dimanche 29 juillet 2007

Sin City

Depuis quelques années, comics, séries et dessins animés ont la cote à Hollywood question adaptation, pour le meilleur ou le plus souvent pour le pire. Evidemment, quand on apprend l’adaptation de trois comics de Frank Miller (Sin city, The Big fat kill et That yellow bastard), l’émoi est fort vu le graphisme soigné de la BD. Et la surprise Sin City est de taille.

Evidemment, un tel projet en intéressait plus d’un, et le nombre de stars à s’être bousculées au portillon pour la peine est légion : Leonardo di Caprio, Michael Douglas, Kate Bosworth, Adrien Brody, Christopher Walken, Willem Dafoe, Steve Buscemi, Jessica Simpson et Anthony Michael Hall furent ainsi pressentis ou du moins ont auditionné pour un rôle dans la production ; Johnny Depp faillit même avoir son propre segment, qui fut finalement abandonné (mais que l’on retrouvera peut-être dans Sin City 2 ?). Pour les grands gagnants, le tournage est costaud : Jessica Alba évite soigneusement les scènes de nu, paradoxalement Elijah Wood ne rencontrera Mickey Rourke pour la première que lors de la promo, Rodriguez endosse les fonctions de réalisateur, scénariste, producteur, directeur de la photographie, un des compositeurs de la bande-originale et chef monteur, fait appel à Hans Zimmer qui décline poliment l’invitation (trop de boulot sur Batman Begins) mais conseille deux de ses amis pour le reste de la b.o., et clame haut et fort qu’il en réalise pas une « adaptation » mais une « translation » du comics (pour preuve, ce sont les BD originales qui serviront de storyboard). Le tournage s’effectue majoritairement devant un fond vert, et la légende veut que chaque image du film ait été retouchée pour obtenir ce qui fait la curiosité d film à sa sortie : le mélange de noir et blanc et de couleur (technique pourtant utilisée auparavant, mais à moindre dose il est vrai comme Rusty James ou Pleasantville).

Ne tournons pas autour du pot : c’est bel et bien cette prouesse technique (et son casting aussi à la rigueur) qui a attiré les foules. Il faut dire qu’au final (et plus encore en dvd qu’au cinéma, format numérique oblige), le rendu est saisissant : jamais un noir et blanc aura été aussi contrasté et esthétique tout en restant moderne : magie de l’ordinateur, qui confirme que l’avenir du cinéma passera par-là. Bonne ou mauvaise chose, chacun fera son jugement… Toujours est-il que l’idée de rajouter un objet, une partie du corps ou un personnage entier en couleur dans cet univers grisâtre est assez bonne, soulignant une violence parfois un peu trop poussée, plus crue encore que dans les précédents films de Rodriguez.

Ce dernier possède néanmoins assez de talent pour faire passer un bon moment au spectateur tout en se faisant plaisir : aux actions fulgurantes et explosives est opposée une ambiance sombre et glauque, agrémentée d’un climat hostile dans une ville-ordure. Nous sommes en plein film noir des années 30 transposé dans le pire des mondes actuels. Hélas, Rodriguez n’est pas non plus un génie du septième art, et on regrette un manque de personnalité flagrant à travers tout le film, qui ressemble plus à une BD animée qu’à un vrai métrage, contrairement à son frère 300 sorti il y a peu.

On remarquera aussi une certaine faiblesse du scénario, ayant du mal à trouver le bon rythme malgré un bon agencement des histoires. Outre les critiques plus que virulentes de l’Eglise et de l’Etat, c’est surtout la proposition d’une galerie de personnages plus fascinants les uns que les autres qui est le véritable atout du script. Du flic pourri au justicier hors-la-loi en passant parle flic usé, le tueur muet ou la brute amoureuse, que du bonheur.

Bonheur provenant sans doutes des interprètes de ces personnages : casting prestigieux mais inégal, chacun a néanmoins un moment de grâce à un moment ou l’autre du film. Reste à départager : Clive Owen et Mickey Rourke dominent l’ensemble du film, Benicio Del Toro, Nick Stahl et Rutger Hauer semblent s’éclater tandis que Jessica Alba est en mode mineur, peu aidée par un Bruce Willis que l’on a connu plus inspiré en antihéros de référence. Mais une fois encore je le répète, chacun montre qu’il sait jouer.

