lundi 2 août 2010

Le dossier Adams (The Thin Blue Line)

27 Novembre 1976: David Harris, 16 ans, vole une Mercury Comet bleue, de l'argent et un pistolet. Il se rend à Dallas. Le lendemain, un policier est abattu par le conducteur non identifié d'une voiture bleue. Harris commet plusieurs méfaits et finit par être arrêté. Il dénonce alors Randall Adams, comme l'auteur du meurtre du policier. Il affirme avoir pris celui-ci en auto-stop, ils ont bu, été au cinéma et la balade s'est mal terminée. Adams nie. Interrogé, au secret, identifié par de nombreux témoins douteux, il est condamné à mort. Par chance, la cour Suprême des Etats-Unis casse le jugement. 17 Avril 1985: c'est la date de la première rencontre entre Errol Morris, cinéaste, et David Harris. Morris s'intéresse à l'affaire et interroge les témoins. Ses interviews filmées sont acceptées comme pièces à conviction et font apparaître les aberrations de l'enquête, des témoignages, de l'examen psychiatrique d'Adams. On découvre aussi que l'un des magistrats est incompétent. Enfin, Harris avoue, au cours d'un enregistrement qu'il est seul coupable du policier. Le 21 Mars 1989, Adams sort de prison après 12 ans de réclusion dont 3 dans le couloir de la mort. La légende de ce film le dépasse un peu : non, ce n’est pas seulement grâce à ce documentaire que Randall Adams a été rejugé et acquitté mais il faut bien admettre qu’il y a grandement participé.

Errol Morris part donc d’un fait divers qui le perturbe et mène une véritable enquête policière pour connaître la vérité. Qui ne connaît pas le style d’Errol Morris sera peut-être dérouté dans un premier temps puis ne verra pas la nouveauté de ce procédé et pourtant : la stylisation du documentaire et le souci de la reconstitution ne sont que des idées récentes dans les émissions et documentaires télévisuels, justement influencés par Thin Blue Line qui eut, à sa sortie, un impact considérable sur ceux qui l’ont vu (Morris passa par ailleurs à ras de la nomination aux Oscars, qu’on lui refusa car son film fut catalogué comme « fiction » !).

Il y a donc un travail d’enquête tout à fait impressionnant (les faits remontant à 9 ans lors du tournage, Morris ayant du retrouver les acteurs du procès et de l’enquête policière) mais au-delà de la qualité de l’investigation, c’est la réalisation qui est magistrale : Morris propose plus qu’un documentaire, un véritable thriller stylisé, avec son ambiance (la musique de Philip Glass fait des merveilles), sa photo exemplaire et son sens du cadrage et de la reconstitution. Chose étonnante aussi : Morris parvient à rester objectif en n’intervenant pas directement dans le film (on n’entend jamais ses questions, sauf par obligation dans les aveux du vrai coupable) et en plus filme exactement de la même manière (même distance, même cadrage, même éclairage) tous les intervenants. Le spectateur est alors mêlé à l’enquête et doit se faire lui-même son propre avis sur Adams, en fonction des preuves et témoignages dont il dispose, avant de voir l’énigme résolue par les aveux de Harris en fin de film.

Un véritable modèle de documentaire d’investigation, critique (en gros il dénonce quand même le dysfonctionnement judiciaire au Texas) et plutôt ironique : après avoir évité la chaise électrique grâce au film, Adams intentera un procès au cinéaste pour avoir tiré profit de sa vie et demandera des dommages et intérêts. Qui a dit que les Américains n’avaient pas le sens pratique ?

Note : ****

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