mercredi 31 mars 2010

Alice in Wonderland

Il y a quelque chose de pourri à Wonderland. Qu’est-ce ? Un virus, violent qui plus est, répondant au nom de Disney. Il faut être honnête : Lewis Carroll, Tim Burton, c’était une association qui faisait baver. Maintenant elle fait vomir.

Il n’y a définitivement rien de burtonien dans ce film. Le kitsch devient ici écœurant, tant les couleurs vives s’associent mais mal. Point de lugubre comme Tim aime, juste du sacrément glauque (il suffit de voir comment la folle réunion du thé est devenue morbide et pas drôle). Aucune inspiration même : entre les plagiats à peine voilés de Seigneur des Anneaux (la bataille contre le Jabberwocky), Le monde de Narnia (la bataille finale, le gros molosse qui sert de toutou de la Reine) et World of Warcraft, tout est filmé platement, sans vie, et pour cause puisque la majorité des plans sont entièrement numériques. Et tant qu’à parler du visuel, soulignons que la 3D est d’une inutilité déconcertante, comptabilisant peut-être une dizaine de plans réellement 3D et le reste étant parfois même si pas loupés totalement inintéressant.

Le pire dans tout cela étant que tout ce tape-à-l’œil ne masque pas le vide intersidéral d'un scénario plat, sans action, manichéen, prévisible, pire encore étouffant la folie onirique de Carroll : des délires d’un toxicomane et de l’imagination d’une jeune héroïne (ah que de plaisir de voir le dessin animé, déjà signé Disney pourtant, se lâcher aussi sauvagement dans les allusions et grandes séquences à l’humour tantôt absurde tantôt noir), on n’a retenu qu’une dimension soi-disant dramatique, dénigrant totalement qui plus est le sens de l’œuvre originale. C'est ridicule, pas drôle, ni enfantin ni adulte, plutôt adolescent pré pubères (comme en témoignera cette magnifique scène déconcertante, ou affligeante au choix, de numéro de tectonik à la fin du film).

Un mot sur le casting ? Vraiment ? Seule Helena Bonham Carter s’en sort avec les honneurs, composant une Reine de cœur plutôt sympathique dans le genre méchante pourrie gâtée. Tel hélas n’est pas le cas de l’actrice principale, que j’avoue ne pas connaître, ou pire encore d’un Johnny Depp fatigué, sorte de Jack Sparrow sous anesthésiant teinté de Sweeney Todd (mais juste teinté, pas plus svp).

Alors oui, les costumes sont beaux, certains effets spéciaux sont chouettes mais la suppression de l'intérêt des personnages secondaires (il faut voir comment sont massacrés le lapin blanc, le lièvre, le dodo et le chat frappadingue) et, au final, l'abnégation totale de toute marque de style propre à Burton au profit d'un divertissement martelé Disney qui n'a aucune conscience de son public cible, font de cette Alice un véritable cauchemar.

Note : 0

lundi 29 mars 2010

Bad Lieutenant : A Port of Call New Orleans

Je me souviens encore de cette bonne vieille blague : « Eh Bastien, t’es au courant que Werner Herzog va faire un film qui s’appellera Bad Lieutenant et que ce sera avec Nicolas Cage ? « Tu déconnes ? Ha ha ha ha ha ! ». Ha ha.

Faut dire que, de première vue, Werner Herzog et Abel Ferrara n’ont pas beaucoup de choses en commun. Et visiblement Herzog le sait, puisque tout ce qui garde du film de Ferrara est le personnage du flic junkie (et plus si affinités).

Bad Lieutenant est un film pour le moins étrange : film de cinéma mais fortement influencé narrativement par la série TV The Shield (le flic ripou qui va devoir faire des trucs moches pour sauver sa peau à la dernière minute…), très standard hollywoodien dans sa forme mais complètement décalé de ci de là (des points de vue subjectifs d’iguanes, et une gunfight qui vire au breakdance !), tout cela fait de ce film un objet hybride, étonnant, pas déplaisant.

D’autant que le casting est des plus alléchants : Nicolas Cage est irrésistible (surtout quand il torture une petite vieille pour faire parler sa coiffeuse !), Eva Mendes est juste… magnifique, et des seconds rôles de taille comme Brad Dourif et Val Kilmer viennent compléter le tableau.

Film policier sympa, assez standard mais avec un humour second degré plutôt cool, Bad Lieutenant est, à défaut d’être un grand film ou le retour en grâce d’un cinéaste évoluant en dents de scie ces dernières années, un divertissement de bonne qualité.

