samedi 5 avril 2008

No country for old men


Faut-il faire le point sur son parcours pour revenir au mieux de sa forme ? A voir le résultat de No country for old men, on est en droit de se poser la question.

Pensez donc : voilà 6 ans et deux films en demi-teinte que les frères Coen ne nous séduisaient plus. Alors quand ils arrivent au Festival de Cannes avec leur premier scénario non original et une absence totale d’acteurs récurrents (ni John Goodman, Frances McDormand, Steve Buscemi, Peter Stormare, John Turturro ou même George Clooney), on est en droit de se demander ce qui nous attends… Et la surprise est de taille : acclamé à Cannes, plébiscité aux Golden Globes, sacré par 4 Oscars dont 3 majeurs (Meilleur film, Meilleurs réalisateurs, Meilleur scénario adapté et Meilleur second rôle masculin pour Javier Bardem), No country for old men signe le grand retour critique (et public) des frangins terribles du ciné US.

A la base du film se trouve donc le roman éponyme de Cormac McCarthy. Mais quand on dit à la base, c’est vraiment à la base : rarement une adaptation aura-t-elle été aussi fidèle, au mot près. On peut ainsi retrouver le speech de Bell (Tommy Lee Jones) à la dernière page du roman, c’est dire ! Le film surprend aussi, en plus d’être une première adaptation pour les deux frères, en s’éloignant des comédies que les Coen nous ont déjà servies jusqu’ici. Joel se défend pourtant : « Il y a pas mal d'humour dans le livre, même si on ne peut pas franchement le qualifier de roman humoristique. C'est un humour très noir - et c'est la caractéristique qui nous définit. Le livre est également violent, presque sanglant. C'est certainement d'ailleurs le film le plus violent que nous ayons jamais fait. » Sans compter que le scénario est une réussite dans le genre, alternant plus ou moins subtilement les moments de tensions, les explosions soudaines et assez courtes de violence et les répliques plus drôles. On regrettera sans doute un manque de rigueur dans la mort d’un des personnages, et une fin en totale rupture avec le reste du film, même si parfaitement dans l’esprit amoral du récit.

Curieusement, on s’éloigne aussi de l’univers des frères Coen pour se tourner plutôt vers une thématique « eastwoodienne » à savoir le vieillissement. Fait surprenant s’il en est, car il s’agit bien là d’une thématique profonde et sérieuse, ce à quoi Ethan et Joel ne nous avaient pas habitué. Mais cette thématique permet surtout de porter un regard précis sur la violence. En effet, jamais film des Coen n’aura été aussi violent (plus encore que Blood Simple ou Fargo), notamment à travers le personnage de Chigurh, assassin impitoyable et effrayant. Ce n’est pas tant la représentation de la violence qui est mise en avant que la perception de celle-ci, à travers justement les yeux du shérif Bell vieillissant. Le personnage de Tommy Lee Jones permet donc une identification du spectateur (« pourquoi tant de violence en fin de compte ? ») mais aussi une prise de position des frères Coen, dépassé par un cinéma américain contemporain faisant la part belle à l’hémoglobine. Est-ce un hasard si le récit se déroule dans les paysages désertiques du Texas et du Mexique, décors récurrents du western, genre typiquement américain et singulièrement violent ?

Côté réalisation, les frères retrouvent aussi leur grande forme : cadrage précis, montage au scalpel, précision de la photographie (certaines scènes tournées en extérieur nécessitaient une lumière précise qui n'existe que pendant quelques minutes au lever et au coucher du soleil, ce qui obligeait toute l'équipe à tourner très rapidement un nombre limité de plans, étirant ainsi le tournage sur plusieurs semaines) et direction d’acteur parfaite. La tension est palpable dès le début de la chasse à l’homme, et vient s’ajouter à une ambiance particulière, sulfureuse et suffocante, comme les frères savent si bien la créer.

Pour en revenir aux acteurs, il faut saluer le trio de choc que composent Josh Brolin, Tommy Lee Jones et Javier Bardem. Le plus chanceux d’entre eux étant sans doute Josh Brolin, qui a bien failli ne pas se retrouver à l’affiche : non seulement le rôle avait été proposé à Heath Ledger, mais en plus les Coen avait refusé de faire passer une audition à Brolin. Il aura fallu que celui-ci ruse et fasse appel à son ami Roberto Rodriguez pour qu’il fasse une vidéo (montée par Quentin Tarantino qui plus est). Le résultat est là : il n’y a aucun regret à avoir, Brolin étant tout simplement très bon. Tommy Lee Jones, rôdé aux rôles de shérifs texans, est lui aussi à son sommet, mais c’est bel et bien Javier Bardem (dont la coiffure inoubliable est en réalité inspirée d’un tenancier de bordel en 1979) qui remporte la palme, composant un tueur sans pitié, complètement dingue. Sa manière de tuer est à elle seule du grand art (une bonbonne d’air comprimé), mais Javier Bardem parvient à s’effacer totalement derrière son personnage et donner à celui-ci une aura mystique, une sorte d’ange de la mort sorti de nulle part qui prend plaisir à faire son métier, que ce soit sur les hommes ou les femmes. Notons aussi le sympathique personnage de Woody Harrelson qui ne fait hélas pas long feu.

Film lent mais sans contemplation, maîtrisé de bout en bout, décalé par rapport au reste de la filmographie des auteurs, No country for old men est une œuvre étrange, véritable réflexion sur le monde contemporain et son cinéma américain. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais plutôt un exercice de style, assez réussi au demeurant.

Note : ***

1 Comment:

jf said...

juste une remarque sur Javier Bardem : son personnage est impassible, froid et n'éprouve aucuns sentiments humains. Il a un contrat à remplir et va le respecter selon sa propre éthique qui n'est pas si éloignée des valeurs traditionnelles des héros du western classique. Il va d'ailleurs affronter des personnages plus contemporains (flics, tueur, commanditaire, couple américain) qui ont perdu ces valeurs, ce qui les rend vulnérables si on se place du point de vue du vieux sherif (TLJ).
Son côté impitoyable et inarrétable m'a fait pensé au personnage de Terminator.