Un moment de cinéma sympa, absolument pas prise de tête, qui constituait surtout pour Rodriguez l’occasion de relever un défi technique et, pour nous, de savourer 2h de gueules amochées, de jolies pépées se trémoussant dans les bars tandis qu’à l’autre bout de la ville un flic ripou et sa bande se font massacrer par des prostituées. Sale ville, bon film.

Note : ***

Les lois de l'attraction (The Rules of Attraction)


A la base, un écrivain décrié : Bret Easton Ellis. Il faut dire que ce charmant personnage n’hésite pas à égratigner dans ses livres une jeunesse BCBG totalement dépravée. Son plus gros succès ciné : American Psycho où Christian Bale incarnait un Patrick Bateman (le frère de Sean dans Les lois de l’attraction) taré dont le seul plaisir n’était pas de claquer son fric mais de tuer dans la joie et l’allégresse. Et voilà que Roger Avary, ex-meilleur pote de Tarantino décide d’adapter un roman de cet écrivain complètement allumé. 15 ans qu’il aura fallu pour arriver à bout de l’adaptation. Finalement, le film se monte, le réalisateur se prend la tête avec le casting (Bret Easton Ellis refuse un caméo, Christian Bale aussi et Christina Ricci décline le rôle qu’on lui propose) et opte finalement pour des jeunes têtes d’affiches pour la plupart issues de la télé (James Van Der Beek) avec sur le côté quelques acteurs confirmés (Clifton Collins Jr, Eric Stoltz et Faye Dunaway), ce qui n’empêche pas le film d’avoir le budget réduit au minimum. Avary monte même son film non pas à l’ancienne mais sur le logiciel Final Cut Pro, pour réduire les dépenses, c’est vous dire.

Côté histoire, c’est l’éclate : une jeunesse toxicomane, où le sexe avec n’importe qui est noyé dans l’alcool, le tout en rentrant tout souriant le week-end chez papa et maman. La décadence d’une tranche de la société, soi-disant celle du futur, assez terrifiant non ? D’autant qu’Avary annonce d’office qu’il ne sauvera aucun de ses personnages : l’ingénue dépucelée car saoule morte, l’homo qu’on dévisage et qui ne trouve personne et le playboy qui ne se souvient pas d’une relation sexuelle en étant à jeun. Et pendant près de deux heures nous allons suivre leurs (més)aventures, entre un dealer complètement fondu et une furieuse envie de sexe planant dans les couloirs du bahut, rien de bien florichon. Même le prof se fait faire une fellation par son étudiante si craquante. Rien ni personne n’est décidemment épargné dans ce film.

Avary abandonne aussi (et c’est tant mieux !) son côté « bad trip » qu’il avait dans Killing Zoé pour une mise en scène plus libre, avec split-screen, accélérés, ralentis, effets en tous genres (la scène d’intro est un chouette moment de marche arrière) bref quelque chose qui colle plus à un esprit d’jeuns que vraiment stylisé comme l’était American Psycho.

On regrette juste quelques longueurs, une redite de certains effets qui finit par lasser et plusieurs personnages un peu trop délaissés alors qu’ils méritaient qu’on s’y attarde un peu plus (mais vu le récit, c’est pas faute d’avoir essayé). Autrement le scénario tient la route et les comédiens sont tous au diapason, pleinement dans… leurs personnages.
Trash, jeune, dynamique à 90%, Les lois de l’attraction est du politiquement incorrect comme on aime en voir. Il manque juste un je ne sais quoi, un petit plus qui ferait du film un chef-d’œuvre. En dépit, un sacré moment qui en remuera plus d’un.

Note : ***

La Cité de Dieu (La Cidade de Deus)


Le cinéma sud-américain est en pleine expansion, c’est un fait. Il y a ainsi quelques réalisateurs qui parviennent à réaliser un film si marquant qu’il traverse les frontières comme ici Fernando Mereilles avec La Cité de Dieu.

