mercredi 31 décembre 2008

Raging Bull


Nous sommes en 1974 : Robert de Niro tourne avec Coppola Le Parrain II quand il découvre l’autobiographie du boxeur Jake la Motta. Il n’hésite pas à en parler à Martin Scorsese, obnubilé par le rôle que cela représenterait dans sa carrière. Scorsese, indifférent au monde de la boxe, mets le projet de côté et finit par le délaisse complètement. Le temps passant, De Niro poursuit son ascension tandis que Scorsese, de son côté, n’en mène pas large : New York New York lui démolit la santé autant que les drogues qu’il prend constamment, il gère difficilement ses autres projets de front, son second mariage se désagrège. De son côté, Mardik Martin écrit un scénario hélas trop classique au goût de De Niro, de plus en plus inquiet quant au projet. Paul Schrader intervient, réécrivant une large partie du scénario en donnant de l’épaisseur au frère de La Motta, absent du premier scénario, et en accentuant la violence et le côté libidineux du boxeur, juste pour enrager les studios. Scorsese était content de cette nouvelle mouture, mais pas De Niro, et quelques disputes éclatent comme d’habitude.

Alors qu’ils sont en pleine période de promotion de New York New York, le drame se produit : Scorsese, la santé détruite, ne résiste pas à une mauvaise drogue, et subit une hémorragie très grave. Entre la vie et la mort pendant plusieurs jours, Scorsese se remets en question. Il vient enfin de sortir de sa période suicidaire, et de comprendre pourquoi il doit réaliser Raging Bull. Il part alors s’isoler sur une île avec De Niro, qui le soigne, et tous deux réécrivent le script jusqu’à ce qu’ils désirent obtenir vraiment. Le film était né.

Tandis que Scorsese se casse la tête sur la mise en scène, Robert de Niro va jusqu’au bout de ses limites dans la préparation : il travaille quotidiennement pendant un an avec La Motta quand il ne passe pas du temps avec Joe Pesci, et va même jusqu’à participer à trois combats à Brooklyn, et en gagner deux. Le véritable Jake la Motta déclarera : « Quatre yeux au beurre noir, des dents cassées, une côte cassée ; si j'avais à classer Robby, je le mettrais dans les vingt premiers poids moyens du monde ». De son côté, Martin Scorsese aussi cherche la perfection : il opte pour le noir et blanc après une réflexion de Michael Powell sur la couleur des gants, chorégraphie chaque combat de manière très précise, estimant que la caméra doit être un « troisième boxeur », utilise du chocolat à la place du sang pour que l’image soit plus forte en N&B et, surtout, tourne son film comme si c’était le dernier. Huit films sur la boxe sont prévus en 1980, il s’agit de se démarquer de manière la plus frappante.

Hélas, à sa sortie, le film sera un échec commercial. Il existe cependant une consolation : Raging Bull est acclamé comme étant le chef-d’œuvre de la décennie, le chef-d’œuvre du Nouvel Hollywood, le chef-d’œuvre de Scorsese et l’un des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma, rien que ça. Scorsese vient de prouver au monde entier qu’il était un « grand », qu’il pouvait prétendre au panthéon des cinéastes d’anthologie. Ce n’est pas pour rien que le film ait été élu tant de fois dans les top 10 de tous les temps, et même 3ème dans le classement des meilleurs films sportifs par ESPN sans que cela soit son but.

Le scénario est par exemple un monument biblique doublé d’une tragédie humaine. Outre l’audace de faire d’un égoïste mégalomane et violent le personnage principal du film (auquel le spectateur est sensé s’identifier), les paraboles religieuses exercées dans chaque scène, chaque action de La Motta prouvent que nous nous trouvons dans l’univers scorsesien par excellence : pêcheur, La Motta n’est finalement qu’un être à la recherche de rédemption, de pardon au travers de souffrance qu’il s’inflige lui-même en encaissant encore et encore les coups ; il ne parviendra pourtant jamais à trouver le salut puisque, par narcissisme, il ne se couchera jamais, même contre Sugar Ray Robinson. La relation destructrice entre les deux frères n’est pas aussi sans rappeler plusieurs histoires de l’Ancien Testament, même si on peut aussi y voir un règlement de compte entre Paul Schrader et son frère Léonard. Enfin, en racontant le récit du point de vue de La Motta lui-même, ce n’est pas tant la véracité et le refus de concession que le misérabilisme et la folie du personnage que Schrader et Scorsese soulignent.

Pour illustrer ce script à plusieurs niveaux de lecture, il fallait bien le talent d’un Martin Scorsese derrière la caméra, entouré par une équipe soigneusement choisie. Scorsese attache de l’importance a deux éléments en particulier : le son et les métaphores visuelles. Côté son, ses collaborateurs créent des bandes originales inédites pour les combats : les coups sont en fait des melons et des tomates écrasées violemment, tandis que des bruits et des respirations d’animaux sont ajoutés aux bruits des acteurs et que les flashs des photos correspondent à des coups de feu (ces bandes seront par ailleurs détruites par les techniciens afin que personne ne les réutilise ultérieurement). Scorsese utilise aussi quelques standards musicaux de l’époque, comme à son habitude, mais opte comme thème de référence une musique de Pietro Mascagni, qui exprime pour lui toute la tristesse que doit contenir le film. Visuellement, le cinéaste attache les frustrations de son personnage à une télévision en panne, glisse ça et là des références religieuses comme pour Who’s that knocking at my door ou Mean Streets et s’ingénie à illustrer chaque combat de manière différente, pour souligner la lente descente aux enfers de La Motta : le combat ultime se fera ainsi dans un ring qui domine La Motta et qui est peu visible dû à la chaleur qui s’en dégage (Scorsese plaça des bougies en dessous de la caméra pour créer un effet de flou). Le combat sera d’ailleurs découpé à la manière de la scène de la douche de Psychose, pour renforcer le côté horrifique du combat. Le reste du temps, Scorsese filme des combats comme personne avant lui, caméra au centre du ring et violence exacerbée, diamétralement opposée à la lenteur des autres scènes plus intimistes, le cinéaste préférant laisser libre action à ses comédiens et en particulier sa vedette.

La prestation de De Niro, unanimement saluée voire acclamée (la 10ème meilleure performance de tous les temps par le magazine Premiere), est elle aussi un des éléments phares de ce film : la préparation de De Niro mais aussi son incroyable métamorphose physique (il prit 30 kilos en 4 mois) ajoutent encore plus de réalisme à une interprétation hors-norme, bigger than life, consistant à rendre humain mais pas sympathique pour autant un être ignoble doublé d’un véritable champion. Dérangé et fascinant, ambigu, le personnage de Jake la Motta était plus qu’un défi : c’était une mission quasi impossible, un suicide artistique. Robert de Niro nous a prouvé que rien n’est irréalisable, mais il a aussi démontré qu’il était l’un des plus grands acteurs de tous les temps, aux côtés par exemple d’un Marlon Brando cité implicitement en référence (De Niro ne devait pas réciter Sur les quais mais Richard III à la base ; c’est à nouveau Michael Powell qui guida Scorsese sur la voie d’une référence américaine). De Niro parvient ainsi à dominer le film, mais son génie consiste également à ne pas écraser ses partenaires à l’écran, se servant d’eux comme d’une source d’énergie supplémentaire ; il est vrai que Cathy Moriarty et encore plus Joe Pesci sont inoubliables.

A vif, le film de Martin Scorsese et Robert de Niro, puisqu’il est autant le mérite de l’un et de l’autre, sommet de la carrière de chacun, rédemption pour l’un et dépassement de soi pour l’autre, synthèse de l’univers scorsesien et redéfinition du jeu d’acteur, restera probablement comme le chef-d’œuvre d’une époque, du cinéma au sens général même, fruit de dix ans de travail et d’amitié entre deux artistes qui ont créé une référence incontournable dans l’univers du septième art.

Note : *****

Dressé pour tuer (White Dog)


Les films à scandale sont nombreux ; la plupart du temps, ils finissent par sombrer dans l’oubli (parce qu’ils sont nuls), deviennent des sujets de plaisanteries (parce qu’ils ont vieillis) ou redeviennent anonymes (sauf pour certains cinéphiles). Rares sont ceux qui, des années après leur réalisation, conserve cette aura interdite, souvent due à un sujet épineux ou à un traitement choc (fait plus rare vu l’évolution de l’image dans notre société moderne). White dog est de ces films chocs et choquants, incontournable interdit.

Récapitulatif des faits : alors qu’il revient de Buenos Aires où il a présenté The Big Red One, Samuel Fuller reçoit un coup de téléphone de John Davison, un producteur, et Don Simpson, président de la Paramount, qui lui propose d’adapter l’autobiographie de Romain Gary, l’ex-mari de Jean Seberg. Fuller finit par accepter, et se voit contraint d’écrire un scénario en 18 jours, avant qu’une grève de scénaristes éclate. On lui colle alors Curtis Hanson comme aide, ce qui ne déplaît pas à Fuller qui le connaît bien et, surtout, Hanson avait déjà travaillé sur la précédente version du film initialement prévue pour Roman Polanski.

Finalement le film fut écrit à temps, et le tournage provoqua, bien évidemment, une certaine polémique. Finalement, la Paramount se retira du projet, refusant de distribuer le film. A l’heure actuelle, vu son contenu et une partie de son traitement, le film est toujours interdit de diffusion aux USA, et est par ailleurs introuvable dans la plupart des commerces.

Pourquoi tant de problèmes ? La réponse est simple : l’histoire du film est un véritable problème de société. En réalité, Fuller n’a gardé du roman de Gary qu’une anecdote très étrange : un jour, Jean Seberg recueilli un chien blanc qu’elle trouva amitieux ; cependant, l’animal attaqua subitement et en traître le jardinier noir de l’actrice, qui fut blessé. Un autre incident devait survenir quelques jours plus tard, lorsque le chien s’enfuit et attaqua un autre homme noir, mais personne d’autre. A la troisième attaque, le couple Seberg-Gary se rendit compte que le chien était en réalité un « White Dog », un chien dressé par une personne raciste dans l’unique but d’attaquer les gens de couleur.

On comprend mieux dès lors pourquoi ce film a fait scandale. Il aurait très bien pu s’inscrire dans la lignée des films d’attaques comme s’en était la mode (Cujo en 83, Max, le meilleur ami de l’homme quelques années plus tard) mais la situation des afro-américains de l’époque (nous ne sommes qu’à une dizaine d’années de l’affaire Rodney King) était à ce point problématique que le film devait être rapidement classé comme dangereux, d’autant qu’il aurait pu paraître équivoque pour certaines personnes qui y aurait vu l’apologie du racisme.

Pourtant, c’est tout le contraire : Fuller dénonce le racisme de la manière la plus brutale qu’il soit, non pas en montrant des lynchages du Ku Klux Klan, des réunions sauvages de néonazis ou l’injustice sociale ambiante mais en soulignant que le racisme peut être partout, à l’instar de la révélation de l’identité du propriétaire du « white dog », que l’on imagine être un homme costaud au crâne rasé et affichant une croix gammée ou une cagoule pointue blanche et qui s’avère être en réalité un grand-père, simple, accompagné de ses deux charmantes petites-filles. Le mal n’est donc plus un stéréotype mais une réalité : le racisme n’est pas affaire d’idéologie mais d’éducation, et il n’est pas toujours identifiable en apparence chez une personne.

