dimanche 30 septembre 2007

Waterloo


S’il existe une injustice dans le monde du cinéma, c’est bien celle du box-office, cruel juge de la vie d’un film. Il arrive ainsi que des navets sans nom connaissent leur heure de gloire tandis que de splendides films, eux, se retrouvent maudits et sont délaissés par le public. Waterloo fait ainsi hélas partie de cette dernière catégorie.

A la réalisation, Sergueï Bondarchuk, habitué des fresques immenses puisque déjà heureux papa du film le plus cher de l’Histoire du cinéma, Guerre et paix (estimé à l’heure actuelle à 560 millions de dollars) et qui s’attelle à l’un des personnages les plus fascinants de tous les temps, au travers de sa plus célèbre bataille avec Austerlitz. Derrière ce projet, le producteur Dino de Laurentiis, producteur qui lui aussi voyait grand, très grand, trop grand. Dès le départ, le film ne s’annonce pas très bien : des soldats de l’Armée rouge, utilisé en tant que figurants pour l’armée britannique, sont tellement effrayés parla charge de la cavalerie que Bondarchuk, malgré tous les stratagèmes possibles, doit abandonner la scène ; des agents du KGB font le déplacement pour surveiller tous les acteurs non russes ; John Savident s’inflige une très vilaine blessure lors d’une chute de cheval dans le film ; enfin, Dino de Laurentiis le mégalo est aussi un radin à l’occasion, et ordonne au caméraman de ne pas recharger sa caméra lorsque Napoléon fait son speech d’abdication, ce qui eu pour but de couper le jeu de Steiger avant que celui-ci ne termine la scène. Certains remarqueront même un côté tendancieux au film (les Prusses étant représentés comme une sorte de sauveurs, et le bruit des pas de l’armée française évoquant le bruit des bottes du régime nazi alors que les soldats napoléoniens portaient majoritairement des chaussures). Bref, que des ennuis, et le box-office va porter le coup de grâce : Waterloo est un échec sévère, De Laurentiis tombe de très haut, Bondarchuk perd de son aura et Stanley Kubrick, qui avait également pour projet de réaliser un film sur la vie de Napoléon, se voit refuser le projet, qu’il ne pourra finalement jamais monter.

Et pourtant, pourtant ! Il convient de voir à l’heure actuelle Waterloo comme l’une des plus brillantes, si pas la plus réussie, des adaptations de la vie de Napoléon. Tour à tour épique et intimiste, le film s’approche plus d’une fois de la perfection faite film historique.

En grande partie, la réussite vient de Bondarchuk lui-même qui, s’il aurait pu se laisser aller au spectacle hollywoodien en se limitant à représenter la célèbre bataille, se livre à une réflexion non seulement sur Napoléon à ce moment de sa vie mais aussi à l’Homme en général et l’incommensurable bêtise de la guerre. La première moitié du film mets ainsi en avant le pourquoi de ce conflit, mais aussi l’appréhension d’un côté comme de l’autre de la bataille. Napoléon comme le Duc de Wellington ne sont finalement que des hommes après tout. Cette remise en cause de l’Empereur, souvent considéré comme une icône sacrée, gagne au fur et à mesure en qualité à l’approche d’un des tournants historiques de l’histoire de l’Europe. La seconde moitié, sans délaisser pour autant l’introspection de son personnage, est d’un dantesque rarement atteint : si le nombre de figurants utilisés (20 000 pour l’occasion) ne garantit jamais la qualité d’un film, il faut tout de même admettre qu’elle peut grandement l’aider comme ici, où les armées françaises, britanniques et prusses envahissent tellement l’écran que l’on a l’impression de vivre en direct la bataille. Point de vue découpage, Bondarchuk en connaît un rayon, et aux plans d’ensemble se juxtaposent des plans plus serrés, parfois très proches, pour saisir au mieux l’horreur du moment. La précision historique s’ajoutant au réalisme et au gigantisme des scènes de combats confèrent ainsi à Waterloo un cachet unique et inégalable. Et malgré tout, Bondarchuk ne perd jamais son objectif de vue, comme le démontre ce plan final de Wellington chevauchant parmi les morts, des centaines, des milliers, dont la seule différence est la couleur de leurs uniformes.

L’autre élément de réussite du film est sans conteste Rod Steiger, d’une crédibilité à toute épreuve et d’une puissance de jeu comme il en avait le secret. Ils ne sont guère nombreux à lui tenir tête, tout au plus Christopher Plummer dans le rôle de Wellington (faisons l’impasse sur Orson Welles hélas trop rare dans le rôle de Louis XVIII). Steiger, qui se trouve parfois à la limite de la surenchère, interprète pourtant le Napoléon le plus exact du cinéma, à la fois arrogant, sûr de lui mais en proie aux doutes lors du moment fatidique, génie militaire et chef au charisme fou, capable d’envoyer des milliers d’hommes à la mort pour sa cause personnelle.

Waterloo est donc un grand film, qu’on se le dise, et si le public de l’époque n’a pas su faire l’accueil triomphal qu’il méritait, il convient de revoir sa position, que l’on soit cinéphile, passionné d’histoire ou amateur de fresques inoubliables : le film de Bondarchuk associe tout cela en à peine 2h15 d’intimisme et d’épique. « L'art d'être tantôt très audacieux et tantôt très prudent est l'art de réussir » comme l’aurait dit un certain Bonaparte…

Note : ****

jeudi 27 septembre 2007

L'impasse (Carlito's way)


1993 : Brian de Palma est déclaré fini. Ses deux derniers films ont été de tel échecs tant public (Le bûcher des vanités) que critique (L’esprit de Caïn) que personne n’oserait miser sur lui à l’avenir. Pourtant, Martin Bregman reste confiant : L’impasse sera son grand retour.