A la base, un roman de Paulo Lins, un ancien enfant de la favela de Rio décrivant les conditions de vie dans le Brésil des bidonvilles. Un roman porté aux nues vu sa complexité (300 personnages à travers 600 pages) sur lequel Mereilles portait pourtant quelques réserves. Comme l’explique le cinéaste, la réalité du terrain a été décisive : « Lors de ma première visite à Cidade de Deus, j'avais parqué ma voiture dans une rue très animée et poursuivi à pied, escorté par un jeune complice des dealers, censé m'éviter les ennuis. A peine avais-je fait trente mètres dans la Cité, qu'un garçon me braqua par derrière avec un énorme pistolet. Il aurait fait feu sur le champ si mon accompagnateur ne s'était interposé. Cinq secondes plus tard, le gosse au pistolet s'était évanoui dans la nature. Le coeur battant, j'ai réalisé que Paulo Lins n'avait rien exagéré. ».

Deux ans avant La Cité de Dieu, Fernando Meirelles et Katia Lund réalisèrent comme première ébauche un court dans la favela même évoquée dans le film. Mais les difficultés rencontrées les dissuadèrent d'y tourner leur long métrage. Fernando Meirelles raconte : « une partie du film se déroule dans un lotissement de l'époque de la Cité, mais situé à l'autre extrémité de la ville. Son "propriétaire" avait la quarantaine et était plus stable que les gamins de 19 ans qui contrôlent d'autres zones. Il demanda à voir le scénario et posa certaines conditions comme fixer personnellement le montant du droit d'utilisation du site. Le tout à travers une série d'intermédiaires , car le monsieur était en prison. Après cela, nous n'eûmes pas le moindre problème. » Il restait alors le plus complexe : le tournage. Il faut dire que le nombre de personnages et la durée du récit (qui s’étend sur plusieurs années) et, par souci d’authenticité, le réalisateur décide de s’entourer d’acteurs inconnus, d’où gros casting à travers tout Rio. Aidé par Katia Lund (qui avait réalisé plusieurs documentaires dans les favelas), Mereilles sélectionna finalement 200 jeunes qu'il forma sur plusieurs mois à raison de deux jours par semaine, onze heures par jour. Le résultat est là : La Cité de Dieu est une bombe. Les ingrédients aident, c’est certain : un scénario très riche, des acteurs très crédibles et une réalisation à la fois virtuose et à multiple niveaux de lecture.

Tout d’abord, c’est la première fois qu’un film sur les favelas semble être aussi authentique, sans pour autant sombrer dans le pathos le plus absolu. Des bidonvilles, Mereilles retient la cruauté, la violence mais surtout le mal-être des jeunes qui y vivent, plongés dès leur plus jeune âge dans les gangs, la drogue et autres prostitutions. Un mal-être qui sied pourtant à certains, trouvant là l’occasion de mener une vie de pacha à la tête d’un gang, une vie « luxueuse » qui leur serait interdit s’ils travaillaient honnêtement. Mereilles refuse de juger cette jeunesse engluée bon gré mal gré dans une violence quotidienne, certains choisissant librement d’y rester alors que d’autres prient pour en sortir. En refusant de rendre ses personnages sympathiques si ce n’est le narrateur, Mereilles veut éviter le manichéisme.

Côté technique, le film est un électron libre, porte ouverte à toute une série d’effets visuels : accélérés, arrêts sur image, ralentis exacerbés, montage elliptique, rien n’est laissé au hasard pour une réalisation qui semble tenir par moment à la pub et au clip, à d’autres au pur cinéma. Mereilles s’amuse également à informer très à l’avance son spectateur, comme cette séquence hallucinante de Ze Pequeno chez un chamane lui remettant une amulette magique, qui condamnera son possesseur si celui-ci la porte pendant le coït ; un gros plan de cette même amulette sera discret lors du viol de la copine de Manu Le Coq…

Les acteurs, tous inconnus, sont simplement impressionnants, très justes à chaque instant du film. Le fait qu’ils décrivent ce qu’ils ont probablement vécu les aide, mais ils restent d’une authenticité rare, aidés en cela par un scénario dense mais qui ne délaisse pas l’humour, violent et réaliste avec ce côté Sergio Leone de décrire tout un pan de l’histoire d’un endroit, avec sa multitude de personnages et ses thèmes abordés comme l’amitié, l’amour ou simplement l’envie de se sortir de là. Il ne manque presque rien pour que ce film soit rebaptisé Il était une fois dans les favellas de Rio.