Note : ***

samedi 27 mars 2010

Loulou

Le film qui inaugura une nouvelle ère pour Pialat, celle de la maturité.

Dans les films à venir, on va retrouver le double cinématographique de Pialat, Gérard Depardieu, voir Pialat lui-même. Ici, ce sera Gérard, première collaboration qui se passera assez mal par ailleurs, même si les deux artistes s’entendent relativement bien. On sent encore Depardieu un peu confus, pas aussi puissant qu’il le sera dans Sous le soleil de Satan ou Le garçu par exemple. Il n’en demeure pas moins que ce monstre sacré démontre un talent indéniable à jouer les loubards ; est-ce parce qu’il l’a lui même été plus jeune ? Toujours est-il que Depardieu, tout comme Isabelle Huppert et Guy Marchand sont fantastiques. Pialat, grand directeur d’acteur.

C'est aussi un film, comme toujours, autobiographique et totalement fictif. Pialat parle de lui à la troisième personne et de manière fantasmée cette fois. Loulou a ainsi quelque chose de Nous ne vieillirons pas ensemble, en moins drôle mais avec cette même fragilité sous-jacente, une fragilité qui amène à une rupture dangereuse. Mais les deux films ne sont pas comparables : Nous ne vieillirons pas ensemble est un couple qui ne s’aime pas quand il doit s’aimer, Loulou est un couple qui s’aime quand il ne doit pas s’aimer. Dans le premier, Jean veut au fond sa liberté, le contrôle de sa vie ; dans le second le personnage de Huppert ne sait rester seule (si Loulou est absent, elle retourne près de son mari). Encore une fois, comme souvent chez Pialat, c’est de l’amour sans réellement en être. C’est un besoin de possession (la preuve avec la décision concernant le bébé de la part du personnage d’Huppert). Le seul lien que je vois avec Nous ne vieillirons pas ensemble, c’est qu’il est son complément : un milieu assez aisé dans le premier, des loubards dans le second. Dire que l’amour vache, c’est pour tous, quelle que soit la classe sociale.

C'est enfin un écho à la propre personnalité de Pialat : à vif, imparfait, passionné, fascinant et repoussant, inaccessible, et par-dessus tout instable. Pialat maîtrise chaque scène de A à Z, mais l’ensemble vacille parfois.

Film pessimiste, ou une fois encore l'idée de "couple" est très égratignée, mais film pur, sans plan inutile, et qui ne juge jamais ses personnages, ne montrant pas les causes des conséquences. En fait, on ne sait rien d'eux réellement. Comme dans la vraie vie, celle que Pialat ne pouvait supporter et qu’il parvenait paradoxalement à illustrer de manière magistrale.

Note : ****

jeudi 25 mars 2010

Trois Âges (Three Ages)

Face à la mode grandissante des films de plus en plus longs, beaucoup de vedettes du burlesque on eu la bonne idée de suivre le mouvement eux aussi, passant de deux bobines (soit 20 minutes environ) à six. Buster Keaton, rusé, misait sur deux tableaux pour son premier long : d’une part une parodie d’Intolérance de D.W. Griffith, film très populaire en son temps, et d’autre part en un croisement de trois récits qui, au cas où le film se ramasserait, feraient l’affaire de trois films de deux bobines distincts. Par chance, le film fit un carton, et Keaton continuera sur sa lancée de longs métrages par la suite.

Le point fort de Keaton ne réside pas tant ici dans ses prouesses sportives (bien qu’elles soient encore de haut niveau : la chute de l’immeuble ou le sauvetage de la noble romaine sont exemplaires) que dans cet humour si moderne de l’anachronisme. Trois âges repose ainsi sur une succession de saynètes où l’homme préhistorique joue au golf, où le Romain invente le traîneau des neiges et autres gags du même genre.

Le point négatif dirais-je est que, justement, à trop jouer sur 3 histoires, les répétitions sont nombreuses et le film, par conséquent, redondant. Dans l’ensemble ce n’est pas trop grave, le film ne durant qu’une heure, mais bon…

Reste que ce film, comme bien d’autres de l’artiste, illustre ce paradoxe d’un acteur pleinement ancré dans le cinéma muet (puisqu’il ne survivra pas au parlant) mais qui avait un humour si fin et si moderne qu’il aurait pu résister sans trop de peine. Allez savoir par quel mystère ce génie comique dû se retirer et sombrer petit à petit dans l’oubli, de manière on ne peut plus injuste. Rendez-lui justice, voyez ses films !