Lorsqu’on lui apporte les romans After Hours et Carlito’s way contant tous deux la vie tumultueuse d’un gangster portoricain, Bregman propose au réalisateur de Scarface de les adapter en un seul et même film, aidé par le très apprécié scénariste David Koepp (La mort vous va si bien, Jurassic Park à l’époque). Bien qu’hésitant, De Palma finit par céder quand Al Pacino est rattaché au projet. Sean Penn, qui a déjà fait Outrages avec le réalisateur, accepte le rôle de l’avocat pour pouvoir financer son prochain film Crossing Guard. Hélas, à sa sortie le film se fait hué par les critiques, et le public suit timidement ; il faudrait attendre quelques année avant de se rendre compte que L’impasse est le meilleur film de De Palma depuis Les Incorruptibles et probablement son dernier grand coup d’éclat à ce jour.

Coup d’éclat car De Palma surprend tout le monde en faisant de Carlito’s way l’antithèse de Scarface : à un Tony Montana ambitieux et voué au crime, le cinéaste oppose un Carlito Brigante qui tente par tous les moyens de fuir ce monde de voyous. On retrouve néanmoins une esthétique semblable, notamment dans l’utilisation des couleurs et des musiques, où les sonorités cubaines et le son synthé des années 80 est simplement remplacé, dans le même esprit, par les musiques latinos et l’ambiance des années 90. Brian de Palma semble bien meilleur dans la composition d’un cadre et dans un mouvement de caméra que dans l’originalité d’une ambiance. Il n’empêche que le cinéaste prouve toute l’étendue de son talent en soignant ses effets (la vengeance de Carlito vis-à-vis de son avocat) et, surtout, sa mise en scène, d’une virtuosité rarement atteinte même chez le cinéaste : l’exemple le plus frappant reste cette course-poursuite finale, majoritairement tournée en plan-séquence, où De Palma maîtrise l’espace de manière à faire pâlir les plus grands cinéastes. De Palma n’hésite pas non plus, à l’instar de son modèle absolu et bien connu Alfred Hitchcock, à jouer avec le suspens mais aussi à étouffer une certaine émotion dans l’œuf, en ouvrant par exemple le film sur le meurtre de Carlito : la suite du film est donc implicitement connue mais on se surprend néanmoins à se demander ce qui va se passer.

La deuxième grande surprise du film, et le deuxième contrepoint frappant, est Al Pacino himself, bien loin du gueulard Tony Montana : il compose un Carlito mature, pour ne pas dire fini, bien plus calme et qui a perdu beaucoup de sa fougue en prison. Cette idée que Carlito n’est en rien comparable à Montana est prouvée lorsqu’il refuse de faire tuer un malfrat venu le provoquer dans son bar, ne voulant plus avoir de sang sur les mains. Aux côtés de l’acteur, un casting trois étoiles qui augmente un peu plus notre plaisir : Penelope Ann Miller, John Leguizamo, Luis Guzman et un excellent Viggo Mortensen. Et, comme si cela ne suffisait pas, le meilleur reste à venir : Sean Penn, qui a largement étoffé son personnage par rapport au scénario, qui compose un avocat véreux, toxicomane et limite raciste hallucinant.

Coup de maître stylistique, au scénario bien ficelé et au casting irréprochable, L’impasse constitue sans aucun doute l’un des sommets de la carrière du mésestimé Brian de Palma, qui reste (et il ne faudrait pas l’oublier) l’un des grands maîtres du cinéma américain, encore aujourd’hui même si ses films sont de moins bonne qualité ; qui peut néanmoins se vanter d’être aussi doué que lui une caméra à la main ?

Note : ****

lundi 24 septembre 2007

Qui veut la peau de Roger Rabbit (Who framed Roger Rabbit)

On peut lui faire des reproches, mais force est de constater que Robert Zemeckis a toujours eu un don pour se surpasser en matière de divertissement bourré d’effets spéciaux, dont le film le plus abouti restera sans doute à jamais Qui veut la peau de Roger Rabbit.

Il ne fut pourtant pas toujours prévu au casting : les producteurs songèrent en effet pendant un long moment à Terry Gilliam, lequel refusa estimant le film bien trop difficile à faire. Zemeckis fut donc appeler à la rescousse, lui qui cartonnait avec son Retour vers le futur. Le défi d’associer acteurs rées et personnages de cartoon était délirant mais déjà abordé dans plusieurs longs métrages des années auparavant (Les trois caballeros, Mary Poppins, L’apprentie sorcière, Peter et Elliott le dragon…). L’équipe se mit donc en marche, et chacun travailla d’arrache-pied à la réussite de ce film : Zemeckis devait ainsi gérer les négociations avec Disney, Warner et Paramount (collaboration qui n’aboutira pas, nous privant d’apparitions de Popeye, Casper ou Tom & Jerry) tandis que Richard Williams, responsable de l’équipe animation, gérait les 326 animateurs nécessaires à la réalisation des 82 080 dessins du film. Bob Hoskins, qui l’avait emporté au choix sur Robert Redford, Harrison Ford, Sylvester Stallone, Jack Nicholson et Ed Harris (Bill Murray fut également évoqué, mais Zemeckis ne pu le rencontrer avant le tournage ; lorsqu’il l’apprit, l’acteur hurla, lui qui aurait accepter sans la moindre hésitation le rôle), observa sa fille jouer avec ses amis imaginaires pour se préparer. Christopher Lloyd lui obtint le rôle après que les producteurs eurent penser à Roddy McDowald et essuyèrent le refus de Christopher Lee.

La conception des personnages ne fut pas des plus faciles : Jessica Rabbit connu ainsi une dizaine de version avant que les animateurs n’optent finalement pour un look à la Veronica Lake et sa célèbre coiffure. Roger Rabbit, le proclamé héros de ce film, fut le plus étudié de tous : outre les nombreux croquis avant de tomber sur le design final du lapin, Richard Williams se démena pour créer le personnage de cartoon parfait : ainsi mélangea-t-il le visage Warner, le corps Disney et la Tex Avery’s attitude pour le corps et l’esprit du personnage ; la salopette de Dingo, les gants de Mickey et le nœud papillon de Porky Pig lui serviraient de vêtements, en rappelant que les couleurs utilisées (vêtement rouge, nœud pap’ bleu et corps blanc) sont les couleurs de l’Amérique…

La prouesse n’a d’égale que son ambition : le film est absolument incroyable, mélangeant prise de vues réelles avec de l’animation à un tel niveau de qualité que le film, dès sa sortie, devait devenir une référence. Heureusement que Zemeckis ne se limita pas aux projections-tests, effectuées sur des ados de 18-19 ans qui détestèrent le film. Le résultat fut grand : 349 millions de dollars de recettes et 4 Oscars : Meilleurs effets spéciaux, Meilleurs effets sonores et Meilleur montage tandis qu'une statuette spéciale est venue récompenser l'impressionnant travail de Richard Williams pour la direction de l'animation et la création des personnages animés. Et le statut de film culte les années passant.

