samedi 6 octobre 2007

Les sentiers de la gloire (Paths of glory)


Les films sur la Première Guerre Mondiale sont assez rares pour être signalés ; les films de Kubrick sont si riches qu’ils méritent que l’on s’y attarde : voilà pourquoi nous allons parler brièvement de ses Sentiers de la gloire, où les débuts de sa renommée.

Après trois échecs commerciaux (Fear and Desire, Killer’s kiss et The Killing) dont le dernier a cependant été acclamé par les critiques, Kubrick se verrait bien réaliser un nouveau film sur la guerre, d’où l’envie de raconter cette histoire de Poilus fusillés « pour l’exemple ». Le cinéaste se met donc à écrire son scénario sans perdre de temps, de nuit qui plus est puisqu’en journée il écrit l’adaptation de Brûlant secret de Stephan Zweig, pour la MGM. Cette dernière, découvrant que Kubrick travaillait sur un scénario non officiel, le renvoya, ce qui permettait enfin à Kubrick d’être indépendant et de se concentrer pleinement sur Les sentiers de la gloire. Pour des raisons financières, Kubrick envisagea d’abord un happy end, mais se fiant à son instinct (et aux conseils de ses collaborateurs) il décida de garder la fin pessimiste du livre initial écrit par Humphrey Cobb. Les auteurs voyaient alors bien Richard Burton ou James Mason dans le rôle du Colonel Dax. Pour tenter d’attirer l’attention des studios, Kubrick et Harris n’hésitèrent pas à louer des costumes militaires, à photographier des hommes les portant et à coller les images en couverture de chaque copie de scénario. Kirk Douglas est finalement approché, mais est trop occupé à Broadway pour accepter ; Gregory Peck lui est sur un autre projet. Finalement, les deux acteurs se libèrent et c’est Douglas qui emporte le morceau, parvenant à offrir 350 000 dollars de budget : l’acteur menaça en effet la United Artists de ne pas faire Les Vikings, succès assuré, si les studios n’investissaient pas dans le film de Kubrick.

Le tournage peut donc commencer : ironie du sort, pour raconter cette histoire de Français Kubrick se déplace en Allemagne, où il obtient le terrain d’un fermier que l’équipe retravaille pendant des semaines avant d’obtenir le décor parfait d’un champ de bataille. Parallèlement, Erwin Lange, le responsable des effets spéciaux, passe devant une commission du gouvernement allemand avant d’obtenir les explosifs nécessaires au film ; plus d’une tonne fut ainsi utilisée rien que pendant la première semaine. Perfectionniste, Kubrick va jusqu’à recommencer 68 fois la scène du « dernier repas des condamnés », ce qui coûte un nouveau canard rôti à chaque fois. Perfectionniste mais s’autorisant des extras avec la réalité : soucieux de l’aspect technique de son film, Kubrick n’hésite pas à élargir les tranchées de deux pieds (+/- 60 centimètres) pour permettre à sa caméra de faire ses fameux travellings, ce qui fait passer la taille de la tranchée de 1 mètre 20 (taille réelle) à 1 mètre 80.

Accueilli en grandes pompes par les critiques américaines (mais le public boudera une fois de plus le film), le film provoque un scandale à sa première en Belgique : les anciens combattants se sentent offensés, la France interdit officieusement la diffusion du film jusqu’en 1975 (cela portait atteinte à leur honneur et à l’armée), la Suisse suit le mouvement tout comme l’Allemagne qui ne veut pas détériorer ses relations avec la France, et l’Espagne de Franco rejette ce film antimilitaire jusqu’en 1986 (soit 11 ans après la mort de Franco quand même…).

Il est vrai que Kubrick n’y va pas de main morte avec les stéréotypes : les Français sont ainsi dépeints comme des arrivistes pour la plupart, les officiers vivant dans des châteaux où se tiennent de succulents repas et de somptueux bals tandis que le soldat lui souffre dans les tranchées… Il y a du vrai, mais cela méritait-il d’être aussi appuyés pour être efficace ? Sans doute, car à l’époque les gens étaient moins conscients de l’horreur de la guerre qu’à l’heure actuelle, tentant d’oublier celle de 40-45. Passé ce défaut, la mise en scène de Kubrick se révèle vite très intéressante pour un jeune homme de 28 ans : maîtrise totale de l’espace (de nombreux plans symétriques) et des mouvements de caméra (dont le fameux travelling compensé, sa marque de fabrique, trouve ici toute sa puissance et son sens), sens de la métaphore (le carrelage en damier du procès fait écho à un jeu d’échec, tandis que les déplacements des deux généraux au début du film font penser à un combat de félins) et déjà une direction d’acteur exceptionnelle. Si jeune, Kubrick trouve déjà sa voie, son style, et surtout prouve qu’il a une maturité cinématographique peu commune et une avance sur son temps considérable (peu de films de guerre sont aussi clairement antimilitaires à l’époque). Il y a également dans ce final optimiste, vestige du happy end que désirait initialement Kubrick, une dose d’amertume conforme à l’esprit du film, qui ne trahit pas le côté dénonciateur du film et confirme que Kubrick n’avait rien d’un pessimiste.

Dans le rôle du Colonel Dax, Kirk Douglas excelle, fort et idéaliste comme toutes les grandes stars de l’époque, mais aussi avec ses faiblesses comme cette crainte de ses supérieurs au début du film : bref, un personnage humain. C’est pourtant dans les seconds rôles qu’il faut aller chercher le meilleur, d’Adolphe Menjou à Timothy Carey en passant surtout par Georges MacReady et Ralph Meeker, d’une justesse infaillible.

Considéré comme le premier chef-d’œuvre de Kubrick, Les sentiers de la gloire relève autant de la réussite formelle que de l’audace scénaristique, osant aborder un sujet délicat de manière crue et directe. Les quelques digressions du film, sans doutes dues au jeune âge du cinéaste, n’enlèvent rien à la puissance du film, qui reste encore aujourd’hui d’une étonnante modernité.

Note : *****

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