L’autre réflexion menée par Samuel Fuller, et qui intègre de la sorte White dog au sommet de la carrière du cinéaste, est celle sur la violence. Rarement le cinéaste aura émis un discours aussi virulent : il suffit de voir la scène finale pour se rendre compte que, pour Fuller, la violence n’est pas guérissable. On peut s’en accommoder, mais l’instinct destructeur (voir meurtrier) sera toujours présent, chez l’animal comme l’Homme, et quand il sera trop dominant il faudra l’arrêter coûte que coûte : voilà le message des dernières minutes du film.

Visuellement, le film semble un peu pauvre, sorte de téléfilm des années 80 ; pourtant, les moyens étaient là, et c’est sans doute parce que le film était problématique que l’on a fait si peut attention au traitement de la pellicule, qui a passablement vieilli. Cela étant, Fuller possédait assez de talent pour ne pas laisser son film paraître bâclé : la manière dont le réalisateur cadre son action est à ce titre remarquable, où jamais une attaque de chien nous aura semblé si réaliste et si effrayante. Fuller était un cinéaste direct, sans fioritures, et il le prouve en effectuant un cadrage et un montage serré, et où plusieurs scènes font l’effet d’un électrochoc sur le spectateur (la scène angoissante de l’enfant noir en arrière-plan et le chien en avant-plan, derrière un mur, ou encore cette scène effrayante du meurtre de l’homme noir dans une église, sous un vitrail représentant Saint-François d’Assise et son chien…).

On regrettera seulement que les acteurs ne soient pas toujours des plus convaincants, ou simplement pas à la hauteur du récit et de la mise en scène que Fuller propose. Ce bémol sera de toute façon effacé par le personnage du chien lui-même, qui bien qu’il soit un animal est un élément marquant du film (la pureté de son pelage blanc taché de sang est assurément une image-clé du film) et par la musique, superbe et dans l’air du temps, d’Ennio Morricone.

Plus qu’un film dramatique, un film effrayant, un film engagé, White Dog est une véritable réflexion sur la société moderne et ses travers, avec le regard acéré de cet ancien journaliste de Fuller, direct et sincère, qui livre ici une de ses œuvres les plus marquantes et, sur un plan thématique, des plus abouties.

Note : ****

mardi 30 décembre 2008

La valse des pantins (The king of comedy)


Dans plusieurs carrières, et même celles de grands noms du septième art, il existe toujours « le film de trop » celui qu’on aurait pas du faire ou du moins pas à ce moment là. La valse des pantins est ainsi celui de la filmographie de Scorsese.

Dès la fin d’Alice n’est plus ici, Scorsese reçoit un scénario traitant de la célébrité et de l’entêtement d’un rêveur qui attend sa minute de gloire. Peu convaincu par un script avec plusieurs défauts, Scorsese refuse poliment le film, se concentrant sur un projet de la même trempe intitulé Night Life, l’histoire de deux frères dans le show-business. Quelques années plus tard, Scorsese doit abandonner Night Life, dont plusieurs éléments se retrouvent dans Raging Bull ; De Niro qui est tombé amoureux du film a filé le script à Michael Cimino, qui finit aussi par l’abandonner au profit de La porte du paradis. C’est alors que le duo décide de travailler ensemble sur le film… pour le meilleur et pour le pire.

Fidèle à sa réputation, De Niro peaufine son rôle ; il faut dire qu’il en voulait à mort de ce Rupert Pupkin, qui lui permettrait de casser son image de Raging Bull. Il se met alors à étudier le style du comique Richard Belzer et à (à son plus grand plaisir) poursuivre les chasseurs d’autographes et autres fans de stars pour mieux les étudier. De son côté, Scorsese a des soucis de casting : envisageant un temps Dean Martin, Frank Sinatra et Johnny Carson (qui refusa le rôle de peur d’inspirer des fous furieux), il opte finalement pour Jerry Lewis, avec qui le contact ne passe pas du tout pendant les trois premiers jours de tournage ; Meryl Streep refusant elle aussi un rôle, Marty se rabat sur Sandra Bernhard, comique extravagante et surtout imprévisible. Si Lewis était dérouté par la manière de réaliser de Scorsese, il devit l’être bien plus par le jeu de Robert de Niro : pour la scène où Pupkin s’invite chez Langford, et où ce dernier perd son sang-froid, De Niro n’hésita pas à faire des remarques antisémites pour énerver Lewis, ce qui permit au comique de délivrer une performance très crédible.

Il faut reconnaître que Scorsese dans la comédie, on ne s’y attendait pas vraiment et il y avait sans doute une raison à cela. Non pas que le film soit mauvais, bien au contraire, mais disons que Scorsese tentait là une expérience après nous avoir littéralement assommé avec Raging Bull. La comparaison est dure, mais doit être faite. Néanmoins, il convient d’observer que certaines idées récurrentes dans l’univers scorsesien (et en particulier Taxi Driver puisque La valse des pantins en reprend les grosses ficelles) ponctuent ce récit : un héros solitaire qui désire vivre dans un univers qui n’est pas forcément le sien, cherchant de plus à conquérir une femme inaccessible, et un jusqu’auboutisme de son antihéros qui le mènera inévitablement à sa perte (laquelle est toujours occultée : alors que Travis semble guéri et Rupert célèbre à la fin des films, Scorsese sous-entend largement que l’un recommencera ses massacres tandis que l’autre sombrera à nouveau dans l’anonymat). La caméra de Scorsese est toujours aussi fluide mais il semble avoir bien du mal à diriger les improvisations de ses acteurs.

Acteurs qui d’ailleurs sont excellents : dans des contre-emplois, De Niro fait rire et Jerry Lewis fait grincer des dents. Deux générations différentes qui, non sans rappeler le conflit Dustin Hoffman/Laurence Olivier dans Marathon Man, opposent deux méthodes : celle de De Niro, basée sur l’appropriation du personnage, et celle de Lewis dont le sens du timing rappelle le comique des films burlesques qu’il était autrefois. Face à ces deux monstres sacrés, Sandra Bernhard tient bon, imposant ci et là de grands moments de borderline fidèles à l’esprit de son personnage, avant de devoir laisser la place au duo vedette dominant de bout en bout.

Mais en quoi est-ce un film de trop ? Certainement pas au niveau du scénario, qui annonçait déjà le phénomène des télés-réalités où le quidam du coin peut obtenir son quart d’heure de gloire en faisant n’importe quoi ou presque ; non, le film fut une erreur en ce sens qu’il fut, d’une part, un échec commercial si important (après celui de Raging Bull) qu’il condamna Scorsese à réaliser des films de commande (After Hours, La couleur de l’argent) avant de pouvoir revenir avec une œuvre plus personnelle en 1988 (La dernière tentation du Christ) ; ensuite, le film devait être un coup de grâce dans la collaboration Scorsese/De Niro, les deux artistes ayant tellement exploré de choses avec Raging Bull que La valse des pantins devint trop éreintant émotionnellement ; ils ne devaient retravailler ensemble que sept ans plus tard. Un film sympathique mais dont le tribut devait s’avérer coûteux ; Hollywood, ton univers impitoyable…

Note : ***

Spider-Man


Les comics ont la cote depuis déjà plusieurs années. Depuis qu’un certain Tim Burton a prouvé qu’on pouvait faire du cinéma personnel et engranger plusieurs centaines de millions de dollars en fait. Hélas, ces adaptations ont été souvent hasardeuses, inégales, trahissant le comics d’origine ou inversement le respectant de trop. Bref, personne n’avait vraiment pu égaler le Batman de Burton… jusqu’à ce que Sam Raimi propose Spider-Man.

Les deux cinéastes se ressemblent d’ailleurs : le même goût pour le morbide avec une savante dose d’humour, un amour du cinéma de genre, une place désormais définie à Hollywood sans trop renier leur propre univers… La différence réside sans doute dans le fait que Raimi est beaucoup plus adulte que Burton, un bien (Evil Dead, Darkman) comme un mal (Intuitions, Mort ou vif). Quoiqu’il en soit, à l’instar de Peter Jackson, Raimi a pu se retrouver à la tête d’une grosse production, lui qui avait réalisé les effets spéciaux de son premier film à l’ancienne (animation image par image, fils invisibles etc.). Mais il a du batailler le Sam pour avoir le poste de réalisateur tellement convoité de Spider-Man (en vrac : Jan de Bont, David Fincher, Ang Lee, Chris Colombus ou encore le plus terrible de tous James Cameron qui planchait sur ce projet depuis des années). Dix ans qu’on se battait à la Columbia pour obtenir tous les droits de l’adaptation, fallait pas merder. Ils ont eu raison finalement, Raimi étant un inconditionnel de la BD d’origine, et un perfectionniste dans l’âme : tandis que Jude Law, Freddie Prinze Jr ou Leonardo di Caprio sont des noms évoqués, il opte pour le mal connu Tobey Maguire qui colle plus au personnage de Peter Parker ; il ne lésine pas sur les moyens pour recréer l’univers de Spider-Man, notamment au niveau du costume (100 000 dollars/pièce, 6 mois de travail pour 120 pièces différentes) ou des figurants (pour la scène de Times Square : 12 000 personnes !) et organise lui-même le casting de l’araignée qui va mordre Parker. On sait où sont passés les 120 millions de budget du film !

Mais ce n’est pas ce qui inquiète le plus Raimi : l’important, c’est de répondre aux attentes des fans : « J'étais conscient de pénétrer un territoire sacré : Spider-man a derrière lui trois générations d'admirateurs... En tant que fan, j'avais une terrifiante responsabilité. Je me suis concentré sur ce qui fait l'authenticité, l'esprit, l'âme du personnage, pour raconter la meilleure histoire possible. » Visiblement, ça marche : le film marche tellement (43,7 millions de dollars en un jour, 114 en trois : des records !) qu’on prévoit déjà une trilogie et, du coup, Raimi devient comme Burton avant lui et Jackson dans le même temps un des cinéastes underground les plus bankables de tous les temps !

Il faut dire que Raimi a très bien compris ce qui manquait à la plupart des adaptations : une analyse approfondie du côté sombre du héros. Ce qui le pousse à devenir le protecteur de la ville, pourquoi il est condamné à rester seul, pourquoi chaque action lui coûtera plus qu’elle ne lui rapportera… Autant d’éléments intéressants qui nourrissent un scénario quoiqu’il arrive prétexte à une action bourrée d’effets spéciaux. Peter Parker est moins fascinant que Bruce Wayne dans le sens où ce n’est pas la vengeance mais la culpabilité qui le pousse à être un superhéros, mais qu’importe : l’idée est belle et bien là et Raimi en tire profit. Le cinéaste profite aussi de l’occasion pour s’amuser avec les effets spéciaux pétés de thunes. Il a pas tort, car dans l’ensemble, ils cartonnent (si on met de côté certains plans où Spider-Man virevolte dans les airs ou le long des murs) et sont fidèles à l’esprit comics (le passage de l’Homme-araignée entre les voitures à ras du sol). Hélas, on sombre parfois dans la surenchère mais dans l’ensemble les FX servent le film autant que faire se peut.