Il faut dire que tous les ingrédients étaient réunis pour faire un succès. Le scénario déjà : fortement inspiré de Chinatown de Polanski, il s’agit d’un habile (et improbable ?) mélange de film noir, comédie, film familial et d’animation avec des clins d’œil pour adultes (la majorité des personnages sont à 99% issus des années 30-40, soit les personnages que l’on a tous connu enfant), mais contrairement aux films précédents du même genre, l’intrigue n’est pas une suite d’épisodes mais bel et bien un tout continu, une véritable intrigue policière dans la lignée des films noirs, et dont l’humour cache à peine des sujets un peu tabous, comme la mainmise des multinationales sur des petites entreprises ou une époque assez sombre des USA où le crime et l’alcoolisme étaient monnaie courante. Il faut dire que les scénaristes ont étudié le sujet : plus de 40 versions du script seront ainsi écrites, variant les méchants (tour à tour Baby Herman, Jessica Rabbit…) et dont quelques gags ont disparus (le juge Demort devait ainsi être reconnu coupable du meurtre de la mère de Bambi !). Reste à se demander ce que la préquelle (intitulée Toon Platoon) valait, le projet n’ayant pas atteint le stade de développement.

Le second point tient sans doute dans le rythme endiablé du récit, mené tambour battant par une réalisation et un montage au couteau, allant à l’essentiel sans oublier de faire un détour rapide mais efficace par la comédie. Zemeckis a le sens du divertissement efficace et cela se sent, rendant autant hommage aux anciens films noirs qu’aux cartoon eux-mêmes. Le mérite est d’autant plus grand qu’il est parvenu, avec l’aide de Richard Williams qu’il faut absolument saluer, à faire cohabiter dans un même film pour la première (et sans doute dernière) fois les personnages de Disney et ceux de Warner en respectant les consignes établies par contrat (Bugs Bunny devait ainsi, contractuellement, avoir droit au même minutage à l’écran que Mickey, ce qui explique pourquoi les entités antagonistes (Bugs/Mickey, Donald/Daffy Duck) se retrouvent en même temps à l’écran).

Enfin, et non des moindres, la performance incroyable de Bob Hoskins, acteur sous-employé si vous voulez mon avis, parvenant à chaque instant à nous faire croire qu’il joue avec ses personnages animés. Alors que certains acteurs éprouvent déjà beaucoup de ml à jouer avec un partenaire réel, Hoskins lui est parvenu à jouer dans le vide, face à un robot ou une poupée, ou encore une croix sur un mur. Une telle prestation ne peut laisser qu’admiratif, puisqu’il parvient malgré cette difficulté à capter l’essence du détective type des années 40, style Humphrey Bogart (alcoolique et acariâtre, parfois violent) sans délaisser l’humour bon enfant. Il en paya aussi le prix : il souffrit ainsi d’hallucinations quelque temps après le tournage et se disputa avec son fils qui lui en voulait d’avoir tourné avec Bugs Bunny et Mickey sans les avoir ramenés à la maison ! Face à lui, Christopher Lloyd, autre acteur sous-employé, retrouve Zemeckis après Retour vers le futur et semble être à l’aise avec le réalisateur, composant un méchant digne des plus grands dessins animés, cartoon et Disney confondus. Enfin, juste pour le plaisir, saluons le professionnalisme de Charles Fleischer, la voix originale de Roger Rabbit, qui n’hésita pas à se rendre chaque jour du tournage sur le plateau déguisé en lapin géant avec salopette rouge et nœud papillon immense (ce qui eut pour conséquence de provoquer plusieurs moqueries au sein de l’équipe, notamment sur la qualité à venir du film !).

Film pop-corn techniquement bluffant, et ce encore à l’heure actuelle, Qui veut la peau de Roger Rabbit a poussé le vice, au-delà de la performance, jusqu’à rendre hommage, mieux jusqu’à s’insérer dans un genre sans se forcer, le renouvelant par la même occasion et proposant pour les plus jeunes une relecture du film noir et, pour les adultes, un plaisir coupable de retomber en enfance. Un grand moment de cinéma.

Note : ****

jeudi 20 septembre 2007

Les Désaxés (The Misfits)


Dire qu’il existe des films maudits n’étonnera personne, mais rares sont ceux qui ont une réputation aussi terrifiante que celle des Désaxés de John Huston.

Alors qu’il tente de divorcer, Arthur Miller se met à écrire une nouvelle en pensant à sa future épouse, la très célèbre Marilyn Monroe. L’adaptation cinématographique arrive bien vite sur le tapis, avec John Huston derrière la caméra et, pourquoi pas, Monroe, Clark Gable, Montgomery Clift, Eli Wallach et Thelma Ritter devant. Ce projet dont le casting fait rêver va rapidement tourner au cauchemar : par exemple, un médecin reste joignable 24 heures sur 24 pour Monroe et Clift, et les relations entre l’actrice et Clark Gable sont si tendues que l’acteur veut finir au plus vite ses scènes, exécutant ainsi ses propres cascades alors qu’il a 59 ans. Après un premier montage, où Monroe aurait insisté auprès de Miller pour que bon nombre de scènes avec Wallach soient coupées de peur qu’il ne lui vole la vedette, la United Artists demande quelques coupes, que Huston et Miller acceptent mais pas Gable, qui a un droit de regard sur le film : finalement, quelques plans sont finalement coupés, dont l’un montrant un sein de Marilyn Monroe (les monstres !!!). Au final, Clark Gable dira à Miller qu’il s’agissait là du « meilleur film que j’ai fait, et c’est la seule fois où j’ai vraiment été capable de jouer » avant d’ajouter cette célèbre remarque concernant Monroe « She almost kill me ! », qui s’avère exaucée 12 jours plus tard : Clark Gable meure d’une crise cardiaque. La malédiction des Désaxés peut ainsi commencer : Monroe d’abord, qui outre le divorce d’avec Miller peu de temps après le film, décède un an plus tard, avant que Montgomery Clift subisse lui aussi une crise cardiaque quatre ans plus tard : Les désaxés fut ainsi le dernier film de chacun.