Note : ***

mardi 23 mars 2010

Breaking News

Johnnie To est quelqu’un d’extrêmement frustrant, vous le saviez ? Non seulement ce type est le Lucky Luke de la pellicule (il a touché de près ou de loin plus de 100 films quand même) mais en plus, c’est un véritable surdoué.

Exemple avec Breaking News, qui sur le plan technique est une vraie leçon de cinéma (le scénario étant somme toute assez convenu et prévisible). La notion de plan-séquence par exemple : elle tient ici un rôle très précis. Il faut d’abord voir qu’il y a deux plans-séquences majeurs : celui d’introduction, et celui qui se situe sur la fin. Dans le premier, le plan-séquence a un rôle semblable à celui de La soif du mal : en plus de faire grimper la tension petit à petit (le spectateur sait que la police est là pour arrêter les malfrats, mais il sait aussi que ces malfrats sont armés et vont donc riposter), il a l’intérêt de présenter assez rapidement les personnages principaux du film (il ne manque que l’héroïne), leur positionnement face à la justice (ici les bons sont du côté droit de la rue, tandis que les bandits sont du côté gauche) et le ton du film (de l’action pure et dure). C’est un plan-séquence très virtuose, qui se promène dans la rue, dans le ciel, et contient beaucoup de personnages et d’action. Par opposition, le second plan-séquence majeur (la scène où Yuen a pris Rebecca en otage en fourgonnette) est très limité dans ses mouvements (il est à bord du véhicule), ne contient que très peu de personnages (principalement 2, on ne voit presque jamais le chauffeur) et ne délimite plus les caractères des personnages (qui passent de droite à gauche de la camionnette sans problème ; de plus, la flic apparaît comme agressive et le criminel comme quelqu’un de sympathique). C’est aussi un moment de détente, où il y a peu de coups de feus en comparaison du premier plan-séquence. Ces deux plans-séquences s’équilibrent donc comme le Yin et le Yang, l’un étant l’opposé de l’autre. Ils ouvrent et ferment aussi une partie du film où les plans sont souvent courts.

Le montage utilisé est le montage alterné. On peut distinguer trois parties : les bandits en planque, l’inspecteur qui les recherche avec son équipe et la commissaire Rebecca qui veut redorer l’image de la police. Durant l’attaque de l’immeuble, on peut observer que deux parties se répondent : celle de Yuen et celle de Rebecca. Celle de l’inspecteur Cheung apparaît alors comme une intruse, tentant de se glisser entre elles deux. Si on associe chaque partie au personnage qui la domine, il n’est pas étonnant de voir Cheung toujours tenter de s’imposer entre Rebecca et Yuen, et les séparer lui-même à la fin en tuant Yuen. Le montage alterné est ici utilisé comme une sorte de jeu de ping pong, où chacun se renvoie la balle : lors de la première attaque, la séquence débute par le point de vue policier, mais très vite le point de vue des gangsters prend le dessus lors de l’explosion de la bonbonne de gaz. En réaction, Rebecca tronque les images et informations à la presse, pour ne pas se laisser dominer par les bandits ; Yuen découvrant cela à la télévision, il montre la vérité sur internet et fait passer la police pour des incapables. Rebecca entre alors en contact avec Yuen, et ce dernier met fin à la conversation assez rapidement. Le montage alterné montre ainsi le rapport de force entre les représentants de la loi et les gangsters. Il y a aussi, parfois, de courtes séquences introduites en plein milieu du récit, séquences qui sont en réalité les informations de la télévision, qui vient rappeler l’aspect original du film : l’utilisation abusive des médias. Dans ce montage alterné, il y a quantité de communications : par téléphone, par radio, par webcams. Le champ-contrechamp est ici utilisé de manière bien précise : comme c’était déjà le cas dans, par exemple, Die Hard, autre film en huis-clos et très communicatif, les personnages sont cadrés de manière à faire croire, par effet Koulechov, qu’ils se parlent face à face, alors qu’ils sont séparés parfois par plusieurs étages.

Ce ne sont là que deux exemples de maestria totale. On pourrait aussi parler des scènes d’actions qui sont divisées en deux catégories : celles ultra-découpées, procédant d’un montage rythmique (jouant sur la durée très courtes des plans), soit celles filmées en profondeur de champ. Ces dernières sont en fait des prises de position de la caméra en tant que témoin, d’un côté ou de l’autre, de l’action. Le spectateur est donc inclus dans les fusillades et autres explosions, en vrai témoin, comme le désire justement Rebecca et son « show » télévisuel.

