavant. De prime abord, le scénario tient largement la route, contenant assez de revirements de situations pour captiver le spectateur et le tenir en haleine (même si en toute honnêteté, tout sent le déjà vu). Ce qui est intéressant, c’est de noter une dimension un peu plus tragique dans le récit, cette notion de « famille », de « frères » comme on peut la retrouver dans les écrits de Shakespeare et qui ici est utilisée en filigrane, jusqu’à finir par prendre plus de place que l’enquête initiale du personnage Naomi Watts. Un MacGuffin donc que cette quête de vérité, où le suspens laisse place à un regard neutre, sans contemplation pour une véritable organisation familiale.

Pour sublimer tout ça, Cronenberg use d’une mise en scène efficace, allant à l’essentiel (à l’instar de cette lutte incroyable dans les bains turcs) et se refusant à porter un jugement sur quelque personnage que ce soit. On évite pas quelques ficelles narratives faciles (le médecin recueille le bébé parce qu’elle ne sait pas en avoir, le fils rejeté finira par rejeter son père en quelque sorte…) et un final certes mélancolique mais un peu trop prévisible (qui évite néanmoins le happy end classique), mais dans l’ensemble tout tient la route. Surtout le gore, assez présent dans le film, exagération d’une violence montrée frontalement, trop peut-être pour les âmes sensibles, mais avec un surréalisme qui sied parfaitement à l’univers du cinéaste.

Mais la véritable qualité de Cronenberg dans ce film réside dans sa direction d’acteur. Inutile de parler de la performance de Viggo Mortensen, largement commentée et, à juste titre, avec des éloges unanimes. Il est vrai que l’acteur trouve là, à ce jour, son meilleur rôle, ambigu et charismatique au plus haut point. Mais il serait grave d’oublier dans la foulée Armin Mueller-Stahl, qui compose un patriarche tenant autant de Vito Corleone que de Raspoutine. Face à eux, Naomi Watts apparaît un peu trop en retrait, et Vincent Cassel malgré une fort belle composition sur l’ensemble dérape quelques fois et perd de sa crédibilité, erreur fatale face aux deux autres personnages masculins principaux du film.

Œuvre ténébreuse, étouffante, sorte de Les Affranchis rencontrent le Parrain à Londres, cet Eastern Promises prouve qu’un cinéaste peut toujours surprendre : Cronenberg délaisse son genre de prédilection pour offrir un film âpre, dur, violent, mais profondément universel, captivant, touchant. Un véritable sursaut de ce cinéaste jugé en demi-teinte depis quelque temps. A moins que ce ne soit l’air de Londres qui, comme pour Woody Allen, transcende le cinéaste. Avis aux producteurs hollywoodiens en manque d’inspiration : prenez des vacances à Buckingham Palace !

Note : ****

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