Film impressionnant car abordant un thème grave de manière très populaire, La Cité de Dieu mélange si habilement violence et humour, cinéma social et d’action qu’il a permis de découvrir un cinéma engagé dans un pays meurtri, le Brésil. Terrible.

Note : ****

Uniformes et jupons courts (The Major and the Minor)


Le premier film est toujours une épreuve difficile : certains s’en sortent avec brio, pour d’autres c’est la cata. Uniformes et jupons courts permet à Billy Wilder de rejoindre cette première catégorie de cinéastes.

Enfin, soyons francs et précis, il ne s’agit pas vraiment de son premier film, mais les conditions de tournage de Mauvaise graine furent telles que l’on peut ne pas le considérer comme un film à part entière. Pour son premier film américain donc, Billy Wilder bénéficie d’atouts non négligeables : suite à sa réputation de scénariste, les producteurs lui font confiance, et il s’attache les services de Ginger Rogers comme actrice principale, fraîchement « oscarisée » (dont la performance est grandiose, même si l’on ne croit pas un instant qu’elle est une enfant) ainsi que Ray Milland, idéal en héros naïf et à cent lieux de son prochain rôle chez Wilder, Le poison. Par chance, le film est un succès commercial, et Wilder va enfin pouvoir devenir un cinéaste à part entière. Par chance ? Pas vraiment, si le film réunit tous les ingrédients d’une comédie réussie, c’est avant tout grâce au talent du cinéaste.

Tout d’abord, le scénario : partant sur une idée simple quoique quelque peu absurde (une femme se fait passer pour une gamine pour payer le train moins cher), la trame narrative est le prétexte à un enchaînement de gags s’appuyant tant sur un humour de situation que sur des dialogues savoureux (et équivoques). Le récit est calibré « comédie », sans pour autant laisser de côté la romance. Pas de temps morts, l’histoire reste captivante de bout en bout. Mais, plus fondamentalement, le film pousse déjà la réflexion sur l’amour adolescent, des années avant le Lolita de Nabokov, où cet homme d’âge mûr tombe malgré lui sous le charme d’une gamine de 12 ans. Bien moins sulfureux que l’adaptation de Kubrick ou plus encore du livre original, cette fausse idée d’érotisme n’empiète pas sur le film mais reste, sur le fond, l’exemple même que Wilder était déjà à l’époque un moraliste ironique.

Reste que la mise en scène de Wilder, pour une première oeuvre, est d’assez bonne facture, aussi rythmée que celle de Lubitsch, et aussi drôle qu’un film Hawks en forme. Si elle n’a pas encore la classe et l’ingéniosité des prochains films, la « Wilder’s touch » fait déjà effet dans cette comédie sans prétention véritable, si ce n’est divertir. On regrettera cependant un certain classicisme, que l’on pardonnera pour une première œuvre, mais qui ne laisse pas véritablement de souvenir marquant après la projection. Mais pour rire, ça, on a ri.

Il y a également dans ce film les thèmes favoris du cinéaste : déguisements, obsessions sexuelles, femme fatale à sa manière, quiproquos, moquerie des institutions (en l’occurrence l’armée)… Si le film n’est donc pas une œuvre essentielle dans la filmographie du cinéaste, elle n’en a pas moins une place de choix puisqu’elle pose d’emblée l’univers de Wilder.

Un film fort sympathique, qui n’a pas pris de ride en plus de 60 ans notamment grâce à un sens de la réplique inouï, des acteurs menant tambours battants un scénario certes déjà vu mais qui possède ce petit plus signé Billy Wilder. Et ça fait toute la différence.

Note : ***

La vie est belle (It's a wonderful life)


Au royaume des cinéastes optimistes, aucun ne saurait égaler la référence absolue, cet immigré sicilien qui vouait un amour démesuré aux USA : Frank Capra. Et il convient de dire que La vie est belle est probablement son œuvre la plus légendaire.

