lundi 28 avril 2008

Funny Games U.S.


Michael Haneke n’a rien de traditionnel ; on peut même dire que, dans son genre, c’est un innovateur, qui revient sur le devant de la scène avec un film étrange : Funny Games U.S.

Pourquoi étrange ? Eh bien parce que le film est un remake très très fidèle du Funny Games original de 1997, déjà signé Haneke, qui avait soulevé indignations et admirations à sa sortie, au point de devenir un film culte et incontournable, qui ne laissait personne indifférent. La chose la plus troublante vient de l’intérêt même de ce remake.

On le sait, plusieurs cinéastes ont déjà fait des remakes de leurs propres films avant Haneke (citons Hitchcock, Leo McCarey, Frank Capra, Howard Hawks ou encore Roberto Rodriguez) mais jamais ces remakes n’étaient des « shots for shots », des remakes plans par plans de l’œuvre originale. Le seul à avoir fait cela était Gus Van Sant et son Psycho. Haneke débute donc sa carrière américaine par le remake « shots for shots » de son film le plus célèbre, et aussi le plus dérangeant. Mais pourquoi ? Le réalisateur s’explique : « Je cherche à montrer la violence telle qu'elle est vraiment : une chose difficile à avaler. Je veux montrer la réalité de la violence, la douleur, les blessures infligées par un être humain à un autre. Sortant d'une récente projection de Funny Games U.S., un ami critique m'a dit : "Ce film a maintenant trouvé sa vraie place." Il a raison. Lorsque dans les années 1990, j'ai commencé à songer au premier Funny Games, je visais principalement le public américain. Et je réagissais à un certain cinéma américain, à sa violence, à sa naïveté, à la façon dont il joue avec les êtres humains. Dans beaucoup de films américains, la violence est devenue un produit de consommation. Cependant, parce que c'était un film en langue étrangère et que les acteurs étaient inconnus des Américains, le film original n'a pas atteint son public. Lorsqu'en 2005, le producteur britannique Chris Coen m'a suggéré de le refaire en anglais, j'ai accepté... à condition que Naomi Watts en soit la vedette. » Voilà qui est fort louable, mais on ne peut s’empêcher d’y voir une dimension économique non-négligeable : Haneke n’a jamais été un cinéaste à succès, donc autant tenter de rendre plus agréable son film le plus connu. Et qui plus est, on ne comprend toujours pas l’intérêt d’un « shots for shots » (la production a d'ailleurs réutilisé les modèles du film original : le décor principal de la maison a ainsi été recréé dans les mêmes proportions que celui de la première version).

Cela implique que l’on retrouve les même qualités et les même défauts que dans l’original. A nouveau donc, le jeu du hors-champ est énorme dans ce film. Et c’est là son point fort : Haneke n’a jamais travaillé dans le sensationnel, dans le spectaculaire mais toujours dans le cérébral (études de psychologie obligent) et dans un jeu intéressant avec le spectateur. Le propos de Haneke est très clair : Funny Games est là pour dénoncer le voyeurisme et la violence au cinéma. Bref, il questionne le cinéma dans sa veine contemporaine, et demande aux spectateurs de réfléchir aussi à leur rapport avec cette violence quotidienne qu’ils acceptent et, pire, demandent. Funny Games est donc un produit de frustration : dans ce film (traité de manière assez froide au demeurant), vous ne verrez rien, vous devrez imaginer ce qui se passe. Plus d’un spectateur sera dérouté, pour ne pas dire dégoûté, d’avoir payé pour assister au massacre d’une famille et ne rien voir. En revanche, Haneke incite à une participation spectatorielle phénoménale, le film étant un véritable travail d’imagination pour ceux qui le regarde. Cela ne s’arrête pas là : Haneke implique aussi le spectateur en statut de voyeuriste assumé. On remonte alors à l’origine du cinéma, à l’époque où le cinéma se savait regardé et agissait en tant que tel, avant que Griffith impose un cinéma qui se sait regarder mais fait semblant de l’ignorer. Ici, les regards caméras, les adresses même d’un des tueurs au spectateur, établissant une complicité entre lui et le public, pire en lui demandant d’agir (« C’est un peu court pour un long métrage, vous ne trouvez pas ? Vous espérez une fin digne de ce nom, n’est-ce pas ? ») force le spectateur à quitter son rôle de voyeur discret pour devenir acteur d’une torture infligée à une famille. Sur base de procédés simples ou d’effets que l’on a volontairement oublié dans l’évolution du cinéma, Haneke impose donc une réflexion globale sur la violence, la représentation que s’en fait le spectateur et son implication dans celle-ci, vu qu’il est originellement demandeur de violence à l’écran. Il y a aussi ces séquences, interminables, où le couple tente de se libérer et de prévenir la police. Formés de plan-séquence où peu d’action se passe, ces séquences font également perdre au spectateur l’intérêt du film, l’ennuyant et plaçant donc l’idéologie du film dans une drôle de posture : les meilleurs moments n’étaient-ils pas quand les jeunes torturaient la famille ? Le rapport du spectateur devient alors trouble, vu qu’il préfère assister à des scènes de tortures plutôt qu’à des scènes dramatiquement fortes mais sans action.