Il n’en demeure pas moins que le film reste un chef-d’œuvre intemporel et l’occasion pour ses interprètes de briller une dernière fois, laissant une image sublime derrière eux. Marilyn Monroe, par exemple, trouve là son meilleur rôle, celui d’une ingénue idéaliste et à vif, souffrant en même temps que ne souffre le monde ; Gable, lui aussi en état de grâce, en cow-boy têtu et profondément seul, abandonné par ses enfants qui ne le voient plus qu’au strict minimum ; Clift enfin, dans le rôle d’un cow-boy amateur de sensation forte qui se demande, finalement, à quoi rime sa vie. A croire que les personnages furent écrits pour les acteurs directement, tant on a l’impression qu’ils vivent plus qu’ils ne jouent leurs rôles. La spontanéité d’Eli Wallach et l’humour de Thelma Ritter sauvent à peine le film du drame le plus sombre, dont le final donne cependant une lueur d’espoir à l’Homme.

Volontairement tourné en noir et blanc, le film illustre la fin d’une époque : celle des cow-boys, qui doivent chasser les chevaux sauvages pour vivre, celle d’une Amérique d’antan dépassée, celle d’un Hollywood fini dont les stars ne sont plus ce qu’elles étaient : Monroe et Clift font surtout parler d’eux pour leur alcoolisme et leurs dépendances aux médicaments, et Gable n’a plus le charme animal d’Autant en emporte le vent. Comme si le monde avait continué d’avancer sans les attendre. John Huston suivra le este de sa filmographie ne sera plus jamais aussi brillante qu’avant Les désaxés. Mais plutôt que de s’inquiéter, le cinéaste et Miller préfèrent prendre le temps de savourer, une dernière fois, un récit qui aurait coller parfaitement au monde dix ans plus tôt.

Plus qu’un long métrage à la réputation désastreuse, Les désaxés est surtout un grand film, peut-être même l’un des derniers a avoir oser parler, avant toute chose, de l’humain, dans ce qu’il a de plus beau, de plus complexe, de plus fragile.

Note : ****

lundi 17 septembre 2007

L'ennemi public (The Public Enemy)


Bien avant le film noir existait le film de gangster, réponse cinématographique à une Amérique en pleine Dépression où de grands noms (Howard Hawks en tête) se sont illustrés. Et si Scarface reste la référence absolue du genre, il ne faudrait pas oublier un autre film essentiel : L’ennemi public de William A. Wellman.

A une époque où les USA vivent malheurs (crash boursier de Wall Street) sur malheurs (la prohibition), la vie criminelle devient vite une échappatoire pour la majorité des gens, et Hollywood ne manque pas de le remarquer. S’associant avec la censure, ils décident d’illustrer ces grands criminels, fictifs ou non (Scarface s’inspire largement d’Al Capone) tout en conservant une ligne directrice qui doit montrer qu’aucun avenir n’existe dans ce milieu, généralement illustré par une mort tragique.

Initialement, ce fut Edward Woods qui obtint le rôle principal, et James Cagney fut retenu pour le rôle du meilleur ami Matt Doyle ; cependant, quand Wellman observa Cagney aux répétitions, il se dit (avec raison) qu’il conviendrait mieux au rôle de Tom que Woods. Parallèlement, Louise Brooks refusa le rôle dévolu à Jean Harlow. Wellman parvint à obtenir l’accord des studios quant à une utilisation inédite de la violence à l’écran : ainsi, il voulait représenter avec réalisme la situation actuelle dans certaines grandes villes. Pour cette dose de véracité, Wellman ne lésina pas sur les moyens : ainsi, l’attaque à la mitrailleuse que subit Cagney fut bien réel, ce fut un tireur d’élite qui fut chargé de tirer sur Cagney dès qu’il disparaîtrait derrière le mur, autrement dit les impacts que l’on voit se dessiner sur le mur sont bien réels. La scène où Tom et Matt vont abattre le cheval responsable de la mort de Sam Nails Nathan fut quant à elle inspirée d’un fait réel. Enfin, la scène la plus probable du film fut quant à elle improvisée selon la légende : Cagney s’amusa ainsi à écraser un pamplemousse au visage de Mae Clarke pour voir la réaction de l’équipe, sans se douter que cette scène finirait dans le montage final. Elle eut trois conséquences : d’abord, la ligue féministe protesta ; ensuite Cagney reçut pendant des années dès qu’il allait au restaurant un pamplemousse offert par le patron, que l’acteur mangeait avec plaisir à chaque fois ; enfin, l’ex-mari de Mae Clarke apprécia tellement cette scène qu’il se rendait tous les jours au cinéma pour voir uniquement cette scène, puis quittait le film ! Ah les hommes…

Cette recherche constante d’audace mêlée de vérité est la clé de la mise en scène de Wellman, relativement épurée quoiqu’un peu teintée d’expressionnisme. Le seul reproche que l’on pourrait faire doit certainement provenir de la Warner, qui imposa (comme la United Artists pour Scarface) une fin politiquement correcte ; Wellman parvient tout comme Hawks a détourné cette obligation mais il ne pu empêcher ses crédits d’introduction et d’épilogue annonçant que « le gangstérisme c’est mal, que la mort et la tristesse attend quiconque franchira cette limite, ne respectera pas la justice, et bla bla… ». Un message qui réduit la puissance tragique du récit en le transformant en simple mise en garde de l’Etat. Cela ne gâche pas pour autant la mise en scène du cinéaste, qui s’emploie à être cru dans sa représentation de la violence sauf exceptions, où Wellman préfère jouer sur la compréhension en écartant sa caméra d’un meurtre ou en laissant ses personnages sortir du cadre et ne laisser entendre que le bruit du coup de feu. C’est sans doute grâce à cette distanciation que Wellman a pu sortir son film, occultant de la sorte des moments bien plus terrible comme la scène finale…