Dans son autobiographie, Frank Capra écrit : « La Vie est belle n'était fait ni pour les critiques blasés, ni pour les intellectuels fatigués. C'était mon type de film pour les gens que j'aime. Un film pour ceux qui se sentent la, abattus et découragés. Un film pour les alcooliques, les drogués et les prostituées, pour ceux qui sont derrière les murs d'une prison ou des rideaux de fer. Un film pour leur dire qu'aucun homme n'est un raté ». Il s’agit là du meilleur résumé possible qu’il soit pour ce film. Le film est en effet une ode à la bienfaisance, où une bonne action trouve toujours récompense : George ne part jamais en voyage, mais fonde une famille heureuse ; il se bat pour les pauvres gens mais ceux-ci lui rendront bien en temps voulu, etc. Film à la morale joyeuse pour autant ? Pas sûr, puisque le personnage du financier qui « trouve » les 8000 dollars à l’oncle de George, n’est jamais puni. Si les bonnes actions sont effectivement récompensées, les mauvaises ne sont pas sévèrement punies pour autant…

Cette ombre au tableau n’entache en rien la magie du film, s’apparentant fortement au conte A Christmas Carol de Dickens d’ailleurs. Il y a un côté désuet dans le film (Dieu et ses anges sous formes d’étoiles…) proche de la bondieuserie (les prières sont toujours exaucées) mais aussi ce symbolisme populaire que c’est à Noël que les miracles arrivent. L’apparition de l’ange, plutôt farfelu d’ailleurs, confirme cette hypothèse.

La vie est belle est non seulement un film sur le bonheur mais est également une avancée technique : auparavant, on représentait la neige à l'écran avec des cornflakes peints en blanc. Mais, ils faisaient tant de bruit en tombant qu'on devait réenregistrer les dialogues plus tard. Pour ce film, Frank Capra tenait à enregistrer directement le son. Ainsi, une nouvelle technique fut inventée, utilisant un produit chimique de lutte contre le feu, du savon et de l'eau. Cette mixture était projetée à haute pression à travers une machine à vent ce qui permettait de faire tomber la neige silencieusement. Le département son de la RKO reçut d'ailleurs un Oscar spécial pour le développement de cette nouvelle technique. A noter que la ville de Bedford Falls fut intégralement construite dans les studios de la RKO à Encino en Californie. Le plateau a été bâti en deux mois et reste l'un des plus grands décors jamais construit pour un film américain : 16 000 mètres carrés. Il comprenait 75 magasins et immeubles, une rue principale de 275 mètres, une usine et un quartier résidentiel.

Et qui de mieux que James Stewart pour incarner cet américain moyen à qui arrive le miracle de Noël ? Si Cary Grant fut pressenti un temps, on ne regrette pas que ce soit Jimmy qui ait obtenu le rôle, rendant le personnage drôle, touchant bref humain. Rien d’étonnant qu’au final il fut nominé à l’Oscar du Meilleur acteur pour ce film (qui reçut encore 4 autres nominations mais ne reçut aucune récompense).

Aussi bien Capra que Stewart affirmèrent que La vie est belle était leur film préféré. Pourtant, il ne connut qu’un succès modéré. Ce n’est qu’en 1974, lorsque les droits d’auteur ne furent pas prolongés, qu’il commença à se frayer un chemin dans la conscience des Américains. Depuis, il ne se passe pas un Noël où une chaîne de télévision ne propose ce merveilleux film au programme. Et pourtant, Frank Capra n’avait jamais eu l’intention de réaliser un « classique de Noël ».

Note : *****

dimanche 22 juillet 2007

Le Seigneur des Anneaux : le retour du roi (Lord of the Rings : return of the king)