Mais Haneke va plus loin encore lorsqu’il se bat contre ce qu’il appelle la « deuxième réalité », celle que tentent de nous faire croire les médias mais qui n’est pas une réalité. Par principe, un film est une « seconde réalité » aussi, et Haneke souligne que cette réalité est fausse, qu’il s’agit d’une manipulation, au travers d’une scène étrange et subtile d’un retour en arrière grâce à une télécommande. Grâce à cette séquence, il fait clairement comprendre au spectateur que nous sommes en présence d’une fiction, que le massacre que nous sommes en train de voir n’a rien de réel, que la violence ne doit pas être un objet à regarder comme une réalité mais un objet à regarder en ayant conscience de sa nature trompeuse.

Mais où se situe le problème alors ? Eh bien il tient en deux points : premièrement, la leçon de morale donnée par Haneke peut sembler justifiée mais finit, à force d’être trop martelée, par devenir agaçante. S’il s’agit sans conteste d’un provocateur doué, d’un philosophe confirmé, Haneke n’a rien du pédagogue, et son film devient un cours de morale trop pompeux pour pleinement convaincre. Ensuite, le second problème majeur vient d’une simple image : celle où l’un des deux jeunes se fait tuer. Alors que le film a joué avec le hors-champ, de manière admirable il faut le rappeler, durant tout le film, Haneke relâche la pression le temps d’un plan explicite où le jeune est tué d’un coup de fusil de chasse, répandant son sang sur tout le mur. Non seulement on ne comprend pas pourquoi Haneke arrête délibérément son jeu du hors champ, mais surtout il faut voir la réaction du spectateur à cette scène : elle répond enfin à ses attentes. De fait, le spectateur oublie les 1h30 qui viennent de passer, et attends de voir si le sang va encore jaillir ; Haneke perd alors toute l’attention du spectateur, et la réflexion qu’il a forcé à mener jusque là s’évapore. D’où question : quel était le but d’Haneke de faire ça ?

La différence notable entre l’original et le remake se situe dans l’interprétation. Non pas que les acteurs du Funny Games de 1997 soient mauvais, loin de là, mais il faut bien reconnaître que le casting que s’est offert Haneke pour ce remake est tout simplement superbe, magistralement dominé par le duo Michael Pitt/Brady Corbet, au sommet de leur talent. Avec leurs gueules d’anges, ils composent des psychopathes redoutables, plus encore Pitt que Corbet, démontrant un magnétisme et une maîtrise de son jeu tout à fait bluffant. Si ce n’est pas une révélation, c’est la preuve ultime qu’il s’agit là d’un acteur à avoir à l’œil.

Film ambigu donc, avec une idéologie très claire jusqu’à un certain point, où l’on perd un peu le sens du message, Funny Games U.S. est le portrait craché de son modèle original : un film d’une grande richesse intellectuelle mais qui, à force de se répéter et, surtout, de ne pas assumer son message jusqu’au bout, déstabilise. Et, du coup, sa qualité en pâtit. Reste néanmoins, concernant le remake, une série de performances toutes plus belles les unes que les autres. Cela compense avec cette question sans véritable réponse du pourquoi du remake.

Note : entre ** et ***

jeudi 24 avril 2008

[REC.]