Côté acteurs, le casting a vu très juste puisque Tobey Maguire devient vite indissociable du personnage de Peter Parker (la moindre des choses, vu la préparation physique et morale intensives qu’il a du suivre) tandis que Willem Dafoe joue à merveille les psychopathes dérangés du bulbe. Kirsten Dunst paraît encore un peu trop lisse dans la peau de MJ mais elle est sur la bonne voie. Le coup de cœur revient néanmoins à J.K. Simmons, qui joue le rôle de Jameson le patron du journal, qui parvient en à peine cinq minutes à nous faire hurler de rire à la manière d’un De Niro dans Brazil. Côté clin d’œil, on notera les références aux futurs méchants de l’univers de l’Araignée disséminées ça et là.

Côté scénario, difficile d’éviter les longueurs puisqu’il faut mettre tous les éléments en place. C’est ainsi que le démarrage se fait en douceur, un peu trop peut-être, avant d’enchaîner sur un rythme allant crescendo jusqu’à l’affrontement final entre Spider-Man et le Bouffon Vert. On ne tiendra pas trop rigueur de ces aléas de la narration, même si un bon quart d’heure aurait pu être économisé en évitant certains éléments inutiles.

Spider-Man s’affiche donc comme une adaptation fidèle et réussie, où la patte de Raimi est discrète mais bien présente et dont les acteurs, qui semblent avoir compris l’essence de leurs personnages, n’en sont qu’au début de l’exploration d’un univers bougrement fascinant car ambigu. Aussi bon que le premier Batman, excusez du peu.

Note : ***

Quand j'étais chanteur


Depuis quelques temps, Gérard Depardieu n’a plus la cote, beaucoup le déclarant fini, out, faisant du Depardieu dans des films moyens, son génie d’acteur ayant disparu. Et puis, comme ça, sans prévenir, est apparu Quand j’étais chanteur.

Sans prévenir car si Xavier Giannoli est un cinéaste talentueux, le sujet de son film est pour le moins original : l’histoire d’un chanteur de bal prise très au sérieux qui arrive en bout de course et découvre l’amour. Alors, imaginer Depardieu en chanteur, c’était déjà cocasse, mais devant faire face à Cécile de France et Mathieu Amalric, le choc risquait d’être brutal. Et ce qu’on appelle « la magie du cinéma » a opéré, et Depardieu en a laissé plus d’un sur le carreau, vampirisant carrément tout le film par son charisme !

Gérard Depardieu, le monstre sacré, l’héritier des Gabin, Blier et Ventura avec ce côté hyper professionnel à la De Niro, Pacino ou Brando. Ayant tourné avec les plus grands, on pensait qu’il ne parviendrait plus à nous surprendre, et pourtant ce colosse au cœur tendre et d’une simplicité déconcertante parvient ici à toucher une corde sensible chez le spectateur, une petite prouesse qu’il n’avait plus réalisé depuis des années. Le reste du casting est très bon, attention, mais Depardieu parvient, comme à l’apogée de sa carrière, à capter toute notre attention, si bien que le reste du film passe en arrière-plan. Ses prestations de chanteur sont tout simplement hallucinantes, parvenant à faire de l’univers des chanteurs d’origine son propre univers, sans trahir l’émotion originale. Du grand art de comédien.

Il ne faudrait cependant pas passer à côté du récit de Giannoli. Surprise, ce film qui aurait pu être mélodramatique, moqueur ou simplement une réflexion sur le statut d’artiste en bas de l’échelle pour l’élite du milieu est simplement l’histoire d’un homme et d’une femme qui ne parviennent pas à s’aimer en même temps. En toute délicatesse, Giannoli pose sa caméra pour observer ses personnages, sans les juger, sans se moquer ou prendre parti, simplement pour voir ce qui va se passer. Le procédé a ses limites, puisque le film tire un peu en longueur, mais il évite surtout d’être ridicule en intellectualisant une histoire d’amour contrariée.

Dommage que le scénario n’est pas forcément à la hauteur par moments, où quelques scènes viennent un peu perturber le spectacle, et où le final prévisible approche la perfection du sentiment jusqu’à un dernier revirement qui hélas annule toute l’amertume accumulée jusque là. Ces petits moments qui viennent troubler un récit cohérent et touchant car humain.

On retiendra donc du film la pudeur et la chaleur de la mise en scène de Giannoli, et la performance d’un Depardieu qui se rapproche du firmament qu’il a plus d’une fois atteint auparavant. Cette icône du cinéma français n’est pas morte, et ses quelques écarts ne doivent pas faire oublier qu’il a un potentiel inouï pour atteindre notre sensibilité de spectateur.

Note : ***

dimanche 28 décembre 2008

Paycheck


Il paraît qu’à une époque, John Woo était un bon cinéaste. Il subsiste bien quelques traces de sa gloire préaméricaine (The Killer, Une balle dans la tête, Le syndicat du crime) voir même de ses débuts au pays de l’Oncle Sam (Volte/face) mais force est de constater que, depuis quelques temps, il a plus trop la patate le John. Enfin si, disons simplement qu’il semble avoir du mal à gérer ses productions, comme ici Paycheck.

Pourtant à la base, un scénario inspiré d’un roman de Philip K. Dick. Vous savez, le papa de Blade Runner, Total Recall ou encore Minority Report ; quoiqu’il arrive, cela risque donc d’être intéressant et surtout intéressant visuellement. Du bol, on évite en prime de se retrouver avec Brett Ratner aux commandes (trop occupé sur After the sunset) même si inversement on rate de peu Matt Damon (qui estimait que le rôle ressemblait trop à celui de Jason Bourne) au profit de Ben Affleck. Et lorsqu’on sait que John Woo s’est fortement inspiré de La mort aux trousses pour réaliser ce film, on était vraiment en droit d’attendre quelque chose de terrible, de génial, d’inédit, d’inoubliable !

Eh bien non. Pas de bol hein. Et qu’est-ce qui cloche ? Tout, ou presque. Prenons la mise en scène de Woo par exemple, visiblement limitée au minimum syndical à l’exception d’une course-poursuite en moto qui, si elle est très bien filmée, fait rire tant elle invraisemblable. Pour le reste, c’est plan-plan, cela ne cherche pas à impressionner comme c’est pourtant si bien faire le réalisateur, cela perd son temps avec des scènes longues ou inutiles, ça ne varie pas beaucoup les décors et, pour tout dire, ça ne cherche pas à nous accrocher à notre siège côté suspens : le premier quart du film passé, on comprend de suite comment cela va finir. Même l’action, style bastons ou fusillades en tout genre, nous paraît fade, un comble pour un surdoué du genre (voir sa période hongkongaise pour s’en convaincre).

Côté acteurs, pas forcément mieux : Ben Affleck est gentil mais très loin de l’Oscar, Aaron Eckhart n’est pas super crédible en méchant et on a déjà connu Uma Thurmane en potiche de service plus inspirée. Seul Paul Giamatti nous surprend, pas tellement par son jeu (correct) mais par sa présence dans ce film pop-corn mou du grain de maïs.

Aussitôt vu aussitôt oublié, Paycheck ne vaut le coup que pour l’histoire de Dick, quelques effets spéciaux et un niveau relativement bon dans la production hollywoodienne standard. Ce qui ne colle décidément pas avec le talent de Woo, qu’on attends de revoir avec impatience.

Note : **

New York, New York


Il y a des genres tombés en désuétude dont on ne peut qu’être nostalgique, jusqu’à ce qu’un cinéaste quelconque décide de remettre au goût du jour le dit genre. Scorsese a tenté quelque chose comme ça avec New York, New York.

Après le succès de Taxi Driver, Scorsese était le nouveau chouchou des studios autant que des dealers. En effet, à cette époque notre ami Martin connaît un sérieux penchant pour la drogue et prend bien plus d’une dose par jour. Fantasmant sur le vieil Hollywood et ses comédies musicales scintillantes, Scorsese se prend l’envie de réaliser un « film noir musical », sous influence de Vincente Minnelli (côté réalisation et morceaux musicaux). Il fait alors appel à la fille de celui-ci, Liza, et son désormais fidèle ami Robert de Niro pour tenir les rôles principaux de ce film qui s’annonce colossal. Tandis que Bob apprend à jouer du saxo (même s’il sera doublé par Georgie Auld) et fait remanier la chanson New York, New York (les compositeurs remercieront quelques temps plus tard De Niro de ses précieux conseils), Liza Minnelli est retenue à Las Vegas pour son travail et Scorsese décide de lancer son film sans même avoir un scénario au point. La descente aux enfers peut alors commencer : Scorsese, défoncé à la cocaïne du matin au soir, perd les pédales et voit grand, trop même : les décors coûtent très chers, dépassant le budget, le tournage s’allonge tandis que Scorsese fait patienter près de 150 figurants un beau jour pour s’enfermer dans sa caravane avec son psy. Liza Minnelli, qui entretient une relation avec le cinéaste, n’aide guère les choses en se droguant aussi. Tant bien que mal, le film se termine enfin.

Mais le montage ne s’annonce pas de tout repos : faute d’un scénario solide et par excès de mégalomanie, la première mouture du film dure 4h30, mais les producteurs ne supportent pas cette dernière folie du cinéaste. La coupe est sévère : le film est ramené à 2h33, puis 2h16. Scorsese est alors au plus bas de sa forme, littéralement défoncé du matin au soir et n’ayant plus prise avec la réalité, même quand Robert de Niro lui propose de réaliser un film sur la vie de Jake la Motta… Mais ceci est une autre histoire.

Revenons donc à celle qui nous préoccupe, celle de ce gâchis qu’est New York, New York. Le terme « gâchis » pourra paraître rude, mais il faut bien se rendre à l’évidence : le film possède un potentiel qui aurait mérité un tout autre traitement. Par manque de rigueur, c’est à un film bancal que nous avons droit, ne sachant pas équilibrer le drame de la situation et le comique de Robert de Niro, où une enfilade de scènes peu captivantes pour la plupart ne sont coupées que par des morceaux musicaux trop courts si ce n’est Happy endings, le film dans le film, lui trop long. On n’ose imaginer ce qu’aurait été le même film écrit par Paul Schrader dont les collaborations chaotiques avec Martin Scorsese ont au moins le mérite d’avoir été plus que fructueuses. En dépit, le film ne parvient pas à nous captiver au point de rester du début à la fin, faute à un récit trop elliptique et bancal.

