mardi 29 novembre 2011

Les Chaussons Rouges (The Red Shoes)

S’il est un nom inévitable quand on parle de cinéma britannique, c’est bien celui de Michael Powell. Et s’il est un nom indissociable de celui de Powell, c’est bien celui de Emeric Pressburger : il faut dire que ce duo est responsable de certains des plus beaux (et meilleurs) films des années 40, parmi lesquels Les chaussons rouges tient une place de choix.

Pourtant, le film démarre relativement mal : très lent, le premier quart d’heure est franchement dispensable (au final, quel intérêt que le jeune compositeur ait vu sa partition plagiée ?) et il faut bien admettre que Marius Goring n’est pas le plus attrayant des jeunes premiers. Il faudra bien attendre 40 minutes avant que le film n’entre dans sa toute grande puissance formelle et narrative. C’est alors qu’intervient le morceau de bravoure du film : la séquence du ballet, conséquente, qui est un véritable chef-d'oeuvre à elle seule, à la fois pure mise en scène théâtrale et pure mise en scène cinématographique réunies. On y retrouve à la fois la caméra frontale et les surimpressions, les points de vue scéniques et les effets de montage. Powell s’amuse visiblement à étaler tout son savoir faire, à montrer comment transcender un numéro de danse en un grand moment de cinéma. Il faudra attendre la fin du film pour retrouver une élégance et une intelligence égale, où le cinéaste fait preuve d’une habilité aux cadrage et montage tout à fait remarquable.

C’est aussi à ce moment-là que Moira Shearer, pas très convaincante en jeune épouse déchirée, devient convaincante en danseuse assoiffée de gloire, dominée par ses envies irrépressibles de danser. Pourtant, c’est bel et bien Anton Walbrook dans le rôle du "méchant" et véritable héros du film (belle audace pour l'époque) qui emporte le morceau, une de ses crapules ambiguës, dont on ignore encore au final ses véritables motivations, le véritable sens de sa jalousie : amoureuse ou artistique ? Car c’est aussi ça la réussite du film de Powell et Pressburger, ces non-dits, ces mystères qu’on ne résout pas, ce flirt entre l’explicatif et le mystérieux (le film frôle presque le fantastique sur la fin d’ailleurs).

Force est de constater que, malgré une demi-heure en trop à mes yeux, Les chaussons rouges s’apparente à ce qu’on appelle communément un chef-d’œuvre, ou tout du moins s’en approche-t-il grandement : il y a certes des défauts, des petites lacunes, de légères rides de ci de là, mais c’est globalement un grand film où le Technicolor le dispute à une inventivité de mise en scène loin d’être négligeable. Un classique qui mérite son nom.

Note : ****

samedi 12 novembre 2011

Mondo Plympton

Dans le monde du cinéma d’animation contemporain, où tout est de plus en plus formaté selon une série de critères esthétiques et commerciaux (aussi bien Dreamworks que Pixar, Disney ou Sony), il existe encore quelques irréductibles indépendants qui n’ont cure des codes préétablis, du numérique à tout va ou de la soif de notoriété. Parmi eux, Bill Plympton est sans doute le plus connu et, disons-le, le plus radical.

Au moins, le titre est honnête : Mondo Plympton est avant tout l'occasion de découvrir l'univers du cinéaste. À travers une série de courts métrages, c'est tout un style visuel et un humour absurde, surréaliste et profondément noir qui émerge. Bien qu’ils soient inégaux, les courts présents ici sont autant de pierres portées à l’édifice d’un cinéma violent et dérangeant, résolument borderline, forcément adulte. Il y a dans Mondo Plympton par exemple une fascination pour les visages torturés, pour la distorsion, pour le sexe, la violence et le gore. Plympton s'amuse à jouer soit du contrepoint soit de l'interprétation excessive de phrases toutes faites, d'expressions ou de proverbes. Le réalisateur ne s’embarrasse guère d’une quelconque histoire : il préfère partir d’un mot, d’une phrase pour ensuite en tirer un délire visuel total et souvent délicieusement glauque. Énumérer les blagues morbides, les gags glacials et les chutes décalées ne serait pas rendre justice à tout un travail sur le lien entre l’image et le texte ou le son. Bien sûr, c’est un humour à part, pas forcément appréciable par tous, donc prudence. Je dois bien admettre que par moments, la longueur s’est un peu fait sentir, notamment sur les courts métrages les plus longs (évidemment), ce qui me laisse un peu dubitatif quant à la découverte d’un vrai long métrage de Plympton…

L’animation, à l’instar des gags, n’est pas non plus visuellement des plus attirantes : d’apparence brouillonne (le trait au crayon n’est pas toujours soigné), elle exprime surtout un côté « fait main », artisanal justement pour se démarquer des productions standardisées mais aussi, sans doute, pour rappeler le passé BD du cinéaste. À y regarder de plus près, l’animation est surtout d’une fluidité étonnante, Plympton jouant énormément des métamorphoses continues comme dans Your Face ou Nosehair. La force de Plympton est aussi d'avoir des idées fulgurantes mises en images tout aussi éphémères : Plympton ne travaille pas ici sur le long terme mais, a contrario, sur des images chocs qui marquent les esprits (un baiser qui se transforme en décapitation, un sumo tombant du ciel, etc.).

Bill Plympton, ce serait donc un peu comme si Tex Avery était né dans les années 50, ayant grandi avec l’explosion de la censure et une série de cartoons pour adultes type Fritz the cat et Tarzoon la honte de la jungle, débarrassé des contraintes des studios. Vous imaginez le résultat ? Si pas voyez Mondo Plympton, ce sera beaucoup plus… explicite.