Le réalisme au cinéma se porte bien, merci. Il a même réussi, et on se demande pourquoi il a mis autant de temps à le faire, à s’imposer dans les films à haute dose de tension et d’effroi. Pour preuve, 2008 aligne pas moins de 4 films recourant à ce procédé : Cloverfield, Diary of the dead ainsi que [REC.] et son remake américain Quarantine.

Mais en quoi ces films se différencient-ils du Projet Blair Witch, qui il y a dix ans déjà utilisait le procédé de la caméra perso comme témoin d’une horreur fantastique ? Eh bien disons qu’avec la démocratisation plus qu’immense du caméscope et l’ampleur du phénomène Youtube sur Internet (lui aussi très largement rentré dans les habitudes), et l’apparition de la télé-réalité, les spectateurs ont pris l’habitude de se reconnaître comme voyeurs, et même de s’assumer en tant que tels en voulant toujours plus de réalisme, toujours plus de vérité, de phénomènes pris sur le vif. Jaume Balaguero, le réalisateur, explique justement s'être inspiré de l'univers de la télé-réalité : « Nous avons pensé que la clef résidait peut-être dans la manière dont sont construits certains programmes destinés au petit écran", explique le cinéaste. "Il fallait que notre film soit le plus réaliste possible, que l'histoire paraisse se dérouler en direct, un peu à l'image d'une émission de télé-réalité. » Paco Plaza, le co-réalisateur, poursuit dans ce sens : « Nous étions convaincus qu'en nous inspirant des artifices propres à la télévision, nous serions en mesure de créer un film d'horreur différent, et bien plus effrayant, de ceux qu'on a l'habitude de voir. » Il faut en plus de cela souligner que les deux hommes ont travaillés ensemble OT : The Movie, un documentaire autour de la version espagnole de Star Academy. Les influences sont évidentes…

La seconde astuce de ce genre de film consiste dans l’utilisation intensive du net pour faire une promo dantesque : Blair Witch avait inauguré la voie avec ses fausses infos, Cloverfield ayant suivi avec un teaser terrifiant (la Statue de la Liberté décapitée quand même) ; il ne restait donc plus qu’à [REC.] de jouer le grand jeu et de frapper fort. Chose faite : le teaser avait cela d’original qu’il ne montrait finalement que peu (voir pas) d’images du film mais uniquement des réactions du public, filmé en night-shot dans une salle de cinéma.

Projeté dans quelques festivals où il a glané prix sur prix (triplement récompensé au Festival du Film Fantastique de Gérardmer 2008 en recevant le Prix du Jury, le Prix du Public et le Prix du Jury Jeunes, quatre distinctions au Festival International de Sitges 2007 avec les Prix du Public, Prix de la Critique, Prix des Meilleurs réalisateurs pour et Prix de la Meilleure actrice, plus récemment Corbeau d’Argent et Prix Pégase du Public au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles), [REC.] s’annonçait donc comme une immense claque, un sommet de l’angoisse qui ferait date dans l’histoire du genre fantastique. Est-ce le cas ?

Eh bien oui et non. Dans la forme, le film est très réussi, et sait ménager ses effets tout en gardant une intelligence de chaque instant. Dans le fond, en revanche, c’est moins bon.

En fait le problème (mais en est-ce vraiment un après plus de cent ans de cinéma ?) c’est que le scénario sent le déjà vu, le déjà vécu : un groupe de personne enfermé dans un immeuble avec un truc louche qui se passe et décime toute la petite population de l’endroit… Bof. Sans compter que l’explication donnée sur cette mini-hécatombe tombe un peu de nulle part, voulant éviter le récurrent « mal zombi » pour autre chose… Qui s’avère être assez décevant.