C’est dommage, car on sent dans la mise en scène de Scorsese, décidemment peu habitué aux grosses productions (cfr Gangs of New York par exemple) mais toujours excellent technicien, une volonté de bien faire, de rendre hommage tout en tentant d’imposer sa patte. Une fois sur deux, ça marche. Ce qui est en revanche intéressant de savoir, c’est la part autobiographique du film : un artiste surdoué qui ne parvient pas à vraiment s’imposer, qui refuse d’être père, tout ça c’était Martin Scorsese à cette époque (Robert de Niro aussi devait connaître l’angoisse de la paternité à ce moment-là). Bien plus qu’un conte mélodramatique hollywoodien, c’est son propre vécu, sa propre vie que Scorsese a inséré dans le scénario ; c’est sans doute pourquoi il devait déclarer un jour que c’était un « film de famille à 10 millions de dollars ». Un film de famille stylisé mais dont l’ambition était trop grande.

Et tant pis pour les acteurs, d’une Liza Minnelli convaincante à un sympathique Georgie Auld, mais surtout à un Robert de Niro à l’opposé de son précédent rôle, tour à tour drôle et détestable, qui continuait d’explorer l’Homme dans tout ce qu’il a de plus dangereux et contradictoire. Une performance qui vaut à elle seule le déplacement.

Quel est le résultat final ? Une œuvre que Scorsese lui-même reconnaît comme l’une de ses plus faibles, faute à un manque de rigueur, d’un scénario bancal et d’une dépendance aux stupéfiants qui avait gâté la capacité de Scorsese à faire des films. Si seulement…

Note : **

Unknown


Il ne manque parfois pas grand-chose à un film pour qu’il devienne très bon. Unknown connaît ce problème, malheureusement pour lui.

Tout d’abord, on pourrait croire à lire le résumé qu’il s’agit d’un ersatz de Saw ; rassurez-vous, il n’en est rien. A la rigueur, le film tiendrait plutôt d’Usual Suspects dans sa démarche et ses nombreux twists au cours de l’intrigue. Hélas, le cinéaste n’est pas Bryan Singer mais un honnête artisan qui tourne son premier film avec visiblement peu de moyens. Il ne veut pas en faire de trop, et c’est tout à son honneur, mais à force on constate qu’il manque une touche d’audace qui aurait rendu le film bien meilleur.

Seconde erreur : le casting. Ici, le pire côtoie le meilleur : des « gueules » bien choisies en seconds couteaux (Joe Pantoliano, Peter Stormare) mais du peu convaincant en tête de liste : Jim Caviezel peu crédible, Gregg Kinnear que l’on ne parvient pas à imaginer en personnage violent et antipathique et Barry Pepper qui n’est décidément pas doué sans un bon directeur d’acteur. Bref, on ne croira qu’à moitié cette affiche pourtant prometteuse.

Dernier hic : le scénario. S’il tient relativement bien la route, jouant au jeu des faux-semblants avec un certain brio, on regrettera toutefois qu’il finit par tourner un peu en rond, que l’histoire donne l’impression de stagner alors qu’il y avait largement matière au déroulement de l’intrigue (huis clos sur une durée limitée).

Un exercice pas désagréable, qui aurait peut-être nécessité un cinéaste plus expérimenté et un casting légèrement différent. Vu que c’est un premier film, on ne jette pas la pierre, sans compter que sur toute la durée du film, on ne s’ennuie pas de trop et on se surprend même à vouloir connaître le fin mot de l’histoire, qui bien évidemment réserve une petite surprise. Certainement pas le film qui va révolutionner le genre mais tout de même sympathique.

Note : **

vendredi 26 décembre 2008

Hellboy


Il est fort. Il est invincible. Il est rouge. Il bouffe comme quatre, il fume le cigare, a 15 ans d’âge mental et accessoirement est le fils du Diable. Il, c’est Hellboy.

Hellboy, c’est avant tout une série éponyme de comic-books créée par Mike Mignola en 1994 et publiée chez Dark Horse. Très populaire outre-Atlantique, l'œuvre se distingue par un graphisme très particulier jouant sur l'ombre et la lumière, et met en scène les aventures d'un super-héros atypique, une créature démoniaque issue des flammes de l'Enfer mais combattant pour le Bien. « Hellboy est un héros de bande dessinée particulier », explique l'auteur. « C'est un type droit. Né des flammes, il est indestructible, tout en étant pourtant innocent et timide. C'est un être paradoxal. Ses origines et ce qu'il veut faire de sa vie sont en opposition complète, maintenus dans un équilibre instable. Issu du Mal, il a choisi d'œuvrer pour le Bien ». Un super-héros type du nouveau siècle : ni tout à fait blanc, ni tout à fait noir, et avec la fuckin attitude qui séduit tant les jeunes générations. Mais Hellboy, c’est un peu plus que le minimum syndical puisque le film est signé Guillermo Del Toro.

Del Toro a tout de même eu du bol : il n’était vraiment pas le premier choix du studio puisque les noms de Jean-Pierre Jeunet, Peter Hyams et David S. Goyer ont défilés avant le sien. Cela étant, Del Toro était tellement motivé par ce projet (et tellement obnubilé puisqu’il refusa de réaliser à la place Blade : trinity, Alien vs Predator ou encore Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban) qu’il remporta le bout de gras et parvint même à imposer son pote Ron Perlman (immense acteur mais peu bankable) à la place de Vin Diesel, Nicolas Cage ou encore The Rock. A noter que Perlman doit le rôle de Hellboy à… James Cameron, puisque Del Toro avait un temps pensé (comme Ang Lee sur Hulk) à faire un personnage entièrement en image de synthèse avant que Cameron lui dise : « 'Bonne idée, mais l'histoire d'amour ne marchera pas'. J'ai alors réalisé qu'il avait totalement raison, et je suis retourné vers le maquillage » confie le réalisateur. A noter que le studio enchaîna aussi le sidées stupides en demandant qu’Hellboy soit un humain qui se transforme en monstre quand il est en colère (comment ça du déjà vu ?) ou qu’il vienne des Enfers mais avec une apparence humaine.

Retour aux maquillages car, il faut bien le reconnaître, ils composent l’un des points forts du film. Mis au point par l'expert Rick Baker (Star Wars, Furie, Le loup-garou de Londres, Videodrome, Wolf, Ed Wood, Professeur Foldingue, Men in Black, Le Grinch, La planète des singes de Tim Burton bref une carrière récompensée par 6 Oscars), le maquillage de Hellboy était l'un éléments essentiels à la viabilité du projet. La pose du masque demandait environ quatre heures au maquilleur Jake Garber. "Ce qui me stupéfie", explique le producteur Lloyd Levin, "c'est la façon dont les subtilités de l'interprétation de Ron sont perceptibles sous les couches de maquillage. C'est un personnage délirant, rouge, avec des cornes, il est énorme et a des dents gigantesques, et pourtant on ne voit pas un masque, mais une créature vivante, qui respire et éprouve des émotions". Au final, les paupières et la main gauche de Ron Perlman étaient les seuls parties du corps du comédien à apparaître à l'écran. Pourtant, le comédien ne s'est jamais, de son propre aveu, trouvé aussi sexy qu'en Hellboy !

Un maquillage réussi, épatant (comme celui de Abe Sapiens par ailleurs, qui nécessitait 5 à 7 heures de pause et 3 heures pour le retirer du corps de Doug Jones) qui fait que l’on accepte bien vite la dimension fantastique du film. D’autres éléments viennent bien sûr conforter notre acceptation, des effets spéciaux convaincants et qui bien que nombreux (900 plans d'effets visuels, dont 95 pour la seule séquence d'ouverture) ne surchargent pas le film, et des décors grandioses (le métro reconstitué est bluffant) et surtout fidèles à la BD : « Nous avons développé les décors en incorporant des images des comics et en nous efforçant d'être fidèles à leur palette : des noirs et des bruns, des noirs et des gris, avec des touches de rouge et de vert », note le chef-décorateur Stephen Scott. Bref, des éléments constitutifs de la mise en scène parfaitement maîtrisés.

Evidemment, le point fort du film au-delà du visuel tient en deux mots : Ron Perlman. Malgré la dose dantesque de maquillage qu’il se trimballe, le bougre parvient encore à nous faire rire, nous faire frissonner, nous faire ressentir les émotions qu’il est capable de transmettre. Sa performance ne doit d’ailleurs pas être étrangère au titre de « King of the Beasts » que le New York Daily News a attribué à ce bon gros Hellboy.

Enfin, le film ne se prend jamais la tête ni trop au sérieux, comme l’illustre parfaitement ce générique amusant où Hellboy étant caché à la face du monde mais ne pouvant rester enfermé chez lui, il se balade en ville (et donne lieu à des clichés ou des vidéos qui se réfèrent à celles des ovnis ou encore de Big Foot). Et si le scénario est très loin d’être fouillé, les scènes d’action qui le remplissent se suffisent amplement à elles-mêmes (même si les combats contre Samael finissent par se ressembler) pour faire de Hellboy un divertissement décérébré plus que trippant. Et un film-date pour le réalisateur : ce n’est qu’après ce film qu’il a pu réaliser son chef-d’œuvre à ce jour, Le labyrinthe de Pan, et obtenir des fonds plus importants encore pour Hellboy 2 dont le bestiaire seul démontre bien le génie fantastique visionnaire de Guillermo Del Toro. Great !

Note : ***

Blindness


14 mai 2008, Cannes, France. Blindness fait l’ouverture du plus célèbre Festival de cinéma du monde, et est aussi en compétition officielle. Le réalisateur : Fernando Meirelles, 52 ans au moment des faits. S’est fait connaître du grand public quelques années auparavant avec la claque Cidade de Deus, et a déjà mitigé avec son second film The Constant Gardener. Blindness vient d’anéantir sa réputation.

A l’origine, un roman : L’Aveuglement, du Prix Nobel de Littérature José Saramago. Depuis 1995, Meirelles fait des pieds et des mains auprès de l’auteur pour l’adapter, sans succès jusqu’en 2007. Dès lors, la production se lance avec un casting somptueux et digne de confiance : Julianne Moore, Mark Ruffalo, Danny Glover, Gael Garcia Bernal et le sous-employé Maury Chaykin. Préparation intensive pour l’occasion : les acteurs ont suivi plusieurs stages pour s'entraîner à agir comme des aveugles. Ils ont ainsi évolué quelques heures avec des bandeaux sur les yeux pour se familiariser avec les mouvements d'un aveugle. En outre, pour mieux appréhender la sensibilité du corps d'un aveugle, l'équipe a conseillé aux acteurs de visionner le documentaire Black Sun, sur l’histoire d'un peintre devenu aveugle.

Mais les problèmes commencent à Cannes, déjà : le film reçoit un accueil des plus mitigés, si bien que Meirelles décide de retoucher le montage original de son film : il supprime une voix-off initiale, coupent certaines scènes et en rajoutent d’autres initialement délaissées. Quelques mois plus tard, Marc Mauer, President de la Fédération Nationale des Aveugles aux Etats-Unis, dit en conférence de presse que la fédération « condamne et déplore » ce film et le livre dont il est tiré, où la cécité est utilisée comme « métaphore de ce que l’homme peut avoir de prie en pensées et en actes », où les personnages sont « unidimensionnels » et où les aveugles sont « représentés comme incompétents, vicieux et dépravés » ce qui entraîne des manifestations s contre le film. De ces éléments perturbateurs, Meirelles aurait du retenir au moins une chose : le film n’est peut-être pas si bien fait que cela.