J’aime autant en rester là pour le moment : le temps de digérer la suprématie de maître To, comprenez.

Note : ****

dimanche 21 mars 2010

Blow Up

Antonioni est un cinéaste que je connais assez peu, mais je sais qu’il est pour le moins surprenant quand il s’y met. Blow Up, par exemple, sans doute son film le plus célèbre, est ainsi un film qui va à l’encontre de chaque attente du spectateur.

Le film commence par un montage alterné : d’une part, une bande de jeunes déguisés en mime parcourent Londres en hurlant de joie, véritables symboles du Swinging London des années 60 qu’ils sont ; d’autre part, le personnage principal sort d’un asile de nuit, mal rasé, mal habillé, avec un sac en papier sous le bras. Le cinéaste prend donc clairement parti dès le début du film, soulignant qu’il ne représentera pas une Londres pleine de vie et de bonheur mais la vraie Londres, avec son lot de misère et de malheur. Il s’agit bien d’un montage alterné puisque Thomas, le héros du film, croisera la route des mimes en rentrant chez lui.

Il a beaucoup été question, et cela me semble logique, que le film soit une réflexion sur l’image. Alors, certes, l’image en tant que telle est bien évidemment le centre d’intérêt : Thomas est quelqu’un qui capture la vie, la transforme en image fixe et c’est justement l’une de ces captures qui va bouleverser sa vie. Mais un élément hors image est bien plus intéressants à observer : le hors-champ. L’anecdote veut qu’Antonioni avait prévu de tourner la scène du meurtre en dernier, afin d’obtenir une rallonge de budget (comment un producteur pouvait-il refuser une rallonge concernant la scène-clé du film ?). Cette vieille technique n’a hélas (ou tant mieux) pas marché avec Carlo Ponti, et Antonioni a donc du se passer de la scène. Cet imprévu contribue néanmoins à rendre le film plus mystérieux encore : l’homme a-t-il vraiment été tué ? Si oui, comment, d’autant qu’aucune tache de sang ne se trouve dans le parc ? Si non, n’est-ce pas simplement une mort naturelle, comme une crise cardiaque ? Ou plus loin encore, n’est-ce pas le fruit de l’imagination de Thomas, qui s’inventerait des histoires pour échapper à ce quotidien qui l’ennuie tant ? Le hors-champ est ici absolu dans la mesure où on ne voit jamais le meurtre.

Après, la lente descente aux enfers du personnage principal, sombrant dans une forme de folie (ce qui semble être récurrent chez Antonioni si je me fie à Profession reporter comme comparaison), est toutefois un peu longuette et opaque, et ce n’est pas l’absence totale de charisme de David Hemmings qui aide le film à passer plus vite.

Bien dommage car, somme toute, Blow Up est une réflexion passionnante sur la question de l’image et, par le biais du photographe, de la position de cinéaste dans un monde dominé par l’image justement.

Note : ***

vendredi 19 mars 2010

Sciuscia

S’il est un chef-d’œuvre du néoréalisme italien souvent cité, c’est bien Le voleur de bicyclette, de Vittorio de Sica. A juste titre d’ailleurs, comprenons-nous bien, mais on aurait du coup trop vite tendance à oublier d’autres films majeurs du cinéaste, en particulier Sciuscia qui est un magnifique exemple du dit néoréalisme.

Le film s’ouvre sur une scène que l’on croirait sortie d’un film bourgeois : des enfants font une course de chevaux en toute innocence et joie de vivre. Mais la réalité rattrape très vite les faits : ces deux gamins ne sont en fait que des cireurs de chaussures, vivant dans une certaine pauvreté et contraints pour se faire de l’argent de travailler avec des malfrats. Très vite donc, le film s’inscrit dans le néo-réalisme dans le sens où il agit comme une révélation de la vie quotidienne de ses enfants. Le néo-réalisme a en effet agit dès ses débuts comme une prise de conscience de la réalité, de choses que les gens ne pouvaient pas, ne voulaient pas voir : ici, ce sont les enfants au travail, un travail ingrat et peu rentable, qui nous est montré un premier temps. Ensuite, ce seront aussi les conditions de détention des enfants dans des prisons pour mineurs qui seront montrées, soulignant qu’il n’existe plus de distinction, dans cet univers-là, entre le monde des adultes et le monde des enfants. Ce passage dans la prison est par ailleurs assez éloquent et assez dur. J’ai souvent repensé à La colline des hommes perdus de Sidney Lumet, dans la description de la vie dure que l’on mène dans ces véritables cachots.