Point de vue réalisation en revanche, on assiste à une réussite quasi-totale : avec un budget dérisoire, résumé à un huis-clos et une utilisation minimale des effets spéciaux (surtout des maquillages en réalité), [REC.] s’impose comme un standard du genre. Les réalisateurs Jaume Balaguero et Paco Plaza expliquent avoir voulu « construire le cauchemar le plus crédible possible, une expérience terrifiante qui pourrait garder le public le plus captif possible. On a donc décidé de raconter cette histoire comme un reportage télévisé en direct, de tourner en "live" avec l'horreur qui survient en temps réel, sans possibilité de stopper le récit. L'idée était de laisser l'action se développer devant les yeux du spectateur. Comme si tout ce qui se passait à l'image était VRAIMENT EN TRAIN de se dérouler, avec le minimum d'ellipses temporelles. ». Et surtout, un parti pris de la surprise : les acteurs par exemple ne savaient jamais ce qui allaient se passer dans la scène qu’ils tournaient, afin que leurs sursauts soient réels, de même que l’opérateur qui joue donc ici le rôle du caméraman. Les réalisateurs restent aussi conscients des limites du procédé « reportage sur le vif » et ne tombe pas dans le piège de la « caméra invincible » (le caméraman n’est pas sans peur et sans reproche, ce qui veut dire qu’il peut avoir peur devant les événements et songer à sauver sa peau avant de filmer). On assiste donc à un vrai reportage, avec ses coupures abrupts ou encore ses moments d’écran noir avec seul le son qui marche (à noter bien évidemment l’absence de musique, ce qui ici sert le film admirablement). La tension devient alors aussi palpable qu’elle ne l’était dans Projet Blair Witch, mais est renforcée de par l’imagination du spectateur qui a maintenu perdu la notion de distinction entre réalité et mise en scène (on sait que les émissions de télé-réalités sont mises en scène, mais on se force à croire que c’est du spontané).

Du côté acteurs, c’est du grand art, aucun ne surjouant vraiment si ce n’est peut-être le jeune policier qui obéit coûte que coûte aux ordres. Mention spéciale tout de même à la jolie Manuela Velasco, qui se voit donc contrainte de porter le film sur ses épaules, mais qui le fait de manière tout à fait respectable.

En jouant beaucoup sur l’effet de surprise, l’économie de moyen et la frontière subtile entre réalité et fiction, [REC.] semble bien parti pour s’imposer, dans les années à venir, comme un modèle du genre, au même rang que Blair Witch Project. On en viendrait presque à dire que c’est évident dans le sens où Quarantine, son remake U.S., est prévu en salle la même année que [REC.], alors que ce dernier n’est pas encore sorti sur le sol américain. Et si c’était les producteurs les vrais monstres ?

Note : ***

vendredi 18 avril 2008

Les promesses de l'ombre (Eastern Promises)


Tantôt acclamé, souvent décrié, David Cronenberg n’a jamais laissé personne indifférent. Mais force est de constater que depuis quelque temps, le cinéaste fait une quasi-unanimité auprès des critiques et du public, et Eastern Promises confirme bien cette hypothèse.

Dès 1999, le scénariste Steven Knight (à qui l’on doit déjà le pas joyeux Dirty Pretty Things de Stephen Frears) avait apporté son script au producteur Paul Webster, mais ce n'est qu'en 2004 que la maison de production Focus Features s'est montrée intéressée. L'actrice Naomi Watts a eu très tôt connaissance de ce projet. Elle se souvient : « J'avais lu le script de Steve Knight avant de savoir que ce serait David Cronenberg qui le mettrait en scène. Puis j'ai su que ce serait lui et qu'il y aurait Viggo ; je n'ai pas hésité. Quant à David, il a tant de confiance en lui que ça devient contagieux. » Le film est alors lancé, et si le film est centré sur la communauté russe de Londres, les comédiens qui interprètent les personnages principaux ne sont en réalité ni russes ni anglais : l'Américano-Danois Viggo Mortensen, l'Australienne Naomi Watts, le Français Vincent Cassel, l'Allemand Armin Mueller-Stahl et le Polonais Jerzy Skolimowski. Evidemment, les deux stars hollywoodiennes principales se doivent d’être au sommet de leur forme et emploient donc la méthode des grands : Naomi Watts passera beaucoup de temps au Whittington Hospital pour son rôle de médecin, tandis que Mortensen étudiera grandement le mode de fonctionnement de la mafia russe, et aura même la surprise un soir, alors qu’il était dans un pub à Londres, de tomber sur un couple russe qui, à la vue des tatouages que portait l’acteur à ce moment-là, l’on vraiment pris pour un membre de la mafia !