« J'ai consacré ces sept dernières année de ma vie à écrire, réaliser et produire la Trilogie du Seigneur des anneaux. ce fut une odyssée épuisante, finalement assez proche de celle de nos personnages, Frodon et Sam, avec peu de sommeil, une vie qui n'a plus rien de normal et de nombreux moments où l'on se demande si on arrivera un jour au bout... Aux deux années de préproduction ont succédé 274 jours de tournage, eux-mêmes suivis par trois ans de post-production. Chaque étape du processus de création apportait son lot de défis, pour lesquels le plus souvent, la solution était à inventer. Régulièrement, une question me revenait : n'aurait-il pas été préférable de faire autre chose que Le Seigneur des anneaux ? La réponse a toujours été non. D'abord parce que j'ai eu la chance de travailler avec certains des acteurs et des techniciens les plus talentueux que l'on puisse trouver dans le monde. Pendant toutes ces années, chaque jour m'a prouvé que nous partagions une véritable passion pour l'oeuvre de J.R.R. Tolkien. Cet amour nous a donné l'énergie, le courage de tout surmonter ; il nous a poussés à donner le meilleur de nous-mêmes pour ces films. Je serai éternellement reconnaissant à New Line Cinema de m'avoir offert la chance de porter à l'écran ma vision du Seigneur des anneaux. Le professeur Tolkien a dit autrefois que 'la marmite de soupe, le chaudron de l'histoire a toujours bouillonné, et qu'y ont été continuellement ajoutés de nouveaux ingrédients, délicats ou moins raffinés'. A présent, je suis heureux de laisser ces films vivre leur vie dans ce monde et devenir ce que cette génération, ou les prochaines, voudront faire d'eux. Que ma contribution soit en fin de compte jugée 'délicate ou moins raffinée' n'est pas essentiel pour moi. désormais, elle existe. La Trilogie ne m'appartient plus, elle est maintenant entre les mains de ceux pour qui ces films ont été faits : les gens qui aiment ces livres et ont toujours aimé le cinéma ». Ainsi s’ouvrait le dossier de presse du Seigneur des Anneaux : le retour du Roi, par ces mots écrits de la main de Peter Jackson.

L’humilité qui découle de ce discours n’est pourtant pas appliquée au troisième film de la trilogie. En effet, il semble que le Retour du Roi, dont 20% ont été retournés après la sortie des deux premiers films, ait voulu placer la barre des effets spéciaux si haut que même les créateurs ont eu du mal à gérer par la suite. Prenons par exemple les plans d’effets spéciaux : en général, on en compte 200 par film. La Communauté de l’Anneau en comptait 540, les Deux Tours 799 ; le Retour du Roi n’en contient pas moins de 1488, ce qui donne une idée sur leur importance dans le récit, quitte à étouffer un peu ce dernier. Même problème pour la violence : on est passé de 118 mots à l’écran dans le premier film à 468 dans le deuxième pour terminer avec 836 dans le troisième ! Un besoin de faire « de trop », pour impressionner le public – chose inutile vu que le public était déjà conquis et largement fasciné.

Bien qu’il ait prétendu que le Retour du Roi était son livre préféré de la trilogie, Peter Jackson n’a jamais nié détester plusieurs éléments, comme l’armée des morts par exemple, qu’il ne pu supprimer pour ne pas décevoir les fans. Il a également du insérer l’épisode de l’araignée géante, lui qui st un arachnophobe convaincu. Il a également du gérer plusieurs éléments… indépendants de sa volonté : la destruction de la tour de Sauron, par exemple, ne devait en aucun cas ressembler à l’effondrement du World Trade Center. Enfin, étrange coïncidence, la ressemblance troublante de Gothmog, le lieutenant des Orcs, avec le leader des aliens dans Bad Taste. Joli clin d’œil égocentrique. Après, on ne sait pas trop ce qui s’est passé, mais Peter Jackson semble avoir perdu la superbe qui caractérisait sa réalisation dans les Deux Tours, cédant un peu trop facilement à la débauche d’effets spéciaux et aux batailles immenses. Délaissant l’intimisme et la quête de soi qui faisaient du Seigneur des Anneaux bien plus qu’une épopée fantastique, le Retour du Roi semble un peu en retrait par rapport aux deux films précédents, certes plus abouti que la Communauté de l’Anneau mais moins que les Deux Tours, plombé de surcroît par une dernière demi-heure longue et bavarde, en comparaison de l’heure de bataille en Terre du Milieu réellement titanesque et dense (avec oliphants, pirates, armée de morts, bras droit de Sauron et nazguls à profusion).