La plus grande satisfaction de ce film demeure néanmoins la performance de James Cagney, qui devenait avec ce film l’icône même du genre : violent, avec une gueule type, psychopathe, la simple scène du pamplemousse démontre toute l’étendue de son talent, et révèle le véritable secret de son jeu : l’imprévisibilité. C’est en effet cette capacité de surprendre à chaque instant, d’être capable de faire n’importe quoi dans la minute qui suit sans que l’on puisse s’en douter qui en faisait le gangster parfait, le criminel endurci effrayant mais humain, attaché à sa mère et capable de tomber amoureux. De fait, ce choix judicieux de la part de Wellman de lui offrir le rôle principal fut un coup de génie, propulsant l’acteur au sommet de sa popularité (même si cela eu aussi pour conséquence de l’enfermer dans ce type de rôle) puisqu’il écrase tout le reste du casting. A croire que Cagney eu bien raison de s’inspirer du gangster de Chicago Dean O’Bannion et de deux truands qu’il connu étant adolescent à New York.

Bien qu’il ait un peu vieilli, comme tous les films du genre d’ailleurs, L’ennemi public reste une référence incontournable dans le cinéma de genre, et la découverte d’un génie de l’interprétation que l’on pourrait presque assimiler à Montgomery Clift, James Dean ou Marlon Brando dans cette faculté de séduire par son côté mauvais garçon. Du grand art.

Note : ****

vendredi 14 septembre 2007

Mean Streets


C’est après que John Cassavetes et John Milius lui conseillèrent de revenir, après Bertha Boxcar, à un projet plus personnel que Martin Scorsese décida d’adapter un scénario vieux de 7 ans, écrit alors qu’il était encore à l’université avec son ami Mardik Martin sous le titre Season of the Witchs, qui deviendra Mean Streets (d’après une phrase de Raymond Chandler « Down these mean streets a man must go » qu’un critique proposa au cinéaste).

Après avoir écrit une version concentrée sur le conflit religieux du personnage principal, Scorsese réécrit avec Martin un scénario centré sur le mode de vie de petites frappes de Little Italy, en y insérant des éléments biographiques de Scorsese. Ce que les auteurs ignoraient, c’est que le film allait être des plus délicats à monter : partant avec un budget très réduit, Scorsese connut ses premiers soucis avec les habitants de Little Italy justement, qui s’ils ne s’étaient pas plaint du tournage du Parrain ne voyaient pas celui de Mean Streets d’un bon œil. Scorsese dut parlementer bon nombre de fois, billets verts à la clé (près de 5000 dollars durant les 27 jours de tournage). Et ce n’était qu’un début ! Vu le peu de moyens, Scorsese fut obligé de filmer un maximum caméra à l’épaule et se délocalisa à Los Angeles pour les intérieurs et certains extérieurs. Roger Corman, producteur de Bertha Boxcar, proposa à Scorsese de faire le même film mais avec des personnes noires, pour surfer sur le succès de Shaft et de la blaxploitation ; Scorsese refusa, par intégrité, mais reçut cependant l’aide de l'équipe technique non-syndiquée avec qui il avait tourné Bertha Boxcar. Côté casting, pas facile non plus : si Keitel reste le choix numéro 1 de Scorsese, les producteurs voyaient les choses différemment : une star dans le rôle de Charlie, en l’occurrence Jon Voight, qui déclina finalement le rôle. Al Pacino, à qui fut envoyé le script, ne répondit jamais. Scorsese voulait un casting new yorkais, par souci d’authenticité : c’est alors que Brian de Palma présente Robert de Niro à Scorsese. Le contact se passe bien, les deux artistes ayant grandi dans le même quartier. Dans un premier temps, De Niro refuse le rôle de Johnnie Boy et désire celui de Charlie, mais Scorsese refuse, et De Niro accepte finalement le second rôle. Durant le tournage, une large place est faite à l’improvisation, notamment entre De Niro et Keitel, tandis qu’à la fin du tournage la tension est à son comble entre Richard Romanus et Robert de Niro : Scorsese en profite pour multiplier les prises de la scène où De Niro braque Romanus, jouant de l’animosité entre les acteurs pour créer l’ambiance idéale.

A sa sortie, le film est un succès critique… et un échec public. Cette année-là la concurrence est rude : Orange Mécanique, Délivrance et surtout L’Exorciste qui sort en même temps que Mean Streets. Il y a cependant des choses positives : Scorsese est reconnu comme grand cinéaste, Bertolucci et Coppola contactent De Niro pour 1900 et Le Parrain II tandis qu’Ellen Burtsyn contacte Scorsese pour diriger Alice n’habite plus ici.

Martin Scorsese avoue avoir fait un film largement autobiographique et s’explique sur ses intentions : « C'était une tentative de faire un film sur la manière dont moi et mes amis vivions à Little Italy. Il y a une dimension anthropologique ou sociologique au coeur même du projet. Charlie se sert des autres en pensant les aider. En croyant cela, il ruine tous ses efforts aussi bien envers les autres que lui-même. Quand il se bat avec Johnny dans la rue, il essaie de donner l'impression qu'il le fait pour les autres mais ce n'est qu'une question d'orgueil, le premier péché dans la bible. Ma voix est utilisée en alternance avec celle d'Harvey Keitel pendant tout le film. C'était un moyen pour moi de trouver une paix intérieur. Il est très facile de se discipliner pour aller à la messe tous les dimanches. Ca ne prouve rien. Pour moi, la rédemption ne peut venir que de la façon dont on vit et dont on se comporte avec les autres. » Il est en effet assez évident de reconnaître en Charlie une représentation de Scorsese, comme l’était J.R. dans Who’s that knocking at my door. Le cinéaste n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parle de lui, et il le prouve une fois encore avec Mean Streets, qui pose définitivement les bases de l’univers scorsesien (dans la continuité de son premier film) : les Italos-américains, la famille, l’amitié, la trahison, New York, la mafia et l’incapacité d’un homme à s’insérer dans un univers qui n’est pas le sien (thème parfaitement illustré dans Taxi driver). Un autre thème sous-jacent, lui aussi récurent dans la filmographie du réalisateur, est la démystification du rêve américain : « Mean streets parle du rêve américain selon lequel tout le monde peut croire qu'il va devenir riche un jour. Si on ne peut y arriver par des moyens légaux, on trouvera d'autres moyens. Ce problème concernant les valeurs mêmes de notre société est toujours présent aujourd'hui. »

Techniquement, Scorsese fait déjà preuve, malgré un budget très réduit, d’une virtuosité de chaque instant, avec ses plans-séquences, ses longs travellings ou encore ces ralentis qu’il affectionne tant pour présenter un situation ou un personnage.

