lundi 28 avril 2008

Funny Games U.S.


Michael Haneke n’a rien de traditionnel ; on peut même dire que, dans son genre, c’est un innovateur, qui revient sur le devant de la scène avec un film étrange : Funny Games U.S.

Pourquoi étrange ? Eh bien parce que le film est un remake très très fidèle du Funny Games original de 1997, déjà signé Haneke, qui avait soulevé indignations et admirations à sa sortie, au point de devenir un film culte et incontournable, qui ne laissait personne indifférent. La chose la plus troublante vient de l’intérêt même de ce remake.

On le sait, plusieurs cinéastes ont déjà fait des remakes de leurs propres films avant Haneke (citons Hitchcock, Leo McCarey, Frank Capra, Howard Hawks ou encore Roberto Rodriguez) mais jamais ces remakes n’étaient des « shots for shots », des remakes plans par plans de l’œuvre originale. Le seul à avoir fait cela était Gus Van Sant et son Psycho. Haneke débute donc sa carrière américaine par le remake « shots for shots » de son film le plus célèbre, et aussi le plus dérangeant. Mais pourquoi ? Le réalisateur s’explique : « Je cherche à montrer la violence telle qu'elle est vraiment : une chose difficile à avaler. Je veux montrer la réalité de la violence, la douleur, les blessures infligées par un être humain à un autre. Sortant d'une récente projection de Funny Games U.S., un ami critique m'a dit : "Ce film a maintenant trouvé sa vraie place." Il a raison. Lorsque dans les années 1990, j'ai commencé à songer au premier Funny Games, je visais principalement le public américain. Et je réagissais à un certain cinéma américain, à sa violence, à sa naïveté, à la façon dont il joue avec les êtres humains. Dans beaucoup de films américains, la violence est devenue un produit de consommation. Cependant, parce que c'était un film en langue étrangère et que les acteurs étaient inconnus des Américains, le film original n'a pas atteint son public. Lorsqu'en 2005, le producteur britannique Chris Coen m'a suggéré de le refaire en anglais, j'ai accepté... à condition que Naomi Watts en soit la vedette. » Voilà qui est fort louable, mais on ne peut s’empêcher d’y voir une dimension économique non-négligeable : Haneke n’a jamais été un cinéaste à succès, donc autant tenter de rendre plus agréable son film le plus connu. Et qui plus est, on ne comprend toujours pas l’intérêt d’un « shots for shots » (la production a d'ailleurs réutilisé les modèles du film original : le décor principal de la maison a ainsi été recréé dans les mêmes proportions que celui de la première version).

Cela implique que l’on retrouve les même qualités et les même défauts que dans l’original. A nouveau donc, le jeu du hors-champ est énorme dans ce film. Et c’est là son point fort : Haneke n’a jamais travaillé dans le sensationnel, dans le spectaculaire mais toujours dans le cérébral (études de psychologie obligent) et dans un jeu intéressant avec le spectateur. Le propos de Haneke est très clair : Funny Games est là pour dénoncer le voyeurisme et la violence au cinéma. Bref, il questionne le cinéma dans sa veine contemporaine, et demande aux spectateurs de réfléchir aussi à leur rapport avec cette violence quotidienne qu’ils acceptent et, pire, demandent. Funny Games est donc un produit de frustration : dans ce film (traité de manière assez froide au demeurant), vous ne verrez rien, vous devrez imaginer ce qui se passe. Plus d’un spectateur sera dérouté, pour ne pas dire dégoûté, d’avoir payé pour assister au massacre d’une famille et ne rien voir. En revanche, Haneke incite à une participation spectatorielle phénoménale, le film étant un véritable travail d’imagination pour ceux qui le regarde. Cela ne s’arrête pas là : Haneke implique aussi le spectateur en statut de voyeuriste assumé. On remonte alors à l’origine du cinéma, à l’époque où le cinéma se savait regardé et agissait en tant que tel, avant que Griffith impose un cinéma qui se sait regarder mais fait semblant de l’ignorer. Ici, les regards caméras, les adresses même d’un des tueurs au spectateur, établissant une complicité entre lui et le public, pire en lui demandant d’agir (« C’est un peu court pour un long métrage, vous ne trouvez pas ? Vous espérez une fin digne de ce nom, n’est-ce pas ? ») force le spectateur à quitter son rôle de voyeur discret pour devenir acteur d’une torture infligée à une famille. Sur base de procédés simples ou d’effets que l’on a volontairement oublié dans l’évolution du cinéma, Haneke impose donc une réflexion globale sur la violence, la représentation que s’en fait le spectateur et son implication dans celle-ci, vu qu’il est originellement demandeur de violence à l’écran. Il y a aussi ces séquences, interminables, où le couple tente de se libérer et de prévenir la police. Formés de plan-séquence où peu d’action se passe, ces séquences font également perdre au spectateur l’intérêt du film, l’ennuyant et plaçant donc l’idéologie du film dans une drôle de posture : les meilleurs moments n’étaient-ils pas quand les jeunes torturaient la famille ? Le rapport du spectateur devient alors trouble, vu qu’il préfère assister à des scènes de tortures plutôt qu’à des scènes dramatiquement fortes mais sans action.

