samedi 30 octobre 2010

Le démon en eaux troubles (Hell and High Water)

Samuel Fuller n'a pas totalement tort en disant que son film a des airs de BD : une organisation secrète qui tente d'empêcher les communistes d'utiliser la bombe atomique contre des innocents, un équipage de baroudeurs, un vieux scientifique et sa jeune assistante... Rien de vraisemblable là-dedans.

On comprend très vite pourquoi Fuller n’aimait pas vraiment ce film : le scénario est d’une faiblesse dramatique. Au niveau de l’intrigue, on comprend très vite les tenants et les aboutissants, qui va faire quoi et comment tout cela va finir (film de propagande oblige). Au niveau de l’action, il faut bien dire qu’il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent, à l’exception notable d’un duel psychologique avant tout entre le sous-marin américain et un sous-marin asiatique. Je précise bien asiatique car le pays n’est jamais réellement cité : de prime abord des Japonais, ils peuvent tout aussi bien être des Nord-Coréens ou des Vietnamiens, bref le film ne cible pas un pays en particulier mais plutôt l’idéologie communiste qui règne sur ce continent alors.

Il faut toutefois reconnaître que malgré ce scénario un peu honteux, le Cinémascope est utilisé de manière habile à défaut d'être géniale : les plans du sous-marin rendent justice à cette image fortement rectangulaire, et Fuller sait comment les remplir intelligemment quand il en a la possibilité. Mais là aussi, si c’est potable, on est bien loin des meilleurs plans de Fuller même dans une œuvre sur laquelle il n’avait, finalement, pas grand chose à dire.

Côté acteurs, Richard Widmark est bien sans être inoubliable, mais c'est surtout Victor Francen qui m'a emballé. Gene Evans est un peu trop effacé, et Bella Darvi n'est pas terrible.

Un Fuller en demi-teinte, même pour une oeuvre de commande.

Note : **

lundi 25 octobre 2010

Gimme Shelter

Ouverture du film : les Stones regardent un documentaire... Sur les Stones. Sur un concert plutôt, celui d'Altamont, de sa conception à son déroulement jusqu'à son dénouement tragique. Ce concert qu’ils ont créé, qu’ils ont amené à terme, et qu’ils regretteront le reste de leur vie.

Petit historique : à l’issue de leur tournée américaine de 1969 qui marque leur grand retour aux États-Unis, les Rolling Stones décident de donner un concert gratuit à San Francisco où la sécurité sera assurée par les Hell’s Angels, comme à Hyde Park. Le concert aura lieu à Altamont (Californie). Vers la fin du concert, un spectateur, Meredith Hunter, brandit une arme de poing en direction de la scène. Tandis que la foule effrayée reflue, Alan Passaro, un Hell’s Angel membre de la sécurité, intervient et désarme le forcené en lui saisissant le poignet armé, puis lui poignarde le haut du dos, ou l'épaule, à au moins deux reprises. Mal rapporté par les médias de l'époque, l'incident assiéra la difficile réputation du club (il reste que le « forcené » est mort et que le Hell’s Angels a bénéficié de "la légitime défense" par le jury populaire, même s'il ne fait aucun doute sur le fait que le pistolet a été sorti avant le coup de poignard).

Sur fond de Satisfaction, Sympathy for the devil, Brown Sugar ou Honkytonk Women, on découvre donc l'envers du monde hippie, moyennement peace et pas vraiment love, où la déchéance liée aux psychotropes n'a d'égale que la violence régnant dans l'assemblée. Les femmes à poil côtoient les toxicos, qui côtoient les motards ivres et violents, qui côtoient des organisateurs désorganisés. C'est le portrait non pas d’un mouvement contestataire pacifiste et humain mais bien d'une génération en manque de repères, qu'on soit hippie ou Hell's Angels, qui est visible dans ce film. Elle est loin l’image de la fleur dans de longs cheveux d’une jeune fille aux seins nus ou d’un barbu cool. C'est aussi le portrait d'une utopie, celle d'un Woodstock bis étouffé dans l'œuf par une gestion bancale pour ne pas dire merdique, d’un public qui ne se rend plus compte de rien. D’une idée du paradis, on assiste à une véritable descente aux enfers.

En plaçant les protagonistes devant la démonstration de leurs erreurs, les cinéastes lancent un geste réflexif fort sur l'importance du documentaire, de la captation du réel comme trace, comme mémoire, comme source de remise en question. Charlie Watts, Keith Richards et surtout Mick Jagger palissent en revisitant leur passé pas lointain du tout, se rendant compte des négligences énormes qui ont coûté la vie à des gens qui venaient pour se détendre, fumer un peu (beaucoup) et voir gratuitement un groupe mythique dans un festival qui aurait du l’être lui aussi.

Image finale : Mick Jagger, son célèbre sourire totalement disparu de son visage, le teint blafard, se lève et s’en va, visiblement retourné par ce qu’il vient de voir : la fin d’une époque, celle de l’insouciance d’un groupe musical d’une part et d’une société toute entière d’autre part. Edifiant et effrayant.