A noter enfin que Scorsese a également trouvé sa voie concernant l’utilisation de la musique dans ses films : « J'ai utilisé la musique avec laquelle j'avais grandi. Elle faisait naître toutes ces images. Il fallait gérer le problème des droits. Certains artistes se sont manifestés des années plus tard et Warner Bros a dû les payer. Nous essayions au maximum de les contacter en amont du projet mais pas toujours avec succès. Pour moi, Mean Streets a la meilleur bande son possible parce que ce sont tous des morceaux que j'ai aimé et qui représentait notre manière de vivre. Nous n'hésitions pas à garder les morceaux sur plusieurs minutes dans le film. Pour moi, Mean Streets, c'est "Jumping Jack Flash" et "Be my baby". »

Côté acteurs, les applaudissements sont surtout réservés à Harvey Keitel et Robert de Niro, tout deux incroyables et véritables moteurs du récit. On peut voir en Charlie un prolongement de J.R. du premier film de Scorsese, qui se terminera par le proxénète de Taxi Driver : un homme qui cherche à devenir quelqu’un mais qui n’y arrive pas et sombre donc dans le gangstérisme. De Niro compose un Johnny Boy allumé, pas très malin, frimeur, violent, sale gosse qui refuse de grandir et se mets dans des positions plus que délicates. A eux deux, il éclipsent le reste du casting, pourtant très sympa, de Richard Romanus en dandy criminel notoire et David Proval en tenancier de bar bon copain. Scorsese ne propose toujours pas de personnages forts à ses interprètes féminines comme il le fera par la suite mais, au vu du film, ce n’est pas bien grave ; après tout, nous sommes dans un univers masculin…

Un troisième film qui annonçait fièrement que le cinéma allait connaître l’un de ses plus beaux représentants dans les années à venir : Scorsese déjà aux antipodes d’un Parrain donnait le ton de ce qu’allaient être plus tard des Affranchis ou Casino sans oublier qu’il se constituait petit à petit sa famille cinéma dont le plus illustre représentant, Robert de Niro, venait d’offrir une interprétation inoubliable.

Note : ****

mardi 11 septembre 2007

Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più)


Ayant trouvé le bon filon cinématographique avec le western spaghetti, Sergio Leone accepta peu de temps après Pour une poignée de dollars l’idée de faire un nouveau film, toujours dans le but de démystifier l’Ouest américain, qu’il intitula de manière ironique Et pour quelques dollars de plus, non pas pour donner suite à son premier western mais simplement parce que les producteurs l’avaient volé au niveau des bénéfices.

N’ayant pu obtenir Lee Marvin, Leone opta pour Lee Van Cleef, alors retiré du cinéma (et en très fâcheuse posture au niveau financier) pour être l’une des deux vedettes de son film avec Clint Eastwood, désormais vedette internationale. Cette fois, le budget était bien plus important, mais toujours relativement bas par rapport à d’autres productions de l’époque ; Leone en tira cependant profit pour donner beaucoup plus de réalisme à son film.

C’est justement ce réalisme, une véritable bulle d’air en fin de compte, qui rattrape les quelques défauts de Pour une poignée de dollars : exit le village mexicain désertique, Leone n’hésite pas à nous emmener en pleine ville de l’Ouest, avec les traditionnels hôtels et saloons à côté du barbier ou du bureau de shérif. L’ambiance n’en pâtît pas pour autant, certes c’est moins oppressant que le village abandonné du premier film mais c’est pas plus mal vu la manière dont les décors sont exploités, sans compter que le village mexicain isolé sera repris à la fin du film. Un autre aspect du réalisme vient dans cette description des chasseurs de primes, que le cinéma hollywoodien a longtemps évité mais qui ont pourtant bel et bien existés.

Qui dit plus d’argent dit aussi plus d’acteurs, et si on éprouve toujours autant de plaisir, voir plus, à retrouver Eastwood et Volonte, le vrai bonheur vient de Lee Van Cleef et d’un second rôle un peu trop rare mais très connu : Klaus Kinski. Chacun est à son meilleur niveau, et si Eastwood est plus sarcastique Volonte lui est de plus en plus effrayant en bad guy défoncé à l’herbe. Du pur bonheur de le voir être aussi cruel et traître quand l’occasion se présente.

Mais le film est surtout l’occasion pour Leone d’affirmer son style et de marquer les esprits par quelques scènes inoubliables : l’affrontement enfantin entre Eastwood et Van Cleef la première fois, l’élaboration de l’attaque de la banque ou encore, cerise sur le gâteau, le duel final au son de la montre que l’on retrouvera partiellement dans Le Bon, la Brute et le Truand par la suite. Leone poursuit son analyse au scalpel d’une période plus sombre qu’il n’y parait de l’Histoire américaine, où les armes ponctuaient les discours et où la traîtrise était monnaie courante.

Passage obligé, on saluera comme il se doit la musique d’Ennio Morricone qui renforce de manière plus forte encore que précédemment les images à l’écran.

Film remarquable, suite sans vraiment l’être et nettement plus abouti que Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus asseyait définitivement Clint Eastwood et Sergio Leone comme valeurs sûres du cinéma ; cette position favorable devait leur permettre à l’un de réaliser une carrière exemplaire et à l’autre d’enchaîner les chefs-d’œuvre en continuant de souligner les travers de la société américaine. Le meilleur restait à venir.