Mais Haneke va plus loin encore lorsqu’il se bat contre ce qu’il appelle la « deuxième réalité », celle que tentent de nous faire croire les médias mais qui n’est pas une réalité. Par principe, un film est une « seconde réalité » aussi, et Haneke souligne que cette réalité est fausse, qu’il s’agit d’une manipulation, au travers d’une scène étrange et subtile d’un retour en arrière grâce à une télécommande. Grâce à cette séquence, il fait clairement comprendre au spectateur que nous sommes en présence d’une fiction, que le massacre que nous sommes en train de voir n’a rien de réel, que la violence ne doit pas être un objet à regarder comme une réalité mais un objet à regarder en ayant conscience de sa nature trompeuse.

Mais où se situe le problème alors ? Eh bien il tient en deux points : premièrement, la leçon de morale donnée par Haneke peut sembler justifiée mais finit, à force d’être trop martelée, par devenir agaçante. S’il s’agit sans conteste d’un provocateur doué, d’un philosophe confirmé, Haneke n’a rien du pédagogue, et son film devient un cours de morale trop pompeux pour pleinement convaincre. Ensuite, le second problème majeur vient d’une simple image : celle où l’un des deux jeunes se fait tuer. Alors que le film a joué avec le hors-champ, de manière admirable il faut le rappeler, durant tout le film, Haneke relâche la pression le temps d’un plan explicite où le jeune est tué d’un coup de fusil de chasse, répandant son sang sur tout le mur. Non seulement on ne comprend pas pourquoi Haneke arrête délibérément son jeu du hors champ, mais surtout il faut voir la réaction du spectateur à cette scène : elle répond enfin à ses attentes. De fait, le spectateur oublie les 1h30 qui viennent de passer, et attends de voir si le sang va encore jaillir ; Haneke perd alors toute l’attention du spectateur, et la réflexion qu’il a forcé à mener jusque là s’évapore. D’où question : quel était le but d’Haneke de faire ça ?

La différence notable entre l’original et le remake se situe dans l’interprétation. Non pas que les acteurs du Funny Games de 1997 soient mauvais, loin de là, mais il faut bien reconnaître que le casting que s’est offert Haneke pour ce remake est tout simplement superbe, magistralement dominé par le duo Michael Pitt/Brady Corbet, au sommet de leur talent. Avec leurs gueules d’anges, ils composent des psychopathes redoutables, plus encore Pitt que Corbet, démontrant un magnétisme et une maîtrise de son jeu tout à fait bluffant. Si ce n’est pas une révélation, c’est la preuve ultime qu’il s’agit là d’un acteur à avoir à l’œil.

Film ambigu donc, avec une idéologie très claire jusqu’à un certain point, où l’on perd un peu le sens du message, Funny Games U.S. est le portrait craché de son modèle original : un film d’une grande richesse intellectuelle mais qui, à force de se répéter et, surtout, de ne pas assumer son message jusqu’au bout, déstabilise. Et, du coup, sa qualité en pâtit. Reste néanmoins, concernant le remake, une série de performances toutes plus belles les unes que les autres. Cela compense avec cette question sans véritable réponse du pourquoi du remake.

Note : entre ** et ***

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