Le film jette donc un regard sur la vie de deux enfants comme tant d’autres. Pour ce faire, la caméra suit les deux enfants quoi qu’il leur arrive, et les suit uniquement eux deux. Cela fait partie des nouvelles composantes du récit propres au néoréalisme, dans le sens où le point de vue narratif n’est plus un point de vue omniscient mais un point de vue partiel, limité aux deux enfants (on apprendra seulement lors de leur interrogatoire qu’ils sont accusés de complicité de vol de 700 000 lires à une chiromancienne). Ce point de vue est donc double à la base, mais il lui arrive de se séparer en lui-même : preuve en est lors de l’évasion de Giuseppe, quand Pasquale pense que ce dernier s’est enfui avec le cheval et l’a abandonné. On découvrira plus tard que les choses ne se sont pas exactement passées comme cela. Ce point de vue limité est également visible à l’écran, ce qui rejoint la thèse selon laquelle le néo-réalisme est un paradigme du regard : plusieurs fois, nous assistons à des faits du point de vue des enfants, mais c’est encore plus flagrant lors de l’interrogatoire à la prison, où Pasquale pense assister, dans l’encadrement d’une porte, à une correction musclée de son jeune ami (scène qui n’est pas sans rappeler la scène de torture dans Rome, ville ouverte, où le prêtre aurait ici laisser la place à l’adolescent). Il y a aussi, dans l’expression de ce point de vue limité, bon nombre de scènes importantes en hors-champ, comme le vol de la chiromancienne, mais aussi l’arrestation du frère de Giuseppe après les aveux de Pasquale, ou la mort de Giuseppe en tombant du pont. Toutes ces scènes étant invisibles, il apparaît clairement que le spectateur en sait autant que les protagonistes principaux du film, et donc que le point de vue n’est plus omniscient, comme dans le cinéma classique, mais bien partiel.

Devant la caméra, les enfants sont tout simplement étonnants, encore que cela semble assez logique vu qu’ils ne font que retranscrire ce qu’ils vivent au quotidien. Mais la toute grande force du film vient de la réalisation elle-même : sans misérabilisme, De Sica aborde un sujet dramatique de manière naturaliste sans pour autant délaisser une certaine sensibilité, à l’instar du Voleur de bicyclette et de Umberto D. plus tard. C’est probablement pour ça que, de tous les cinéastes néoréalistes, De Sica était l’un des plus grands et Sciuscia un film à ne pas sous-estimer.

Note : ***

mercredi 17 mars 2010

La loi du silence (I Confess)

Bien qu’il ne soit pas le plus célèbre des films d’Alfred Hitchcock, La loi du silence est un film très intéressant pour qui voudrait comprendre sur quoi repose thématiquement un film du maître du suspens.

Déjà, il exploite pleinement le thème de la culpabilité et celui de l’imbrication du désir et de la loi. Les thèmes judéo-chrétiens ne manquent bien évidemment pas dans ce film, puisque le personnage principal n’est autre qu’un abbé soupçonné à tort d’un meurtre. Le film joue pourtant adroitement sur les oppositions : celles de la révélation et du secret, du spirituel et du moral, du passé et du présent, de la justice pénale et de la condamnation populaire. Parce qu’il est condamné au silence (la « loi » de l’Eglise et de la confession), l’abbé Logan ne peut se défendre concrètement, ce qui engendre des soupçons de la police dans un premier temps, puis de la population qui, au terme d’un procès où Logan est reconnu non-coupable, se détournera de lui et le maltraitera. Il faut dire qu’aux yeux de la foule, l’abbé Logan est un personnage ambivalent, difficilement identifiable sur le plan sexuel. Désinvesti de toute relation avec les femmes, il vit au sein d’une communauté exclusivement masculine. La robe de prêtre qu’il porte est non seulement une castration symbolique, mais fait aussi écho à une féminité (et donc homosexualité) latente. Par sa direction de spectateur, Hitchcock démontre que c’est faux, mais la population de la ville dans le film elle l’ignore. En revanche, le cinéaste joue de l’ambivalence de Logan d’un point de vue moral, puisque sensé avoir fait vœu de chasteté, nous apprenons qu’il a eu une liaison avec Ruth. Logan devient alors tout aussi énigmatique pour le spectateur, qui bien qu’il sache qu’il est innocent, ne peut s’empêcher de le juger à son tour.