Note : ***

mercredi 9 novembre 2011

Contagion

On est en droit d'en penser ce que l'on veut, mais Soderbergh a au moins le mérite d'essayer de nager à contre-courant. L’ennui avec lui, c’est qu’à force de vouloir toucher à tout, de vouloir tout essayer, il fait un peu « à la va-vite » ses films ; par conséquent, soit le résultat est correct, soit décevant comme ce Contagion.

Entendons-nous bien : le film n’est pas un échec sans nom. Je dirais même que le film bourré de bonnes idées et qu’il a de bonnes intentions (parfois trop, à l'image de cette conclusion écologique), sans oublier un casting cinq étoiles vraiment sympa. L’intérêt de Contagion, c’est que Soderbergh ne met pas tellement en avant l'apocalypse bactérienne mais ce qui l'entoure, à l'échelle à la fois de la société et de l'individu. Il y a bien sûr ces scènes de rues barbares où pillages font loi, mais les séquences les plus intéressantes du film sont probablement celles où un personnage hésite à toucher un objet, où un père craint pour sa fille si elle embrasse son petit ami, où un médecin panique en découvrant qu’elle a les symptômes de la maladie. Contagion fonctionne par détails disséminés dans la masse, des êtres communs confrontés à un fléau mondial, sans échappatoire ni même espoir. En ce qu’il montre le paroxysme de la paranoïa et le déclin de l’être humain face à un ennemi qu’il ne peut vaincre, Contagion est réussi.

Hélas, le film est aussi rapide que le virus qu'il évoque : tout est survolé, parfois bâclé, voir même frustrant (Gwyneth Paltrow, 5 minutes à l'écran, Kate Winslet 10...). Soderbergh, comme trop souvent, possède un sujet en or mais aux multiples facettes, et ne parvenant pas à se décider il essaie un peu tout. C'est franchement dommage car du coup, cette superficialité et ce manque de gestion du temps finit par occulter la forme du film, à savoir une ambiance soignée, alimentée par une soundtrack signée Cliff Martinez décidément très bon. L’attachement aux personnages en pâtit aussi puisqu’ils apparaissent trop aléatoirement et trop peu de temps (exception peut-être de Matt Damon et Laurence Fishburne).

Contagion est donc comme une jolie coquille vide, qui à trop vouloir aborder tout en même temps n’approfondit rien et rend le film un peu superficiel malgré son potentiel. Qui trop embrasse mal étreint.

Note : **

dimanche 6 novembre 2011

Les marches du pouvoir (Ides of March)

Les (bons) acteurs qui deviennent de bons réalisateurs, c’est plutôt rare. Bon en fait, on peut les compter sur les doigts de la main. Mais il faut depuis quelques années ajouter à la liste ce brave George Clooney, cette espèce de Cary Grant des temps modernes, qui non seulement a de l’humour, joue bien mais en plus réalise des films de plus en plus aboutis.

Avec son quatrième film, Clooney laisse entrevoir des thèmes et un style récurrent. Tout d’abord, il y a une fascination pour les faux-semblants, pour la manipulation et pour la guerre psychologique. Ides of March est à l’instar de Good night and good luck une lutte pour le pouvoir via les médias, une bataille sans merci que se livre des pros de la communication en pleine période électorale. En réalité, tout est dans le titre : dans la langue anglo-saxonne, « Ides of March » désigne le moment où Jules César fut poignardé par son fils adoptif Brutus (Shakespeare mets d’ailleurs ce moment en scène dans Julius Caesar) ; Les Marches du pouvoir, c’est donc une histoire de complots, de trahison mais surtout de lutte entre une figure paternelle (Clooney mais aussi Philip Seymour Hoffman impeccables) et la relève, la véritable star du film malgré un casting impressionnant : Ryan Gosling. Vu l’année qu’il vient de vivre (Blue Valentine, Drive), ce serait bien le diable si son talent n'était pas récompensé aux prochains Oscars. Il incarne ici cette merveille de jeune arriviste qui grimpe trop vite les échelons, dont l’idéalisme va être chamboulé par la réalité de la politique.

Rarement auparavant Clooney se sera montré aussi virulent et, surtout, cynique dans son propos. Sans compter que, subtilement, quelques indices laissent apparaître derrière le personnage du gouverneur Barack Obama ; Clooney serait-il déçu du mandat démocrate écoulé ? Ce n’est pas tellement le plus important, tant le réalisateur propose un vrai film de cinéma à la manière des thrillers politiques des seventies : une caméra stable et souvent fixe, avec un soin tout particulier apporté à l’ambiance via les lumières, les décors et surtout la musique signée de l’incontournable Alexandre Desplat. Esthétiquement, on pense souvent au documentaire de Hegedus et Pennebaker, The War Room, qui suivait la campagne présidentielle de Clinton en 1992. Clooney vient d’atteindre sa maturité, qu’on se le dise, prenant son temps pour raconter son histoire mais allant à l’essentiel, posant rapidement les personnages pour mieux les exploiter dans ce jeu de mensonges et de vérités.

S’il manque peut-être encore ce je ne sais quoi au film, peut-être une certaine rigueur à la Alan J. Pakula pour faire de Ides of March un incontournable, le film n’en est pas moins l’un des meilleurs films politiques de ces dernières années, surpassant de très loin l’effroyable W. d’Oliver Stone et bien plus sérieux que La conquête de Xavier Durringer. La classe américaine alliée à un retour aux techniques narratives et stylistiques seventies.

Note : ****