Note : ****

samedi 8 septembre 2007

Les Simpsons : le film

Des personnages jaunes, le plus souvent grossier, avec quatre doigts, qui portent les mêmes vêtements depuis près de 18 ans, ça vous dit quelque chose ? Mais bien sûr que ce sont les Simpsons, cette famille de dingue, pardon, cette famille d’Américains moyens qui envahissent nos écrans depuis décembre 1989 et qui ont décidé, enfin, après nous avoir fait patienter plus que nécessaire, d’élargir leurs horizons et d’arriver sur grand écran !

Prévoyante, la Fox avait déjà acheté le nom de domaine "simpsonmovie.com" le 22 avril 1997, mais ce n’est pourtant qu’en 2003 qu’un script de long métrage fut enfin écrit. Enfin, façon de parler : en tout, c’est 158 versions qui ont été écrites. Pour ne pas ralentir la série toujours en cours pendant la préproduction du film, deux équipes de scénaristes travaillèrent séparément : tandis qu'une équipe s'occupait des épisodes de la saison, une autre s'attelait au script, tout en intégrant des idées proposées par la première équipe. On retrouve même, et heureusement, des noms bien connus des fans : Matt Groening, le créateur de la famille la plus célèbre d’Amérique ; Al Jean, producteur exécutif et scénariste depuis 89 ; et David Silverman, réalisateur depuis des années au sein de la série. Vu l’ampleur de l’événement, rien ne fut laisser au hasard pour garder le secret (les producteurs déchiraient eux-mêmes les scripts après les doublages), être parfait (Silverman fit refaire plus de 100 fois le monologue de Marge à sa voix officielle, Julie Kavner) et, bien entendu, faire saliver les fans (Matt Groening annonça ainsi que ans une séquence du film, on verrait Bart nu comme un ver, ce qui ne manqua pas de créer la polémique dans l’Amérique puritaine). Et c’est ainsi qu’en un mois de juillet 2007 relativement dégueulasse sortit le film d’animation le plus attendu de tous les temps, intitulé très sobrement Les Simpsons – le film (petite pensée au passage pour le Japon qui ne découvrira le film que le… 1er mars 2008 !).

La crainte était de toute évidence la suivante : est-ce que le passage de 20 minutes à 90 n’allait-il pas être raté ? Ne serait-ce pas un vulgaire épisode tiré en longueur ? Que l’on se rassure : non ! Toujours aussi décalé et irrévérencieux, le film, même s’il connaît quelques moments de flottements, ne tire jamais en longueur : nous sommes bel et bien dans un long métrage de cinéma. Pour preuve, exit le format TV et place au cinémascope, et une série de clin d’oeils destinés aux spectateurs du film en salle : Homer se demandant comment peut-on payer pour voir un truc que l’on voit gratos à la télé, Bart écrivant sur le tableau "Je ne dois pas télécharger ce film illégalement" ou encore le message à l’entrée de l’église "N’oubliez pas d’éteindre votre portable". Le ton est clair :on est là pour s’amuser mais aussi pour vivre une expérience inédite, celle des Simpsons sur un grand écran.

Techniquement, le film est très abouti : bien que majoritairement animé dans une classique 2-D, certains plans bénéficient d'un traitement en 3-D, à l'image de certains décors ou objets. La différence n'est pas gênante mais se remarque à l'oeil nu. C'est un mélange technique que Matt Groening a déjà utilisé pour sa série Futurama, autre événement attendu en long métrage, et semble être le fonctionnement des derniers épisodes. Que l’on soit dans Springfield, en Alaska ou de retour dans un Springfield apocalyptique, le dessin est tout simplement incroyable, fidèle à la série mais explorant plus encore les possibilités de l’animation à l’heure actuelle. Une preuve de plus que nous ne sommes plus devant un épisode télévisuel mais devant une production avec un budget important.

Bien sûr, si la qualité graphique est importante, elle n’a jamais été l’élément essentiel des Simpsons, lequel est et restera à jamais le scénario : références ciné à gogo, gag toutes les 1,5 secondes et message sympa tout en affichant un esprit rebelle et limite moqueur. De Schwarzeneger en Président incompétent et bien Américain (« J’ai été élu pour agir, pas pour lire ! ») au message publicitaire de la Fox glissé dans le fond de l’écran en passant par le massacre, jubilatoire, de Green Day d’entrée de jeu et les moqueries des blockbusters à la mode (Harry Crotteur et Spider-cochon), Groening et son équipe ne respectent rien ni personne, et n’hésite pas à aborder un thème délicat sous le ton de la comédie : la pollution. Parler de ce danger dans un pays comme les USA n’est pas fortuit, et même si Groening se défend d’avoir voulu donner une leçon de morale, il faut admettre que les conséquences de l’inconscience d’Homer dans le film sont pour le moins désastreuses. Les Simpsons, ou l’art et la manière d’être engagé sans réellement le montrer.

Il serait difficile pour ne pas dire impossible de répertorier et acclamer les gags du film, tant ceux-ci son nombreux et marchent dans 99,99 % des cas. Le passage du petit au grand écran de la famille la plus dingue de l’Histoire de l’animation s’est faite avec un peu de retard (qu’aurait été l’impact du film fin des années 90, à l’apogée de la série ?) mais ce n’est pas grave : l’essentiel est qu’Homer, Bart, Lisa, Marge, Maggie, Moe, Grand-Père, Ned, Wigom, Nelson et les dizaines d’autres personnages que l’on aime tant, quels que soit notre origine et notre âge, ait fini par arriver dans les salles obscures, pour notre plus grand plaisir. Ouuuuh punaise !

Note : ****

mercredi 5 septembre 2007

Prends l'oseille et tire-toi ! (Take the money and run !)


Si depuis il a été considéré comme l’un des rares (pour ne pas dire le seul) véritables auteurs dans le cinéma américain contemporain, il ne faudrait pas oublier que Woody Allen était d’abord et avant tout un comique, comme on peut le ressentir à travers son premier film Prends l’oseille et tire-toi !