Pourtant, le film démarre pour le mieux : une ambiance très vite installée, un récit qui commence sans mise en place préalable (ce qui plonge le spectateur dans le vif du sujet), un certain rythme, une première caractérisation des personnages vite établie (la seconde venant tout au long du film)… Et même plus tard, il y a encore de bons éléments : une tension palpable, des acteurs convaincants (et impliqués : certains acteurs portaient au tournage des lentilles qui leur cachaient la vue, ce qui leur permettait de se concentrer sur la cécité tout en gardant les yeux ouverts) et une métaphore de la cécité et de la vraie nature de l’homme. Des thèmes audacieux, très intéressants mais surtout très casse-gueule.

Hélas, Meirelles n’est pas aussi funambule qu’il a pu l’être sur Cidade de Deus : ici, il sombre rapidement dans certaines facilités, annoncent trop longtemps à l’avance des effets à venir (la paire de ciseaux notamment) et, surtout, sombre parfois dans l’excès, comme ce couple d’aveugle faisant l’amour dans des excréments ou, bien pire, cette scène insoutenable de viol collectif qui dure (on en a l’impression en tout cas) trop longtemps, où une certaine hypocrisie règne (on ne voit rien, que des ombres, mais les cris des femmes sont poussés à leur paroxysme) et qui se termine par le meurtre d’une femme le crâne fracassé à coups de poings (et ça, face caméra). Ironie de voir un film sur la cécité viré autant dans le voyeurisme. On pourra aussi reprocher une baisse de rythme dans le milieu du film, et un final un peu trop prévisible qui tente de passer par une pirouette finale dans le tout dernier plan.

De grandes idées mal exploitées ; voilà ce qui peut résumer Blindness, film épineux, trop peut-être pour un cinéaste qui nous avait paradoxalement bluffé avec sa vision des favellas lors de son premier film et premier coup de maître. Une erreur de parcours, espérons-le.

Note : **

Be kind rewind


La nostalgie au cinéma, c’est tout un art. La poésie, c’est encore plus difficile. Le bricolage, c’est carrément du suicide. Pourtant, cela n’a pas empêché Michel Gondry d’en faire ses marques de fabrique, pour le meilleur et le moins bon, comme Be Kind Rewind.

L’idée de base : un vidéoclub déclinant (concurrence du dvd oblige) n’a pas d’autres solutions après un petit incidence magnétique que de faire des remakes de films célèbres et les louer aux clients, qui chose surprenante deviennent fans. Le concept de Be Kind Rewind est proche d'un épisode de la série américaine The Amanda Show, diffusée aux Etats-Unis de 1999 à 2000. Dans cet épisode, des propriétaires de vidéoclubs malveillants louaient des parodies de films célèbres où ils jouaient eux-mêmes les héros.

Gondry, c’est un fondu de cinéma autant qu’un mec qui aime jouer avec du carton, des ficelles et de l’émotion. Be Kind Rewind (qui doit son titre aux mentions sur les anciennes vhs des vidéoclubs) c’est un retour aux vraies valeurs : la sincérité, c’est le gage d’un film apprécié. Ca doit être pour ça que l’on aime Michel Gondry, car force est d’admettre que si ses films sont sincères, ils sont loin d’être parfaits : problèmes de rythme, scénario tiré en longueur, explosions de bons sentiments sont autant de failles dans les diamants bruts que sont les films du cinéaste. Un manque de rigueur scénaristique le plus souvent, fort heureusement pallié par une inventivité de tous les instants à la mise en scène.

Ici, le cinéaste fait appel aux souvenirs des cinéphiles. Pas la nouvelle génération, qui se demande tout au long du film ce que sont ces gros trucs noirs avec une bande magnétique. Faisons alors un petit historique pour eux : le format VHS est apparu à la fin des années 70 et a immédiatement connu un immense succès. Premier support capable d'enregistrer des programmes, sa large diffusion vient surtout de son faible coût et de sa facilité d'utilisation. D'une qualité visuelle et sonore bien inférieure à celle d'un DVD, la cassette VHS souffre toutefois de gros problèmes d'usure, la bande magnétique se dégradant au fur et à mesure des utilisations, et pouvant même être démagnétisée par erreur. Le format est remplacé au début des années 2000 par le DVD, mais sa large diffusion fait qu'il est encore possible de s'en procurer. C’est surtout pour les plus de 15 ans un objet sacré : c’est ainsi que l’on a regardé les classiques de Disney, ce sont ces objets du désir que l’on piquait dans l’armoire de papa qui nous jugeait trop petit pour regarder Alien ou Frankenstein, c’est comme ça qu’on a découvert qui était Little Big Man. Qui n’a jamais passé son temps à copier les films loués, histoire de dire que « moi aussi, j’ai Taxi Driver dans ma collection maintenant ! ». Ces gros trucs noirs que l’on payait parfois 20 euros (le double du prix d’un dvd !) pour avoir Il était une fois dans l’Ouest.

Ces vhs, qui procurent encore du plaisir aux nostalgiques (dont j’avoue faire partie), même si le son est plein de crissement et l’image à peine nette, font partie de la vieille époque. L’époque des films ici « suédés » : 2001 : l'odyssée de l'espace, Rocky, Ghostbusters, When we were Kings, Robocop, Boyz'n the Hood, Le Roi Lion ou Rush Hour 2. Des films que Gondry ne parodie pas, non, mais plutôt à qui ilm rend hommage à sa manière : avec 2 sous et beaucoup d’imagination. La batterie d’une machine à laver devient le Discovery, un carton devient l’Empire State Building, une guirlande devient un rayon laser. Ce qui passerait pour un très mauvais effet de série Z devient chez Gondry une déclaration d’amour (d’humour ?) irrésistible. Et propulse Be Kind Rewind au sommet de sa magie, aussi courte soit-elle à trop tirer sur la corde et à ne pas permettre aux acteurs de se donner pleinement (Black fait du Black, Mia Farrow et Sigourney Weaver sont trop rares, seul Danny Glover tire son épingle du jeu).

Pas un grand film donc, mais un grand cri d’amour : aux films fauchés, aux films sincères, bref au cinéma. Et rien que ça, ben ça mérite de dire merci monsieur Gondry.

Note : ***

mercredi 24 décembre 2008

Le monde de Narnia 2 : le Prince Caspian (The Chronicles of narnia : Prince Caspian)


Le cinéma américain ne manque pas de ressources : quand Le Seigneur des Anneaux et Harry Potter ont commencé à rapporter des pépites, les grands manitous d’Hollywood se sont frottés les mains en se disant que de la littérature fantastique, c’est pas ça qui manque, donc les adaptations c’est pas ça qui allait manquer non plus. Et c’est ainsi que Le monde de Narnia a vite été mis en chantier, et a donné lieu à une suite (et d’autres à venir).

Petit flash-back : la saga de Narnia a été publiée entre 1950 et 1956 et c'est la deuxième série de livres la plus vendue dans le monde. Editée à près de 100 millions d'exemplaires et en 35 langues, la saga de C.S. Lewis est considérée comme l'un des classiques les plus imaginatifs de la littérature. Ce fut aussi en son temps une belle source de dispute : Tolkien et Lewis étaient en effet amis, et ont écrit leurs sagas en même temps, ce qui a rapidement dégénéré en un « l’autre m’a volé toutes mes idées ! » même si les histoires sont radicalement différentes. Toujours est-il qu’aujourd’hui, on se fout un peu de savoir qui vole à qui (même le sorcier à lunettes à piqué pas mal de trucs à l’univers de Tolkien) et le principal, c’est de faire des entrées, des entrées, des entrées ! C’est ainsi que Le monde de Narnia : le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique a rapporté plus de 745 millions de dollars dans le monde, ce qui a vite donné envie aux producteurs de continuer sur leur lancée.

Evidemment, au vu de l’échec artistique cuisant du premier film à mes yeux, le numéro 2 ne s’annonçait pas sous de meilleurs auspices, d’autant qu’Andrew Adamson restait aux commandes (passer de Shrek à Narnia, c’est quand même un peu gros). Même si les propos d’Adamson se voulaient rassurants : « La grande force de ce film est de prolonger l'univers d"jà découvert, de le révéler sous un autre angle, et d'y ajouter une puissance émotionnelle inédite. Les Pevensie voudraient pourtant retrouver le monde qu'ils ont connu dans le premier chapitre, mais Narnia a changé et ils devrontt l'accepter. Je pense qu'avec ce roman, C.S. Lewis voulait parler de la transition entre l'enfance et l'âge adulte et du fait qu'il faut savoir abandonner certaines choses pour grandir ». Narnia 2 allait-il être comme Harry Potter 2, une œuvre plus subtile et moins guimauve (sans être pour autant une réussite) ? Ben oui.

Ce qui rassure déjà, c’est que le côté artificiel du premier film est ici moins prononcé (plus d’extérieurs et moins de studio, des effets spéciaux plus aboutis), sans doute car le film n’a pas été, à l’instar du premier, réalisé dans l’urgence, mais a pris son temps. Ensuite, il est vrai, le film se veut moins enfantin que le premier film (ici, on ouvre l’histoire avec un coup d’état) et trouve une toute autre envergure, qui en fait enfin un film digne de ce nom.

S’il ne fallait retenir qu’une chose du film, ce serait en effet les éléments de la mise en scène : les effets spéciaux, superbes, mais surtout les maquillages (Howard Berger, le maquilleur oscarisé pour son travail sur le premier film, a travaillé avec une équipe de 50 personnes et a supervisé 4600 sessions de maquillage tout le long du tournage) et les costumes (les principaux acteurs et actrices ont nécessité pas moins de 1042 éléments de costumes différents, le plus souvent confectionnés à la main). Tous ces éléments deviennent réellement saisissants lors d’une grande bataille finale véritablement dantesque, grand moment du film.

Hélas, car il faut bien redescendre sur terre, le film ne brille vraiment que par cet aspect. La faute à quoi ? A une réalisation plan-plan, de facture classique, sans audace ni véritable imagination ; à un scénario calqué sur le premier en grosse partie, avec des situations parfois ultraprévisibles ; à des acteurs pas toujours convaincants dans l’ensemble, surjouant au moment où il ne faut pas ; à, et c’est ce qui fait le plus mal au film sans doute, un manque d’âme, à ce petit truc qui ferait dire « quel film ! » plutôt que « sympa ».

Le Monde de Narnia 2 dépasse donc le premier film, et c’est une bonne nouvelle pour le troisième en cours de production (Le Monde de Narnia : chapitre 3 - l'odyssée du Passeur d'Aurore). Vraiment ? Bof, car il faut dire qu’Adamson quitte le poste de réalisateur (se contentant du portefeuille de producteur) au profit de Michael Apted, à la filmo peu reluisante (entre autres Gorilles dans la brume, le James Bond Le monde ne suffit pas, Enough ou Goal ! 3…). Mais bon, il y avait peu d’espoirs pour Narnia 2 alors ne soyons pas médisant avant l’heure…

Note : **

Angel

Sans exagération, on peut dire qu’il existe deux François Ozon, différents dans leur démarche (un plus cérébral et un plus cinéphile) mais indissociables au demeurant. Avec Angel, c’est le Ozon cinéphile que l’on retrouve, mais hélas pas en grande forme.