Dans un premier temps, force est de constater que Cronenberg n’a jamais livré œuvre aussi sobre, classe, froide et classique auparavant. De prime abord, le scénario tient largement la route, contenant assez de revirements de situations pour captiver le spectateur et le tenir en haleine (même si en toute honnêteté, tout sent le déjà vu). Ce qui est intéressant, c’est de noter une dimension un peu plus tragique dans le récit, cette notion de « famille », de « frères » comme on peut la retrouver dans les écrits de Shakespeare et qui ici est utilisée en filigrane, jusqu’à finir par prendre plus de place que l’enquête initiale du personnage Naomi Watts. Un MacGuffin donc que cette quête de vérité, où le suspens laisse place à un regard neutre, sans contemplation pour une véritable organisation familiale.

Pour sublimer tout ça, Cronenberg use d’une mise en scène efficace, allant à l’essentiel (à l’instar de cette lutte incroyable dans les bains turcs) et se refusant à porter un jugement sur quelque personnage que ce soit. On évite pas quelques ficelles narratives faciles (le médecin recueille le bébé parce qu’elle ne sait pas en avoir, le fils rejeté finira par rejeter son père en quelque sorte…) et un final certes mélancolique mais un peu trop prévisible (qui évite néanmoins le happy end classique), mais dans l’ensemble tout tient la route. Surtout le gore, assez présent dans le film, exagération d’une violence montrée frontalement, trop peut-être pour les âmes sensibles, mais avec un surréalisme qui sied parfaitement à l’univers du cinéaste.

Mais la véritable qualité de Cronenberg dans ce film réside dans sa direction d’acteur. Inutile de parler de la performance de Viggo Mortensen, largement commentée et, à juste titre, avec des éloges unanimes. Il est vrai que l’acteur trouve là, à ce jour, son meilleur rôle, ambigu et charismatique au plus haut point. Mais il serait grave d’oublier dans la foulée Armin Mueller-Stahl, qui compose un patriarche tenant autant de Vito Corleone que de Raspoutine. Face à eux, Naomi Watts apparaît un peu trop en retrait, et Vincent Cassel malgré une fort belle composition sur l’ensemble dérape quelques fois et perd de sa crédibilité, erreur fatale face aux deux autres personnages masculins principaux du film.

Œuvre ténébreuse, étouffante, sorte de Les Affranchis rencontrent le Parrain à Londres, cet Eastern Promises prouve qu’un cinéaste peut toujours surprendre : Cronenberg délaisse son genre de prédilection pour offrir un film âpre, dur, violent, mais profondément universel, captivant, touchant. Un véritable sursaut de ce cinéaste jugé en demi-teinte depis quelque temps. A moins que ce ne soit l’air de Londres qui, comme pour Woody Allen, transcende le cinéaste. Avis aux producteurs hollywoodiens en manque d’inspiration : prenez des vacances à Buckingham Palace !

Note : ****

mardi 15 avril 2008

Paris


« Récemment, j'ai beaucoup filmé à l'étranger : à Londres, à St-Petersbourg, à Barcelone... J'ai eu envie de revenir chez moi, de parler de ma ville. D'autre part, il y a toujours eu beaucoup de Paris dans mes autres films (Riens du tout, Chacun cherche son chat, Peut-être...), mais jamais frontalement. J'avais l'impression d'avoir tourné autour du pot et là, j'ai senti que c'était le bon moment... » Et de là est né Paris de Cédric Klapisch.

Voilà donc le retour tonitruant du plus frenchie des cinéastes français, qui pour la peine revient à ses premiers amours : le film choral. Ne tournons pas autour du pot : n’est pas Robert Altman qui veut. Là où le cinéaste américain faisait preuve d’une dextérité inégalée (même par son plus fervent émule, pourtant doué, Paul Thomas Anderson), Klapisch fait hélas office de pâle figure. Non pas que le tout soit mauvais, mais disons que le cinéaste parisien n’a pas le sens du timing, du rythme nécessaire à ce genre de film : les histoires que propose Klapisch sont exploitées de manière trop courtes ou, inversement, de manière trop longues pour vraiment captiver l’attention du spectateur. Premier mauvais point.