Nous voici donc en 1968. Woody Allen est alors un comique célèbre aux USA, célèbre par ses mots d’esprits envoyés dans les journaux de New York mais aussi par ses apparitions dans les comédies en tout genre. C’est justement après le tournage chaotique et incontrôlé de Casino Royale qu’il décide de mettre en avant ses propres scénarios. Enfin pas tout à fait s’il avait bel et bien pondu l’histoire de Virgil Starkwell, il en proposa d’abord la réalisation à Jerry Lewis, qui du refuser à cause d’un débordement de travail personnel. Allen prit alors la sage décision de devenir son propre scénariste/acteur/réalisateur. Tourné en 7 semaines et avec l’aide d’une centaine de détenus de San Quentin au détour d’une scène, ce film n’avait initialement rien de drôle ; pire, Allen avait imaginé un final sanglant à la Bonnie and Clyde illustrant sa mort. Conscients que le public ne suivrait pas ce revirement de la part du comique, les producteurs Jack Rollins et Charles H. Joffe tentèrent e convaincre Allen de discuter avec son monteur pour avoir ce qui pourrait être amélioré. C’est ainsi que Ralph Rosenblum a probablement sauvé la carrière de Woody : il réussit à convaincre le cinéaste de revoir un bon nombre de scènes, et offrit au film son ton comique. Allen devait le remercier en l’engageant à nouveau pour Bananas, Woody et les robots, Guerre et paix et Annie Hall, juste retour des choses puisque Rosenblum venait d’aider Woody à créer le premier « mockumentary » de l’histoire du septième art.

Et on en vient à se demander à quoi ressemblait la mouture sérieuse tant celle-ci est irrésistible. Evidemment, on est très loin du Woody Allen à venir, mais il n’en est pas moins déplaisant : comique jusqu’au bout, usant de gags déjà vus et d’autres de sa propre invention (irrésistible évasion avec un pistolet en savon… sous la pluie !) et avec un ton que reprendra Zelig quelques années plus tard, Prends l’oseille et tire-toi ! ne se prend jamais au sérieux et, surtout, ne vise jamais plus haut que l’œuvre peut atteindre. Nous sommes dans la comédie pure, et pour un premier exercice Allen s’en tire assez bien.

Derrière mais aussi devant la caméra j’entends, tirant déjà toute la couverture à lui seul et sachant s’entourer de personnages pittoresques, dont certains reviendront sous d’autres formes dans les films à venir de l’auteur (notamment l’épouse résignée et les parents qui n’ont connu que des difficultés avec leur progéniture).

Sans prétention, exercice de style et mise en jambes pour un futur cinéaste majeur du paysage américain, Prends l’oseille et tire-toi ! ne vieillit que très légèrement, et reste en plus d’une curiosité cinéphilique un petit moment de plaisir sitôt vu sitôt digéré. Histoire de travailler les zygomatiques pendant que les neurones se reposent quoi.

Note : ***

dimanche 2 septembre 2007

Bonjour (Ohayo)


Contrairement à Kurosawa ou Mizoguchi, deux autres monuments du cinéma japonais, Yasujiro Ozu n’était pas du genre à réaliser des drames proches de la tragédie mais plutôt des histoires jugées banales, quotidiennes, susceptibles de nous arriver à tous, drôles en apparence et dramatiques en profondeur. Bonjour est l’une d’elles, fable douce-amère sur la jeunesse nipponne alors hypnotisée par la télévision.

Ozu joue au sociologue en soulignant le fossé qui peut exister entre les enfants et les adultes, et leurs perceptions du monde radicalement différentes. Pour les enfants, rien ne vaut le divertissement, l’amusement, qu’ils proviennent de jeux (les flatulences) ou de ce média en plein essor au Japon dans les années 50 : la télévision. Rares sont les cinéastes de la génération d’Ozu qui ont vu une bonne chose avec la naissance de la télévision. Il n’y a donc aucune réelle surprise de voir à quel point le cinéaste fustige cet objet, source de nombreux conflits, à travers la désobéissance des enfants vis-à-vis de leurs parents. Cinéma – télévision, c’est aussi un conflit générationnel en fin de compte…

Le vrai bonheur vient d’ailleurs de ces enfants, respirant le naturel face aux parents qui, à force, en arrivent à ne plus faire croire qu’ils sont mais qu’ils jouent des rôles. De toute manière, l’interprétation générale reste convenable.

Plus qu’une comédie, Ozu signe une métaphore sur la société japonaise, où les commérages vont bon train, qu’importent les faits réels. Les dangers du chômage sur le moral des hommes et la jalousie maladive envers les biens du voisin sont aussi des thèmes mis en exergue dans ce récit si humain. Le rapport de l’argent est essentiel, et là aussi il n’y a rien de surprenant. Le Japon n’est-il pas le pays où l’on court le plus après la survie ? L’esprit du capitalisme s’est installé et pousse les Japonais à se battre non pas pour vivre mais bien pour survivre. Qu’importe si un père ne peut offrir ce qu’ils veulent à ses enfants, le tout est d’assumer le travail pour pouvoir manger. C’est aussi pour ça que les Japonais craignent la pension ou le chômage, l’argent qu’ils en toucheraient étant bien moindre que ce qu’ils touchent en travaillant durement…

A noter que le film est un remake de Gosses de Tokyo, déjà signé Ozu où deux enfants faisaient une grève de la faim en guise de protestation contre la soumission de leur père vis-à-vis de son patron. Ozu a donc simplement réadapté son scénario à la situation actuelle…

Au bout du compte, Bonjour est le portrait d’un Japon divisé, où le bien-être et bien paraître sont les éléments fondateurs de la vie en société, et qu’importe ce qui peut se passer derrière les murs de la maison. Au diable les loisirs, on a pas assez de moyens pour y subvenir. Du coup, les jeunes mènent la vie dure aux parents qui, à force, se laissent dominer. L’autorité se perd et seule la vigueur de la jeunesse est supérieure à l’expérience de la vieillesse, dans un Japon décidemment divisé. En 50 ans, le film n’a vraiment pas pris de rides…

Note : ****