Ce qui ne manquera pas de frapper les plus attentifs de prime bord, c’est effectivement les références (au niveau de la forme j’entends) à la période anglaise d’Hitchcock et à La splendeur des Amberson d’Orson Welles. Evidemment, il n’y a pas que cela : on peut aussi sentir l’influence (avouée) des Quatre filles du Dr March de Mervyn LeRoy, le Château du dragon de Joseph Mankiewicz, Autant en emporte le vent de Victor Fleming ou encore Gigi de Vincente Minnelli et Le temps de l’innocence de Martin Scorsese.

Voilà qui fait beaucoup de références visuelles. Sur le fond, l’adaptation du roman homonyme de Taylor semble être des plus fidèles, d’autant que le livre était un défi des plus intéressants pour le cinéaste comme il l’explique : « j'ai tout de suite senti que l'adaptation de ce livre était l'occasion de me confronter à un univers romanesque et que cela pouvait donner lieu à une grande épopée, dans la tradition des mélodrames des années 30-40, racontant la destinée d'un personnage flamboyant sous forme de ?rise and fall? (grandeur et décadence). Et puis je suis tombé amoureux du personnage d'Angel, qui m'amusait, me fascinait et finalement me touchait profondément. J'ai donc demandé à mes producteurs d'acheter les droits (que je pensais d'ailleurs pris aux États-Unis). »

Tout ça c’est bien joli, mais en somme que donne Angel ? Une sale impression de neutralité justement. C’est beau, ça veut renouer avec une certaine forme de cinéma d’autrefois mais au final, Ozon semble s’effacer complètement et le film aurait alors pu être réalisé par n’importe quel brillant technicien. Bien sûr, il y a de temps à autre de petits éléments qui nous rappellent un univers personnel (le déchirement des personnages, l’homosexualité latente de l’amie d’Angel) mais on est bien loin du Ozon pur jus, lequel cède trop la place au mélodrame alors qu’il aurait pu rester, comme il sait très bien le faire d’ailleurs, au drame.

Le casting laisse lui aussi un drôle de sentiment : d’une part, on aime les performances de Sam Neill, Michael Fassbender et surtout Lucy Russell mais on est un peu frustré de ne pas profiter plus de Charlotte Rampling et, surtout, l’actrice principale laisse perplexe : faut-il crier au génie ou à la caricature ? Romola Garai, illustre inconnue, frôle en effet la perfection à certains instants puis, le temps d’une scène suivante, surjoue, éclate, en fait beaucoup trop et du coup crée une distance trop importante entre elle et le spectateur. Son personnage trouble était du pain béni, elle en fait une tartine aux croûtes un peu trop dures.

Le constat est donc sévère mais sincère : Angel est superficiel. Comme son personnage, en effet, mais une telle maîtrise technique de la part d’Ozon méritait mieux comme toile de fond. On assiste à un spectacle trop long, admirable mais finalement creux et, surtout, déjà vu.

Note : **

Cowboy


Que ceux qui limitent le cinéma belge au social sombre et froid à la sauce frères Dardenne s’en aillent sur le champ ou acceptent leur erreur en prenant connaissance de Cowboy.

Aux origines même du scénario : un fait divers. Le 14 novembre 1980, un jeune homme du nom de Michel Strée prend un bus scolaire en otage. Il va marquer les esprits. « Ce jour-là, la Belgique voyait un type de 21 ans monter dans un bus scolaire en tenue d'Elvis Presley, une Winchester à la main et braquer tout le monde en disant : "Maintenant, on va à la télévision et je vais dénoncer les injustices de ce pays." » se souvient Benoît Mariage, le réalisateur de Cowboy, déjà auteur des Convoyeurs attendent, le plus beau rôle qu’ait eu Benoît Poelvoorde. De là, Mariage va avoir l’idée de parler non pas de Strée mais de Daniel Piron, journaliste en quête du sujet parfait et à la recherche de ses idéaux perdus.

Mais pourquoi un tel titre ? Les raisons sont assez simples en vérité selon le réalisateur : « Un titre, ça doit d'abord accrocher, et associer une Winchester et Poelvoorde à ce mot-là, ça a de l'impact. Et puis, ici en Belgique, un cow-boy, c'est un prototype de mâle fonceur qui va au bout de ses idées. Daniel Piron, c'est exactement ça : il trace. C'est le mâle, le macho, le conquérant. Il refuse sa part féminine, sa part intuitive. »

Evidemment, on pourrait redouter un film bien sombre avec une histoire pareille. Mais ce serait bien mal connaître Benoît Mariage, cinéaste humain, filmant toujours à hauteur d’homme, dont les films inclassables aiment nager entre deux eaux, celle du drame et celle de la comédie. Si la poésie mélancolique qui parcourait Les convoyeurs attendent n’est hélas présente ici que par bribes, Cowboy n’en est pas moins une franche comédie, avec un arrière-plan dramatique certes, mais une vraie rigolade en surface. Le comique vient surtout du caractère pitoyable de l’entreprise et de ses protagonistes, de ce journaliste idéaliste affublé d’une équipe minable et d’un héros désabusé, ayant finalement trouvé sa place dans le système qu’il dénonçait quelques années plus tôt. Le final, un rien déstabilisant de prime abord, est en réalité une magnifique réflexion sur l’Homme et sa condition : en chantant Non, non, rien n’a changé des Poppys dans une chorale, Piron découvre que ses idéaux sont dépassés, mais que ce n’est pas plus mal comme ça. Il comprend enfin que pour changer les choses, il ne faut pas remonter dans le passé, mais aller de l’avant.

Evidemment, le film doit beaucoup à la performance de Benoît Poelvoorde, qui trouve sans conteste l’un de ses plus beaux rôles. Benoît Mariage évoque le personnage joué par son compatriote de Piron : « Je voulais que le type qui cherche à retrouver les protagonistes de cette prise d'otage soit un vrai has-been. Une sorte de journaliste ringard, un peu trotskiste, un peu paumé, comme il y en avait beaucoup à la télé publique belge. J'imaginais donc ce vieux militant, mal à l'aise dans sa vie, qui fait une émission "à la con" et qui voudrait se réhabiliter en faisant un documentaire. C'était une manière d'élargir le personnage à la crise profonde qu'il traverse. Une sorte de crise de la quarantaine où toutes ses conquêtes extérieures ne le satisfont plus ; crise qui l'incite à partir à la conquête de lui-même. C'est d'ailleurs pour moi le cœur du sujet de Cow boy." (...) Daniel Piron c'est un Don Quichotte. Il a un élan. Même s'il est maladroit. Il ne trouve pas sa place, il est considéré comme un ringard. Comme Don Quichotte aurait pu l'être. » Et sans faillir, Poelvoorde interprète ce ringard de gauche, au fonctionnement de droite (il veut tout de même réaliser un documentaire pour la gloire et l’audience), décalé de son monde, en crise de couple parce qu’il le veut bien. Drôle et touchant, Poelvoorde écrase littéralement les seconds rôles qui l’entoure, à l’exception très notable de François Damiens, qui trouve enfin le bon niveau de jeu, et surtout un Gilbert Melki aussi bon que d’habitude, et peut-être même plus.

Film sans prétention, au faux-discours idéologique et à la vraie compassion pour toute une génération d’idéalistes désabusés (Piron n’est jamais que l’image d’une multitudes de quadragénaires actuels), Cowboy est un film réussi, qui mérite de ne pas passer inaperçu. Pour montrer que le cinéma belge sait être passionnant. Pour montrer que Poelvoorde est un immense acteur. Pour montrer que les idéaux, ça ne meurt jamais, et qu’il est donc nécessaire d’en avoir autant que possible. Fin de la plaidoirie.

Note : ***

dimanche 21 décembre 2008

After Hours


Il existe dans l’esprit de beaucoup de gens une différence fondamentale entre les cinéastes auteurs et les cinéastes commerciaux, une différence tellement importante qu’il est impossible qu’un réalisateur puisse se trouver entre les deux. Vraiment ? Pas convaincu, tant les transgressions sont nombreuses et en particulier chez un cinéaste comme Martin Scorsese, comme il le prouve avec After Hours.

Après La valse des pantins, le cinéaste n’est pas au mieux de sa forme : déprimé, il est devenu un cinéaste qu’on occulte un peu, sa dernière décennie étant un peu chaotique (hormis l’immense succès critique de Raging Bull) et surtout peu rentable. Conscient de sa situation, Scorsese reconnaît qu’il a besoin de réaliser un film léger et, surtout, qui rapporterait de l’argent. Le hic, c’est que les studios ont repris le pouvoir depuis la fin du Nouvel Hollywood, et imposent leurs idées ce que Scorsese n’aime pas trop, et il décline donc bon nombres de scénarios. Ce n’est que le jour où il se rend chez son avocat, Jay Julian, que ce dernier lui propose A night in Soho, un script plutôt écrit comme un roman, dans un style amateur mais sincère et qui est en réalité la thèse de Joseph Minion à la Columbia Film School. Tim Burton est déjà prévu en remplacement si Scorsese refuse, ce qui n’est pas le cas : le cinéaste tombe amoureux de la première partie du récit ! Il se chargera de modifier la fin par la suite.

Fin qui posera d’ailleurs problème : comment conclure ce récit invraisemblable ? Une des premières versions du script prévoit que June, le personnage de Verna Bloom, emmènerait Paul dans sa cave pour le cacher et que là, elle enflerait de sorte à devenir géante, écarterait les cuisses pour permettre à Paul de retourner dans le ventre maternel, ce que Paul acceptait et ce qui lui permettait, après être retourné dans l’utérus, de rentrer chez lui nu comme un ver : lorsque Scorsese soumis cette fin à Griffin Dune, celui-ci s’écria « Marty, tu ne peux pas tourner ça ! Jamais de la vie ! ». Plusieurs idées sont alors lancées par les amis de Scorsese : Spielberg, par exemple, verrait bien une fin clin d’œil à L’invasion des profanateurs de sépultures ; Michael Powell, lui, propose que Paul retourne au travail le lendemain matin, ce à quoi Michael Palin adhère à l’inverse de Terry Gilliam qui dit à Scorsese de « coupez ça ! ». Ce sera finalement, et une fois de plus dans la carrière de Scorsese, qui l’emportera.

Le film sera une cure de jouvence pour Scorsese, qui tourne avec une équipe légère et un budget presque ridicule, bref qui revient à une forme de tournage proche de ses débuts. Il met aussi en avant un quartier de New York peu illustré au cinéma, Soho, ce qui ne peut que ravir cet amoureux de la Big Apple. A sa sortie, le film est remarqué, applaudi (Prix de la Mise en scène à Cannes) et est un joli succès dans les salles, ce qui redore le blason du réalisateur.