Pour faire une aparté, Hitchcock s’amuse ici dès son générique de début à souligner au spectateur qu’il va le diriger tout au long du film. Pour preuve, cette succession de panneaux « direction », qui désigne des directions géographiques mais aussi la direction vers laquelle le spectateur doit regarder et, bien sûr, le fait que le film est dirigé par Hitchcock (« director »).

Le récit s’intéresse donc plus à l’histoire et aux mésaventures de l’abbé Logan qu’à la résolution du meurtre lui-même (qui n’est autre que le MacGuffin du film). En effet, on sait d’emblée qui est l’assassin, et pourquoi il a tué l’avocat véreux (le désir d’Otto de voir sa femme heureuse), mais on sait aussi qu’Otto, incarnation du Diable ici (il n’a aucun scrupule à faire condamné un innocent à sa place), s’est déguisé en prêtre pour commettre son méfait. Le suspens est donc de savoir comment l’innocence de Logan va être prouvée, et si elle le sera à temps. Hitchcock donne même de faux espoirs au spectateur en lui faisant croire qu’à la suite de l’aveu de Ruth, Logan sera innocenté ; au contraire, cela accusera encore plus Logan, et l’inspecteur Larrue trouvera là le mobile du meurtre.

Pour illustrer le trouble qui s’est emparé de Logan lors de son accusation, Hitchcock n’hésite pas à cadrer différentes églises, devenues menaçantes, en contre-plongées et par des plans légèrement décadrés. La peur qu’inspire l’Eglise chez Logan est visible lors de son « chemin de croix », où se rendant au commissariat il se rend compte de ce qui l’attend : même innocenté, il aura perdu toute crédibilité suite aux révélations de Ruth. Hitchcock tire profit à merveille du regard de Montgomery Clift (sublime à chaque instant) lors de ces instants de doutes, confirmant l’idée du cinéaste selon laquelle un mauvais film est une photo de gens qui parlent alors que son film est une photo de gens qui pensent. Hitchcock joue aussi énormément sur les points de vue : celui de Logan, récurrent car personnage principal, mais aussi celui de Larrue et, surtout, celui de Ruth, dont découle tout le flash-back. Truffaut estimait que ce souvenir est un mensonge, comme celui du Grand alibi car il survole l'état d'esprit de Logan et est vu au travers des yeux très romantiques de la jeune femme. Le ralenti lorsqu'elle descend les escaliers, explicitement romantique, est plutôt rare chez Hitchcock.

A noter enfin que Karl Malden (toujours aussi bon) interprète ici un inspecteur Larrue intéressant puisqu’il est, avec l’inspecteur Hubbard, l’un des rares policiers intelligents dans l’œuvre d’Hitchcock.

S’il n’est donc pas son film le plus connu ni même son chef-d’œuvre absolu, La loi du silence reste une petite merveille dans la filmographie d’Hitchcock, qui en compte des dizaines et des dizaines. Rah qu’il est agaçant, cet Alfred, à être aussi inégalable.

Note : ****

lundi 15 mars 2010

Les 400 coups

Les 400 coups, l’un des premiers films de la Nouvelle Vague des Jeunes Turcs, a le mérite de placer d’entrée de jeu bon nombres de caractéristiques propres au mouvement français.

Le premier et le plus flagrant de tous est certainement le tournage en extérieur et le son direct qui l’accompagne. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une série de plans travellings ayant en commun de centrer leur attention sur la Tour Eiffel. Plus tard dans le film, et à de très nombreuses reprises, la caméra suivra Doinel et son ami dans les rues de Paris, dont les dialogues sont noyés par un flot incessant de bruits de la circulation, de pas des gens et de discussions autour d’eux. Ce type de tournage implique ici une utilisation de la lumière naturelle, c’est-à-dire celle de la rue, ce qui fait que les scènes nocturnes ne sont pas aussi nettes que dans le cinéma classique. Ce tournage est aussi la preuve du petit budget du film (tourné en 4 semaines), puisque ces extérieurs sont en réalité parsemés de véritables passants et non pas des figurants, comme en témoigne ce plan dans le métro où une vieille dame fixe la caméra pendant toute la durée du plan, mais aussi l’absence de maquillage des acteurs.