Ensuite, pour rester dans le domaine des histoires, soyons tout aussi clair que pour le montage : c’est affligeant. Laissons d’abord le cinéaste se justifier : « On a très vite une connotation snob, prétentieuse, bourgeoise ou désagréable avec en plus le côté râleur qui n'est pas faux, raconte le cinéaste. Il y a un côté "jamais content" chez les Parisiens. C'est aussi une spécificité française : le héros français à la Gabin ou à la Delon, ou même les personnages de Céline, Léo Malet ou de Tardi. Chez eux, le Parisien tire la gueule, a du vague à l'âme, il n'est pas dupe et il est révolté... Il y a aussi quelque chose de beau et d'assez sain dans cette attitude. Paris c'est une ville de spleen. Il y a une mélancolie qui, bizarrement, est du côté de la vie, de la réaction et non de la résignation. Les grandes heures de Paris c'est la Révolution de 1789, la Commune, la Libération, Mai 68... Paris est connu pour ses moments de colères saines. J'ai aussi beaucoup entendu : "Paris n'est plus dans le coup" ou "Paris est une ville morte", et je trouve que ce n'est pas vrai. Après l'épisode des J.O. à Londres, il y a eu toute une série de signes qui tendait à montrer que Paris n'était plus aussi branché ou plus aussi "capitale". En réaction, j'ai voulu parler de Paris aujourd'hui, dans une époque peut-être plus banale. J'avais même pensé donner le sous-titre "Portrait éphémère d'une ville éternelle" » Le mérite du cinéaste est d’être au moins honnête avec nous : son film est chauviniste et prétentieux, il l’accorde. Mais là où l’ambition (qui, en soit, n’est jamais un défaut quand elle conduit à exceller) s’arrête de faire effet, c’est quand on se rend compte des effets de redite du film, l’enfilade de stéréotypes, l’intérêt zéro des soucis de la vie des bobos parisiens avec leurs petits (il m’aime, il m’aime pas) et leurs gros soucis (le personnage de Duris reste quand même malade du cœur). Si l’idée de base était d’illustrer Paris, d’accord, mais il faut alors le faire dans toute sa diversité tant culturelle que sociale. Et ça, Klapisch a du mal : le seul représentant non-nanti de l’histoire n’est autre qu’un immigré, puisque dans Paris même les commerçants de marché peuvent sortir avec des mannequins internationales. Faux, je me trompe : la classe ouvrière est assez représentée ici, mais de manière convenue : ceux qui ont de petits boulots ne s’en sortent pas (qu’on soit vendeurs ou assistante sociale). On reste donc, majoritairement, dans une classe à part : universitaire, aisée, en proie à des crises existentielles qui n’intéressent personne. Et puis on passe à un niveau inférieur, comme si le transitoire n’existait pas.

Le choix des acteurs, toujours dans la logique du « représentation du vrai Paris », est problématique, mais là Klapisch sait se défendre de manière convaincante : « J'aime découvrir à chaque film des nouvelles têtes, raconte le réalisateur. Dans Paris, il me semblait évident qu'il fallait mettre en scène la diversité. Il y a donc beaucoup d'acteurs et... oui, c'est vrai, beaucoup d'acteurs plutôt connus... Quand je me suis dit que j'allais appeler le film Paris, j'ai eu conscience qu'il fallait ressembler à la ville, c'est à dire alterner le banal et le monumental... Montrer la réalité neutre de certaines rues, mais aussi le côté grandiose et spectaculaire de certains lieux ou monuments. Pour les acteurs finalement, c'est un peu la même chose. Il fallait des gens anonymes et des monuments de cinéma. En travaillant avec tous ces comédiens, on n'est pas dans le banal, on est dans l'exceptionnel, dans le grandiose. » Accordons le bénéfice du doute donc. En revanche, si on tolère le casting archi connu pour jouer des inconnus, on ne peut laisser passer une direction d’acteur en-dessous des autres films de Kalpisch : Luchini fait son Luchini, Duris est exaspérant, Karin Viard joue les archétypes même de la patronne raciste mais qui engage quand même des maghrébins, et j’en passe et des meilleurs. Certains arrivent à tirer leur épingle du jeu, comme Juliette Binoche ou Albert Dupontel en mélancolique, mais hélas cela n’efface pas le reste.