After Hours est ce qu’on pourrait appeler un ovni dans la filmographie de Scorsese : aucun des autres films du cinéaste, qu’ils soient personnels ou de commande, ne lui ressemble. On peut même dire que le film, par moments, est l’antithèse du style scorsesien : le personnage principal, cette fois, n’essaie pas de s’intégrer à la société, mais d’y échapper ; de même il n’y a pas une majorité de personnages masculins mais bien féminins. On utilise également peu de musiques contemporaines au profit d’une musique étrange composée par Howard Shore. Il y a aussi deux univers que l’on ne pensait pas forcément voir chez Scorsese qui semblent se croiser : d’une part Hitchcock (un pauvre quidam est pris malgré lui dans un engrenage de catastrophes) et d’autre part Kafka. Le film ne s’agence pas non plus particulièrement comme un long récit mais plutôt comme un ensemble de saynètes : ensemble, elle forme une comédie paranoïaque invraisemblable mais, séparément, chaque sketch reste réaliste, plausible : paradoxe cher aux surréalistes que Scorsese utilise ici à merveille.

Il y aussi dans la mise en scène le plaisir évident qu’à eu le cinéaste à faire son film : mouvements de caméras virtuoses, clins d’œil en tous genres, éparpillement de détails qui renforce l’idée d’un film-puzzle (dont certaines pièces manquantes rende le film encore plus étrange) et un plaisir évident à torturer le personnage de Paul (voir ce caméo de Scorsese dans la boîte de nuit, à la poursuite qui éclaire Paul durant toute la scène).

Le script ne semble pas avoir de sens, et pourtant il est d’une cohérence certaine, chaque sketch complétant le suivant ou celui d’après. On pourra même s’amuser, puisque nous sommes dans le délire schizophrène le plus complet, de voir le film comme une métaphore du monde moderne : Paul, petit informaticien, subit une forme de bug dans le courant de sa nuit (le nom de famille de Paul étant Hackett, littéralement « Hacked » soit « piraté ») et, tentant d’éviter les bugs qui suivent (les frustrées, les locataires paranos) il ne trouvera le calme que de retour dans son bureau, où son propre ordinateur sera le seul être agréable avec lui en lui disant « bonjour ». Une théorie absurde certes mais qui semble coller avec le film, puisque la notion de moderne se retrouve même dans l’art (les sculptures de Kiki notamment, où l’évocation au tableau Le Cri d’Edvard Munch).

Enfin saluons la performance de Griffin Dune, parfait dans son rôle de victime (vraiment ? Il est quand même responsable de la mort de Marcy…) qui reste, malgré tous ses ennuis, d’une affabilité exemplaire. La méthode de direction de Scorsese marcha donc pleinement ; le cinéaste avait ainsi demandé à Dune de limiter son sommeil et ses activités sexuelles durant tout le tournage, pour paraître plus convaincant dans le côté « paranoïa ». Une performance qui valut d’ailleurs à Dune une nomination aux Golden Globe.

Objet filmique étrange, virage à 180° pour Martin Scorsese et comédie paranoïaque par excellence, After Hours mérite une place à part dans la filmographie du cinéaste : non seulement elle prouve qu’il est capable de filmer tout, mais elle lui a également permis, tout en laissant libre cours sa personnalité, de revenir sur le devant de la scène cinématographique mondiale et de monter des films phares comme La dernière tentation du Christ. Une œuvre à ne pas sous-estimer.

Note : ***

jeudi 18 décembre 2008

Promets-moi (Zavet me)


Même les plus grands cinéastes ont leur moment de faiblesse. Personne n’est parfait après tout. On ne peut donc pas vraiment blâmer Emir Kusturica d’avoir réalisé, avec Promets-moi, l’un de ses moins bons films, si pas le moins bon tout court.

Pourtant à la base, on retrouve tous les ingrédients propre à l’univers kusturicien : animaux, mariages, bandits, musique tzigane (menée tambours battants par Stribor Kusturica, fils de qui vous savez), lévitations et situations totalement décalées, sur lesquelles le réel ne semble pas avoir d’emprise. Film à la fois comique et burlesque, Promets-moi semble aussi être un immense hommage à Buster Keaton, Charlie Chaplin, Tex Avery, Jacques Tati voire Tim Burton, et même Nick Park tant les gags machiniques (comme dans Wallace et Gromit) sont nombreux ici. Et, bien sûr, un hommage de Kusturica à lui-même tant Promets-moi fait des parallèles avec le reste de l’œuvre du cinéaste. Et c’est là que le bat blesse : sommes-nous en présence d’une réalisation honnête ou d’une vaste parodie ? Car à force de réemployer les mêmes ingrédients, cette fois à outrance (la zoophilie des gangsters), le film vire au ridicule, à la blague potache et redondante, drôle au début et lassante à la fin.

C’est d’autant plus troublant que Kusturica semble faire n’importe quoi à la réalisation, alternant les grands moments (le long final est totalement jubilatoire) et les plans très réussis ou les gags irrésistibles (comment décrocher un saucisson en shootant dans un chat) avec des effets spéciaux mal fichus, et le plus souvent inutiles. Le rythme n’y est pas non plus, et seul le montage alterné nous évite l’ennui.

C’est bien dommage, car les personnages en eux-mêmes sont majoritairement irrésistibles, en particulier les jumeaux, impayables et dignes de l’univers de Kusturica. Le grand-père est également très drôle, caractériel et facétieux, agacé et amoureux de son ancienne fiancée à forte poitrine, convoitée par un inspecteur scolaire tourné en ridicule. La bande de gangsters est elle aussi pas mal, même si on a connu Miki Manojlovic (fidèle des fidèles chez Kustu) plus inspiré. A cet égard, le jeune Uros Milovanovic dans le rôle de Tsane s’en sort très bien.

Un film en demi-teinte donc, qui sème le doute dans notre esprit : soit c’est un film sérieux, et donc un échec de la part d’un cinéaste aussi doué, soit c’est de l’autodérision, et dès lors il s’agit d’une private joke de 2 heures qui ne fait rire qu’à moitié. Quoi qu’il en soit, on reste déçu de voir un tel talent gâché ; le « Fellini des Balkans » n’a guère fait mieux qu’un clown.

Note : **

samedi 13 décembre 2008

Dyptique Mesrine


Les biopics, c’est à la mode. Les films de gangsters, c’est en général un succès garanti et surtout un film culte pour des générations à venir, même si ces générations peuvent mal interpréter les discours (il n’y a qu’à voir comment le propos de Scarface a été détourné). Mais les films français très audacieux, là c’est tout de même plus rare. Alors quand une production de l’Hexagone joue sur le terrain habituellement ricain, et en diptyque en plus, on craint le pire… Et on est heureux de se tromper avec Mesrine !
Ce n’est pas la première fois que la vie du célèbre gangster est portée à l’écran : Mesrine en 1983 réalisé par André Génovès et le téléfilm La Chasse à l'homme ont déjà illustré le bonhomme (et même Inspecteur La Bavure en partie dans une toute autre mesure). Sans oublier les chanteurs qui en ont à un moment ou l’autre parler dans leurs œuvres, de Renaud à Trust en passant par IAM. Bref, une icône, une légende des valeurs sociales. Vraiment ?




L’instinct de mort
Je dois avouer qu’à l’annonce du projet, j’étais un peu mitigé. D’abord, parce que le casting n’a pas arrêté de changer (avec Vincent Cassel il y a eu Benoit Magimel et Vincent Elbaz d’annoncés, puis des noms comme Marion Cotillard, Eva Green, Alain Delon, Jean-Pierre Cassel, Guillaume Canet, Clovis Cornillac et Samy Naceri ont circulés avant d’être supprimés) puis le nom de Jean-François Richet ne m’emballait pas plus (surtout qu’il remplaçait Barbet Schroeder) que celui de Thomas Langmann à la production (jeune homme certes ambitieux mais hélas pas toujours au top à se trop se prendre pour un américain).

Heureusement, il m’arrive d’aller au-delà de mes appréciations et de me rendre compte de mon erreur de départ. Il faut dire que Richet a la délicatesse de rassurer dès le départ par un carton-générique disant grosso modo qu’un biopic n’est jamais honnête, que la Vérité n’existe pas et ou plutôt qu’elle existe chez tous sous différentes formes ; bref, Mesrine sera un film qui ne se voudra pas objectif mais juste sincère. L’intro du film laisse dubitatif à ce niveau : on voit Mesrine et sa compagne, quelques minutes avant de se faire descendre, tenter de quitter Paris déguisés. Un montage de plusieurs cadrages différents du même plan fait penser à cet effet de mode lancé par 24H Chrono, mais peut aussi faire écho au message de Richet, en montrant que Mesrine n’a(ura) pas qu’une seule mais bien plusieurs facettes.

L’instinct de mort (et par conséquent L’ennemi public) s’étale donc comme un vaste flash-back qui tente de comprendre, dans cette première partie, comment Jacques Mesrine est devenu ce qu’il est devenu. La guerre d’Algérie à 20 ans, l’envie de richesse et de femmes, des amis douteux, un père lâche, une vie morose et monotone, une réinsertion impossible, tout ce qui a pu contribuer de près ou de loin à faire de Mesrine un ennemi public est exploité. Même des événements relativisés comme le meurtre du proxénète (dont s’est vanté Mesrine dans son livre bien que le meurtre ne fut jamais prouvé en l’absence de victime) ou le cambriolage audacieux où Mesrine s’est fait passé pour un inspecteur de police auprès des propriétaires de la maison sont présents dans le récit. On regrettera à cet égard que le meurtre de Evelyne Le Bouthillier ne soit pas évoqué dans le film, ce meurtre que l’on attribua à tort à Mesrine et Schneider et sur lequel il écrivit d’ailleurs le livre Coupable d’être innocent où il explique que son mépris de la justice vient aussi en grande partie de cette fausse accusation…

Le casting est impeccable : Vincent Cassel, bien sûr, est impressionnant, autant que Gérard Depardieu en dandy malfrat de banlieue. Et ce n’est qu’au vu des performances des acteurs que l’on regrette un peu la mise en scène de Richet, globalement académique, froide, certes brute et efficace (le meurtre du proxénète mais aussi la détention au QHS et l’assaut contre celui-ci) mais qui semble s’effacer pour laisser la place aux personnages et à l’ambiance qui les entoure (fantastique retranscription des années 60). Richet a néanmoins l’intelligence, et c’est ce qui fait à mes yeux le charme de ce premier volet, de présenter Mesrine d’un point de vue humain : Mesrine n’est ni un héros, ni un enfoiré complet. Il n’hésite pas à tuer mais respecte un code moral, il ne supporte pas que l’on maltraite les femmes mais bat la sienne, a des tendances d’extrême-droite alors qu’il finira d’extrême-gauche (si on peut dire). Mesrine est un personnage complexe, à la fois fascinant et repoussant, intriguant et inintéressant, bref un homme avec toutes ses contradictions. Oui, un homme, rien de plus, rien de moins, et c’est ce qui fait la qualité du film de Richet de ne pas sombrer dans la glorification ou la mortification du mythe Mesrine.