C’est aussi l’occasion pour le cinéaste d’expérimenter certains cadrages ou certains plans (notamment celui de l’attraction foraine, où la caméra est placée au milieu d’une centrifugeuse et pointée dans la direction des spectateurs pour retranscrire le point de vue de Doinel). Il y a aussi ce balayage horizontal, provoquant une ellipse puisque dans le premier plan Antoine et son ami sont d’un côté de la rue et, suite à ce balayage horizontal, se retrouvent de l’autre côté de la même rue.

Evidemment, la cinéphilie et les citations littéraires sont très claires ici : il y a d’une part le cinéma où se rend d’abord Antoine et son ami (ou ce dernier vole une photo de film, comme le fera plus tard l’enfant du rêve de Ferrand dans La nuit américaine) puis Antoine et ses parents lorsqu’ils vont voir Paris nous appartient, qu’Antoine déclare adorer. L’autre référence littéraire est évidemment Balzac, que Doinel aime tellement qu’il recopie la fin de son livre pour son devoir.

Enfin, en ce qui concerne la private joke du film, elle semblerait s’adresser à Claude Chabrol, puisque l’un des camarades de classe de Doinel porte le même nom que le cinéaste, et se fait disputer pour être trop distrait et bavard lors d’un cours ! A noter aussi la présence, en clins d’œil, de Jeanne Moreau et Jean-Claude Brialy, qui ont aidé ce film à voir le jour.

Note : ****

samedi 13 mars 2010

2084

Comment, en 10 minutes, résumer 100 ans de syndicalisme ? Mission impossible, et Marker le sait, aussi décide-t-il de parler de 200 ans de syndicalisme !

A nouveau comme dans la Jetée ce jeu avec le temps, cette réflexion sur l'Homme, son passé son présent et son avenir. Le film est évidemment de gauche (c'est une commande) mais Marker n'impose pas son point de vue, il dit que tout le monde a tort et raison à la fois. C'est très expérimental (tourne en vidéo) et Marker travaille encore sa réflexion sur l'image (qui défile sur les visages des monteurs, ou celle de la télévision diffusant des extraits de vieux films derrière eux).

Gros point faible : la voix-off fournit bien trop d'informations pour une durée si courte, et la poésie est bien moins présente que dans la Jetée au profit d'une réflexion philosophique. Sur 10 minutes, autant de blabla, pas facile a avaler.

Note : **

Le film est dispo ici : http://www.youtube.com/watch?v=qg01WbqeU-o

jeudi 11 mars 2010

Le Rêve Italien (Il Grande Sogno)

J’ai découvert Michele Placido avec Romanzo Criminale, vaste fresque d’une poignée d’amis se brisant dans l’Italie de la mafia et des Brigades Rouges : un film sympa. Aussi, n’en sachant rien, je me suis rendu à la projection de son Il grande sogno.

Je ne parlerai pas de la polémique et des débats somme toute abscons sur la production de ce film (financé par Berlusconi… mais comme l’a dit Placido, comment faire autrement dans un pays où l’homme règne en maître absolu ?). Concentrons-nous plutôt sur ce film qui est une déception relative.

Tout commence un peu avant les événements de 68 (déjà là, j’ai senti l’oignon). Nous avons donc droit à cet éternel apologie de la jeunesse révolutionnaire et éprise de libertés, et bla bla bla… dans un premier temps. Ayant moi-même l’âge illustré dans ce genre de film, je me sens toujours un peu concerné mais me rend bien compte du caractère « déjà vu » de tout cela.

Et puis voilà que le film tend vers autre chose, dérive (c’est le mot) dans un méldorame houleux, où un triangle amoureux est marqué par l’impétuosité de la jeunesse et la trahison des uns envers les autres. Fin dès lors du « film historique » pour une romance elle aussi vue cent fois, qui m’a personnellement laissé de marbre malgré le charme évident de Jasmine Trinca.

Un drôle de film donc, pas déplaisant mais bien trop superficiel, avec des acteurs assez bons dans l’ensemble mais desservis par un scénario prévisible et une réalisation qui oscille trop souvent entre lyrisme et académisme, un comble pour un film sur les événements de 68.

Note : **

mardi 9 mars 2010

La Vida Loca

Dans le cadre de l’opération « DVDTrafic » lancé par le site Cinétrafic (http://www.cinetrafic.fr), j’ai pu découvrir ce Vida Loca, qui aborde l’existence d’un fameux gang au Salvador.