Ce qui énerve probablement le plus avec Paris, c’est sans doute le fait que Klapisch se répète, encore et encore, et ce depuis quelques années : même personnages, même histoires creuses, même volonté de bien faire et puis finalement de sombrer dans la description d’un univers bobo parisien type, comme si il n’existait que celui-là. Et cette fois, s’en est trop. « Je reviens à une narration assez éclatée car, comme dans Riens du tout, il y a plus de dix personnages qui sont les narrateurs. Pourtant après Riens du tout, je m'étais dit que je ne recommencerai pas, tellement c'était difficile... ». Il aurait peut-être mieux valu Cédric…

Note : *

vendredi 11 avril 2008

Le carrosse d'or


Historiquement, Le carrosse d’or marque le retour de Jean Renoir en Europe après un séjour de 13 ans aux Etats-Unis. C'est une production somptueuse, en couleur sur une musique de Vivaldi et qui n’hésite pas à s’éloigner de ce qui se faisait comme type de film dans les années 50.

La première chose qui saute aux yeux, c’est l’inspiration théâtrale du film. Immense hommage à la Commedia Dell’Arte, le thème principal du film est la fusion inextricable entre vraie vie et théâtre qu'incarne Anna Magnani (tout simplement superbe ici) dans le personnage de Camilla. Mais pas seulement, comme le prouve l’ouverture et la clôture du film : une ouverture de rideau. D’entrée de jeu, Renoir précise que nous allons assister à une représentation, et justifie ainsi quelques détournements (musique non-diégétique, vision romantique de l’Amérique Latine du 18ème siècle) de la réalité qu’il affectionnait tant dans ses œuvres précédentes.

C’est donc toute une réflexion sur la représentation qui est ici lancée. Représentation théâtrale, mais aussi artifice social : le carrosse d’or dont parle le film n’est autre qu’un outil de propagande, une sorte de bijou convoité par tous pour le « paraître », pour marquer la différence avec les autres classes pour les riches (de nouveau il y a une dualité des structures sociales) et pour plaire à tous les gens de la ville pour Camilla, qui ne cherche en fin de compte que l’amour de son public.

L’éclatement des genres est de nouveau (comme il l’était déjà dans la magnifique Règle du jeu) très présent dans le récit, oscillant entre le burlesque, le film historique, le mélodrame, le film de cape et d’épée ou encore le film d’amour.

Point de vue mise en scène, il y a toujours des plans larges et des plans-séquences, même si la profondeur de champ semble ici avoir moins d’importance que dans d’autres films du cinéaste par exemple. Et en ce qui concerne le son, la profondeur sonore est toujours savamment utilisée, mais le son ne semble pas être toujours direct.

Le carrosse d’or est donc une œuvre dans la continuité de ce qu’avait fait Renoir auparavant, mais il réussit à s’adapter, même à innover, ne serait-ce qu’en construisant son récit sur la musique de Vivaldi, le rythmant au son des sonates du compositeur.

Note : ***

samedi 5 avril 2008

No country for old men


Faut-il faire le point sur son parcours pour revenir au mieux de sa forme ? A voir le résultat de No country for old men, on est en droit de se poser la question.

Pensez donc : voilà 6 ans et deux films en demi-teinte que les frères Coen ne nous séduisaient plus. Alors quand ils arrivent au Festival de Cannes avec leur premier scénario non original et une absence totale d’acteurs récurrents (ni John Goodman, Frances McDormand, Steve Buscemi, Peter Stormare, John Turturro ou même George Clooney), on est en droit de se demander ce qui nous attends… Et la surprise est de taille : acclamé à Cannes, plébiscité aux Golden Globes, sacré par 4 Oscars dont 3 majeurs (Meilleur film, Meilleurs réalisateurs, Meilleur scénario adapté et Meilleur second rôle masculin pour Javier Bardem), No country for old men signe le grand retour critique (et public) des frangins terribles du ciné US.