L’ennemi public n°1
Il est surprenant de voir comment deux films qui sont à la base sensés n'en faire qu'un peuvent être radicalement différent. L’ennemi public s’intéressant à la vie médiatique de Mesrine, il est facile d’affirmer (et je ne me priverai pas pour le faire) que le film était à la fois plus facile et plus périlleux à faire que L’instinct de mort. En effet, si les informations sont beaucoup plus faciles à obtenir sur cette partie de la vie du gangster, il faut aussi non seulement se détacher de l’image que l’on garde du Mesrine vu à la TV mais aussi de parvenir à faire en sorte que le spectateur suive dans ce détachement.

Dans ce second volet, exit la psychologie fouillée de Mesrine, place à un antihéros qui se veut bigger than life, un mégalo fini qui se prône en justicier et qui n'est qu'un voyou de grande envergure. La complexité de Mesrine laisse place ici à l’ambition d’un gangster parfois pathétique, toujours audacieux. En ce sens, L’ennemi public est moins sombre car plus drôle que l’Instinct de mort (l’ironie du personnage de Mesrine jouant pour beaucoup, notamment lors de la séquence du procès). Chacun se fera son opinion, mais cet humour allège le film et le rend moins marquant que le premier volet à mes yeux…

Fini aussi l'ambiance tendue, la nervosité, le film à fleur de peau, place à un film un tout petit peu répétitif (braquages, arrestation, évasion, braquage, arrestation, évasion) mais très drôle (en tout cas grâce à la grande gueule de Mesrine). En revanche, et c’est là le paradoxe, Richet semble se lâcher, recourant à des caméras épaules et un montage abrupte qui rend le film parfois illisible. Ironie de voir que la nervosité du film disparaît quand la nervosité de la caméra du réalisateur refait surface… Cela étant, le film parvient à prendre à ce point au trip qu'on en vient à frémir lors d'un contrôle routier, ou à avoir un léger pincement quand Mesrine arrive Porte de Clignancourt. C’est là le premier point fort de ce film, être capable de jouer avec les émotions du spectateur même si celui-ci s’est renseigné sur Mesrine avant de rentrer dans la salle. Et cela rend le film encore plus drôle d’ailleurs, car si on se prend à être accroché au film comme si on ignorait ce qui allait se passer, on ne peut s’empêcher de dire que les évasions de Mesrine « c’est trop déconné ! » alors qu’elles eurent réellement lieu de la sorte (cfr cette évasion de la Santé ahurissante). Le genre de scènes dont on dirait dans un film normal « j’y crois pas, c’est vraiment du cinéma ! » alors que… A noter qu’une certaine tension règne quand même dans le film, la caméra ne quittant jamais Mesrine (et évitant ainsi des éléments historiques importants comme la guerre des polices par exemple).

Ensuite évidemment, second point fort du film (et bien plus encore que dans l’Instinct de mort) : le casting. Bien plus étoffé que le premier film (on retrouve ici en vrac Samuel LeBihan, Matthieu Amalric, Olivier Gourmet, Gérard Lanvin, Ludivine Sagnier, Georges Wilson), les comédiens semblent être plus encore au diapason : LeBihan est méconnaissable en Ardouin (il a pris 14 kilos quand même pour ce rôle de 10 minutes…), l’accent de Lanvin qui fait rire la première fois passe inaperçu à la scène suivante, Amalric est fidèle à lui-même, Gourmet aussi, Sagnier nous fait toujours autant profiter de son talent que de ses (généreuses) formes et Georges Wilson est tout simplement impayable dans la séquence d’un milliardaire de 82 ans kidnappé qui refuse de payer Mesrine vu son âge ! Mais le sommet, et c’est chose logique, est Vincent Cassel qui EST Mesrine dans ce qu'il a de plus noble et de plus pitoyable, et dont la performance physique impressionnante (20 kilos en plus) s'ajoute à un effacement total derrière le caractère du personnage. On oublie l’acteur, on ne retient que Mesrine, criminel notoire et prétentieux, se voulant d’extrême-gauche alors qu’il braquait des banques (et donc l’argent des petits gens), voulait son nom en première page du journal, qu’on ne parle de lui qu’en bien (pénible séance de torture du journaliste de La Minute) et qui s’isolait malgré lui. On a pour coutume de dire que les grands acteurs, ceux de l’Actor’s Studio, sont américains ; Cassel prouve ici, en toute simplicité, qu’il peut prétendre aussi au statut de grand acteur.

Diptyque difficile à juger donc, les deux films ne se ressemblant pas tant que ça, mais dont le fil conducteur, à savoir Vincent Cassel, parvient à créer la suture de manière adéquate. La sincérité, l’implication de l’équipe dans le film, le refus d’idéalisation du personnage et l’acteur principal font de Mesrine l’un des plus grands polars français depuis des années.

Note : ***

jeudi 11 décembre 2008

Coluche : l'histoire d'un mec


La France aime-t-elle les biopics ? Difficile à dire, mais force est de constater que depuis un moment, les films biographiques ont la cote : La Môme a ouvert le bal de manière magistrale (5 Césars, 5 BAFTA, 1 Golden Globe et 2 Oscars + 5 millions d’entrée en France, quand même) et cette année fut gratifiée d’un diptyque sur Mesrine, un film sur Albert Spaggiari (Sans arme, ni haine, ni violence) et, cerise sur le gâteau, le comique préféré des Français, celui qui fait encore rire plus de 20 ans après sa mort, le nommé Coluche.

Ce sont les producteurs Edouard de Vesinne et Thomas Anargyros qui sont à l'origine du projet et qui ont transmis à Antoine de Caunes un scénario qu'ils avaient préalablement commandé au journaliste Diastème. Au départ, il s'agissait d'un biopic retraçant en gros les vingt dernières années de la vie de Coluche, du café de la Gare à sa fin. « Je le lis avec intérêt, d'abord parce que l'auteur est un ami et qu'il a du talent, se souvient le cinéaste, et je trouve qu'il s'est dépatouillé aussi bien qu'il pouvait d'un exercice de style dont, au final, je ne vois pas l'utilité. Je ne vois pas pourquoi passer par la fiction pour raconter une histoire que l'on connaît à peu près tous, autour d'un personnage qui n'a pas de zone d'ombre à ce point profonde pour qu'on y fasse descendre le bathyscaphe. J'ai vu quinze documentaires sur Coluche, je sais à peu près tout sur lui alors pourquoi moi spectateur irais-je voir un film sur lui au cinéma. Je décline donc, dans un premier temps. Mais en même temps ça me titille. L'idée se met à germer et je me dis qu'il y a quelque chose à faire sur cette période du passage des années 70 aux années 80, celle où la vieille France bascule, où Coluche bascule et où j'entre dans la carrière - sur ce Coluche que j'ai admiré, que j'aime, et dont la parole manque cruellement aujourd'hui. Alors j'y réfléchis et à un moment, bingo, je me dis : "bon sang mais c'est bien sûr !" Là où il y a quelque chose à raconter sur Coluche, là où il est au carrefour de choses qui le dépassent complètement, qu'il va affronter et qui vont complètement le casser en deux, bref là où il y a une dramaturgie, c'est le moment des élections. Depuis le moment où, sur un coup de tête, il décide, pour foutre la panique et s'amuser, de se présenter aux élections présidentielles, jusqu'au moment où il renonce. Ce qui se passe pendant ces quelques mois l'a transformé profondément, lui a fait perdre de la légèreté, de la grâce, de l'insouciance, lui a fait connaître le tourment. Et là pour moi il y avait soudain un film sur un homme confronté à ses contradictions, à la réalité, sur une toile de fond politique qui à mes yeux a une résonance aujourd'hui et à ce moment-là, finalement, j'ai dit oui aux producteurs. »

Pourtant, le film manque de ne pas sortir au dernier moment : Paul Lederman, l'ancien producteur et imprésario de Coluche (dont le nom est changé dans le film car il n’avait pas donné son accord), engage une procédure judiciaire à l'encontre de la société Cipango, productrice du film. Raison invoquée à cette assignation en référé : l'utilisation en sous-titre du film de la formule "l'histoire d'un mec", formule qu'il dit lui appartenir en tant qu'éditeur du sketch Histoire d'un mec sur le pont de l'Alma. L'imprésario, également connu pour ses différends avec Les Inconnus, a non seulement réclamé que cette mention soit retirée du titre mais aussi que Cipango lui verse la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon. Heureusement, le 14 octobre 2008, veille de la sortie du film, Lederman est débouté et le film peut sortir sereinement.
Heureusement ? Oui, pour François Xavier-Demaison. Ce dernier domine effectivement tout le film : il ne joue pas, il est Coluche. N’ayant pas eu peur de prendre 14 kilos pour le rôle, c’est surtout dans le travail de la gestuelle et, encore plus, dans celui de la voix que Demaison parvient à s’effacer la plupart du temps et faire croire au vrai Coluche. Performance élevée, superbe, qui mérite vraiment d’être récompensée aux prochains Césars tant un jeu d’acteur pareil est rare en France. A ses côtés, les excellents acteurs que sont Alexandre Astier ou Olivier Gourmet font parfois office de figuration (moins Gourmet quand même).

Là où le film s’affaiblit, c’est dans le reste. Mais vraiment : tout le reste. La mise en scène de De Caunes, par exemple, très académique, qui se veut proche du reportage avec sa caméra à l’épaule mais n’apparaît en réalité que comme une succession de tableaux où Demaison écrase tout, capte le regard du spectateur et ne le laisse plus partir ailleurs. Sans oublier ses énormes facilités, comme ce plan final montrant Coluche observer un clochard faire les poubelles pour se nourrir et conclure par le message « 4 ans plus tard, Coluche fonda les Restos du cœur… Dont le succès ne s’est malheureusement jamais démenti ».

Mais ce qui m’a gêné le plus, c’est sans conteste le scénario. L’idée de montrer comment Coluche, icône nationale, sombre petit à petit dans la déchéance à cause de diverses pressions, est intéressant ; inutile, mais intéressant. Tout le monde sait que Coluche a déconné après les présidentielles, il l’avouait lui-même. Mais le problème n’est pas là ; le problème selon moi est dans le côté « anar » que De Caunes veut donner au film : en gros, la droite c’est des gangsters, la gauche des hypocrites et les flics des pourris. Avec Coluche, la France ne serait pas là où elle en est actuellement ! Voilà comment résumer le discours du film, peut-être vrai mais de toute façon impossible à dire. Ce discours est d’autant plus problématique qu’il canonise Coluche, l’élève même au rang de martyr. Moyen moyen.

Dommage donc que l’ensemble du film ne soit pas à la hauteur de l’interprétation de François-Xavier Demaison, véritable surprise d’un film qui enfonce des portes ouvertes et se sert d’une histoire parallèle pour mettre en avant des opinions politiques qui n’avaient pas nécessairement leur place dans ce récit. Un film patibulaire, mais presque.

Note : **