Il est fréquent de voir, au cinéma ou à la télévision (la série The Shield aborde justement la question de gangs salvadoriens) un regard lancé sur ce mode de vie hors normes, en marge de la société et force est de constater que ce n’est pas toujours de la meilleure des façons. Rares sont les fictions qui portent un regard objectif sur ce phénomène (gravissime) d’une société démunie et en perte de repères la plupart du temps.

C’est pourtant ce que réussit Christian Poveda, le réalisateur (qui a quand même été, rappelons-le, assassiné pour avoir réalisé ce film). A travers la caméra, il ne fait que capter, sans intervenir directement, la vie quotidienne des membres du gang, de l’ado à la mère au foyer en passant par le gangster de base. Il ne condamne pas ce mode de vie sans pour autant le glorifier, et laisse libre parole aux intervenants.

La construction narrative est plus intéressante encore : subtilement, Poveda joue d’un sentiment de répétition pour affirmer son point de vue en sous-entendu. Ainsi, le film alterne les séquences de la vie privée (la femme qui doit se faire opérer d’un œil, la réinsertion d’anciens détenus) aux séquences de meurtres et d’enterrements. Il n’y a pas d’autre alternative semble-t-il que de vivre comme on peut dans ce monde, et que l’issue est souvent connue à l’avance.

Mais hélas, le film manque cruellement de rythme, du à une réalisation trop académique, pour réellement captiver (surtout sur un système de répétition de séquences). On en vient aussi que le réalisateur, sans doute faute de moyens, ne fait qu’effleurer cet univers bien particulier qui demande une compréhension totale pour être surmonté. Bien évidemment, ce grief n’incombe pas à Poveda. Et n’empêche pas ce portrait sociologique de rester dérangeant.

Note : ***


La Vida Loca
Un film de Christian Poveda
Editeur : BAC Films
http://www.bacboutique.com/
Date de sortie : 02/03/2010

La fiche du film : http://www.cinetrafic.fr/film/22462/la-vida-loca

dimanche 7 mars 2010

Nine

En immense fan de 8 ½ de Fellini, de Daniel Day-Lewis et sans à priori sur le travail de Rob Marshall, et au vu de la bande-annonce pimpante et sexy, j'attendais avec une certaine impatience ce Nine.

Reprenons la trame essentielle : Guido Contini, extraordinaire cinéaste de son temps, se voit en pleine crise de création à l’approche de son prochain tournage. Ses préoccupations, ce sont les femmes : son épouse, sa maîtresse, une journaliste aguicheuse, une actrice célèbre, sa défunte mère et sa costumière maternelle.

Je le dis tout net : j’ai été horriblement déçu. Le film est lent, long et renie tout l'onirisme fellinien au profit d'une explication en long et en large à la sauce hollywoodienne. Un camarade m’a dit « c’est Fellini pour les Nuls, expliqué par un nul ! ». Sans être aussi catégorique, force est de reconnaître que la complexité du récit d’origine laisse place ici à un film linéaire et on ne peut plus clair.

Visuellement, les décors sont pauvres (le studio, les thermes, et les jolis paysages italiens, point) et les chorégraphies ne sont pas recherchées, sauf une en étant généreux (celle de Fergie qui, faut pas déconner, n’a plus de la Saraghina originale que le nom). Pire : les filles ne sont pas particulièrement sexy hormis Penélope Cruz ! Cette dernière bénéficie d’ailleurs (et fort heureusement) de la chanson la plus sexuelle et la plus aguichante. Pour les autres, non merci, et j’épargnerai les paroles des chansons qui sont effrayantes de banalité. La caméra paresseuse et le montage clipesque n'arrangent rien.

Le sommet ? Forcer les acteurs à parler avec un accent italien "parce que le film se passe en Italie, alors les acteurs ils parleront anglais parce que c'est hollywoodien hein mais l'accent italien c'est plus mieux". Ben non, non et non ! L’immense Daniel Day-Lewis perd ici toute crédibilité avec cet accent ridicule, idem pour les actrices (qui ne sont pas, elles non plus, au top : voir Nicole Kidman servir le minimum syndical en comparaison de Moulin Rouge !, ça fait mal par où ça passe).

Je sauverai quelques petits éléments de ci de là mais, franchement, Hollywood : ça vous tente pas de remaker des daubes tant qu’à faire plutôt que de massacrer des monuments de ce genre ?

Note : *