A la base du film se trouve donc le roman éponyme de Cormac McCarthy. Mais quand on dit à la base, c’est vraiment à la base : rarement une adaptation aura-t-elle été aussi fidèle, au mot près. On peut ainsi retrouver le speech de Bell (Tommy Lee Jones) à la dernière page du roman, c’est dire ! Le film surprend aussi, en plus d’être une première adaptation pour les deux frères, en s’éloignant des comédies que les Coen nous ont déjà servies jusqu’ici. Joel se défend pourtant : « Il y a pas mal d'humour dans le livre, même si on ne peut pas franchement le qualifier de roman humoristique. C'est un humour très noir - et c'est la caractéristique qui nous définit. Le livre est également violent, presque sanglant. C'est certainement d'ailleurs le film le plus violent que nous ayons jamais fait. » Sans compter que le scénario est une réussite dans le genre, alternant plus ou moins subtilement les moments de tensions, les explosions soudaines et assez courtes de violence et les répliques plus drôles. On regrettera sans doute un manque de rigueur dans la mort d’un des personnages, et une fin en totale rupture avec le reste du film, même si parfaitement dans l’esprit amoral du récit.

Curieusement, on s’éloigne aussi de l’univers des frères Coen pour se tourner plutôt vers une thématique « eastwoodienne » à savoir le vieillissement. Fait surprenant s’il en est, car il s’agit bien là d’une thématique profonde et sérieuse, ce à quoi Ethan et Joel ne nous avaient pas habitué. Mais cette thématique permet surtout de porter un regard précis sur la violence. En effet, jamais film des Coen n’aura été aussi violent (plus encore que Blood Simple ou Fargo), notamment à travers le personnage de Chigurh, assassin impitoyable et effrayant. Ce n’est pas tant la représentation de la violence qui est mise en avant que la perception de celle-ci, à travers justement les yeux du shérif Bell vieillissant. Le personnage de Tommy Lee Jones permet donc une identification du spectateur (« pourquoi tant de violence en fin de compte ? ») mais aussi une prise de position des frères Coen, dépassé par un cinéma américain contemporain faisant la part belle à l’hémoglobine. Est-ce un hasard si le récit se déroule dans les paysages désertiques du Texas et du Mexique, décors récurrents du western, genre typiquement américain et singulièrement violent ?

Côté réalisation, les frères retrouvent aussi leur grande forme : cadrage précis, montage au scalpel, précision de la photographie (certaines scènes tournées en extérieur nécessitaient une lumière précise qui n'existe que pendant quelques minutes au lever et au coucher du soleil, ce qui obligeait toute l'équipe à tourner très rapidement un nombre limité de plans, étirant ainsi le tournage sur plusieurs semaines) et direction d’acteur parfaite. La tension est palpable dès le début de la chasse à l’homme, et vient s’ajouter à une ambiance particulière, sulfureuse et suffocante, comme les frères savent si bien la créer.

Pour en revenir aux acteurs, il faut saluer le trio de choc que composent Josh Brolin, Tommy Lee Jones et Javier Bardem. Le plus chanceux d’entre eux étant sans doute Josh Brolin, qui a bien failli ne pas se retrouver à l’affiche : non seulement le rôle avait été proposé à Heath Ledger, mais en plus les Coen avait refusé de faire passer une audition à Brolin. Il aura fallu que celui-ci ruse et fasse appel à son ami Roberto Rodriguez pour qu’il fasse une vidéo (montée par Quentin Tarantino qui plus est). Le résultat est là : il n’y a aucun regret à avoir, Brolin étant tout simplement très bon. Tommy Lee Jones, rôdé aux rôles de shérifs texans, est lui aussi à son sommet, mais c’est bel et bien Javier Bardem (dont la coiffure inoubliable est en réalité inspirée d’un tenancier de bordel en 1979) qui remporte la palme, composant un tueur sans pitié, complètement dingue. Sa manière de tuer est à elle seule du grand art (une bonbonne d’air comprimé), mais Javier Bardem parvient à s’effacer totalement derrière son personnage et donner à celui-ci une aura mystique, une sorte d’ange de la mort sorti de nulle part qui prend plaisir à faire son métier, que ce soit sur les hommes ou les femmes. Notons aussi le sympathique personnage de Woody Harrelson qui ne fait hélas pas long feu.

Film lent mais sans contemplation, maîtrisé de bout en bout, décalé par rapport au reste de la filmographie des auteurs, No country for old men est une œuvre étrange, véritable réflexion sur le monde contemporain et son cinéma américain. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais plutôt un exercice de style, assez réussi au demeurant.

Note : ***