Note : ****

vendredi 22 octobre 2010

Le bruit des glaçons

J’adore Blier. Je vénère Blier. Je béatifierais Blier si je le pouvais. En dépit, je suis un inconditionnel de son cinéma, de ses bons mots, de son ton irrévérencieux, de ses pitchs, de ses acteurs, de sa mise en scène délicate et raffinée, aux teintes de lumière et de couleurs si particulières. Aussi, je souffre quand Le bruit des glaçons me refroidit autant.

Oui, l'idée de base est géniale, comme souvent chez Blier : un écrivain alcoolo qui rencontre un beau jour un mec qui dit être son cancer. Du Blier pur jus, totalement absurde, offrant une base très riche pour l’histoire à venir – histoire qui, comme souvent, ne sera pas à la hauteur tout du long.

Oui, les dialogues fusent et sont subversifs, absurdes, délicieusement noirs.

Oui, Dujardin est bon, et Dupontel aussi à mes yeux. Dujardin plus, évocation troublante (d’un point de vue physique, c’est clairement affiché) à Bertrand Blier lui-même, tour à tour drôle, léger et grave. Dupontel cabotine par moments, mais c’est le rôle qui veut ça et très honnêtement, je ne trouve pas que ça choque. On a dit que pour la première fois, Blier a écrit un rôle féminin digne de ce nom pour Anne Alvaro. Je ne partage pas cette opinion :d’abord, car il y a Monica Bellucci dans Combien tu m’aimes ?, ensuite car j’ai trouvé ce personnage de la bonne plat, sans envergure, effacé, servant presque de faire valoir à celui de Dujardin. Inversement, Myriam Boyer en cancer (elle aussi eh oui) est elle toujours aussi surprenante.

Mais le problème n’est pas là. Le problème, c’est que Blier ne s'amuse plus et du coup, on se fait chier. Il y a une véritable audace de ton (comme toujours) mais pas de narration (mélange pas toujours équitable entre cinéma et théâtralité mais loin d’un film comme Les Acteurs par exemple). Il y a des personnages secondaires qui ne viennent que rallonger le film (quid du fils ? de la première femme ?), des scènes inutiles (la baise), et un cruel manque d'inventivité en matière de mise en scène : morne, sans vie, sans élégance, la caméra ne fait que se poser et enregistrer, sans chercher à pénétrer les personnages.

Et puis ce terrible sentiment que j’ai ressenti tout au long du film : le fait que Blier est devenu aigri, lui qui se marrait avec le sexe ne jurant plus que par l'Amour, lui qui détournait la mort de manière absurde la regarde désormais frontalement, en ayant la trouille. Avant de clôturer le film par un happy end tiré par les cheveux, incohérent, indigne de Blier.

Qu’importe : la filmographie de Blier n’est pas en phase terminale, elle ne peut pas l’être. Ce génie, ce R.C.N.I. (Réalisateur Cinéma Non Identifié) du cinéma français prouve malgré tout ici, dans ce film en demi-teinte, qu’il reste un dialoguiste exemplaire et qu’il regorge encore d’idées à exploiter. Espérons juste que le mal de crâne de ce Bruit des glaçons ne durera pas.

Note : **

samedi 2 octobre 2010

L'inconnu (The Unknown)

Bien qu’il soit plus connu aujourd’hui pour son Dracula avec Bela Lugosi et, surtout, son Freaks, Tod Browning était un cinéaste ayant plus d’un atout dans sa manche. The Unknown est probablement son film muet le plus célèbre, où il collabore presque main dans la main avec sa figure fétiche, celle de l’homme au mille visages, Lon Chaney.

L’histoire, somme toute basique, est celle d’un voleur simulant une infirmité (l’absence de bras) pour passer inaperçu dans un cirque mais aussi, accessoirement, dans l’espoir de mettre la main sur Joan Crawford. C’est bien là un récit typique de Browning : un mélodrame policier faisant part belle à la cruauté (des sentiments, mais aussi du corps de Chaney), totalement irréaliste mais plein de rebondissements.

Si Browning n’a révolutionné en rien le cinéma, force est de constater que derrière une caméra ce n’est pas un manchot pour autant : digne représentant de ce que André Bazin appelait le cinéma de la cruauté, Browning s’évertue à montrer la souffrance humaine dans ce qu’elle peut avoir de plus touchant (l’amour du personnage de Chaney pour celui de Joan Crawford, les refus qu’essuie Malabar auprès d’elle…) et sait tout autant se montrer habile pour créer du suspens (la vengeance du bandit envers Malabar à la fin du film).

Mais surtout, ce qui compte dans The Unknown, c’est bel et bien Lon Chaney. Cet acteur, merveilleux, démontre encore une fois qu’il est l’un des plus grands de sa génération, loin de jouer comme un pied, capable de modifier son aspect corporel à l’extrême pour un rôle. Une telle détermination, un tel dévouement à son art, personnellement les bras m’en tombent.

Très court (une cinquantaine de minutes) et très efficace, The Unknown est assurément l’un des plus beaux fleurons de la filmographie de Browning et de Chaney, et un immanquable muet que bien plus de cinéphiles devraient voir. Moi, chaque fois que je le vois, j’applaudis des deux mains en tout cas.

Note : ****