Côté acteurs aussi, une petite baisse de tension, et un crime impardonnable : la suppression pure et simple de Saroumane du récit, geste qui ne plu d’ailleurs pas du tout à Christopher Lee. Reste Andy Serkis, toujours aussi bon, et Viggo Mortensen comme à son habitude. Elijah Wood frôle le même degré de qualité que dans la Communauté de l’Anneau, notamment sur la fin, mais on regrette les bons mots trop rares cette fois de John Rhys-Davies et de sa compétition avec Orlando Bloom. Regrets aussi de n’avoir pas beaucoup droit à Hugo Weaving une fois encore, tandis que le roi fou fait plus rire qu’autre chose.

Mais les faits sont là : le Retour du Roi était l’apothéose de la trilogie : 1408% de bénéfice pour New Line, pulvérisation du record de box-office pour le week-end d’ouverture (250 millions de dollars), deuxième film de l’Histoire à dépasser la barre du milliard de recettes après Titanic, et il empocha les 11 Oscars pour lesquels il concourait, la trilogie devenant ainsi la plus nominée de l’Histoire des Oscars avec 30 nominations (Le Parrain en affichant 28 et la saga Star Wars 21). Une réussite totale donc, et pourtant pas autant qu’elle aurait pu l’être au niveau artistique. Avec une mégalomanie moins poussée qui consista à refaire un cinquième du film (pour le rendre plus « immense ») et sans doute un appât du gain moins prononcé, agrémenté d’une vision plus maîtrisée comme celle des Deux Tours, le Retour du Roi aurait pu atteindre les sommets, d’autant qu’il repoussait encore les limites posées par son prédécesseur. Un bon film au demeurant, mais un gâchis quand on imagine ce qu’il aurait pu être.

Note : ***

Le Seigneur des Anneaux : les deux tours (Lord of the Rings : the two towers)


Au vu des événements qui devaient prendre place dans le second film, les effets spéciaux allait devoir atteindre un niveau inédit, quelque chose de vraiment révolutionnaire pour être à la hauteur : le peuple Ent, Gollum et surtout la bataille du Gouffre de Helm où 10 000 Uruk-Aïs devaient assiéger la ville allaient nécessiter un travail technique considérable.

Gollum par exemple nécessita plus de 100 maquettes et 1000 dessins pour être parfait : pour sa création, il fallait d’abord capturer tous les mouvements et ensuite les retranscrire sur ordinateur, avant de post-synchroniser la voix. Andy Serkis, l’acteur qui interprétait Gollum, peaufina son personnage en lui donnant une voix tronquée (l’acteur soignait sa gorge quotidiennement avec du « jus Gollum » d’ailleurs, composé de citron, de miel et de gingembre) et en s’inspirant des héroïnomanes en manque. Le peuple de Ent nécessita des animatroniques immenses, comme Silvebarbe dont la poupée mécanique mesurait plus de 5 mètres (à titre de comparaison, la tour de Orthanc en miniature mesurait plus de 8 mètres). Une image de Gollum nécessitait ainsi près de 8 minutes pour être rendue par ordinateur, tandis qu’une image de Silvebarbe pouvait demander jusqu’à 48 heures.

Evidemment, le grand moment du film restait la bataille du Gouffre de Helm. Elle nécessitait 4 mois de tournage, de nuit, et il en fut tirer environ 20 heures de rushes. Visuellement, Peter Jackson s’inspira du Triumph of the Will de Leni Riefenstahl tandis que pour le son, il n’hésita pas à enregistrer 25 000 supporters de cricket chanter un cri de guerre. Mais le plus dur était à faire : donner vie à plus de 10 000 soldats en même temps. Weta Workshop, la société d’effets spéciaux de Peter Jackson, mit ainsi au point un logiciel révolutionnaire, baptisé Massive, capable de créer d'innombrables entités numériques, chacune dotée de sa propre personnalité et de sa propre indépendance. « J'ai mis au point ce programme en l'imaginant comme une vie artificielle, et non en la considérant comme un système d'animation de foule », explique le concepteur du programme Stephen Regelous. « Massive travaille en créant des agents qui possèdent leurs propres caractéristiques aléatoires et ont la capacité de prendre leurs propres décisions dans une situation de foule. Pour que ces agents réagissent naturellement à leur environnement, il fallait qu'ils disposent des même sens que nous, humains, pour l'appréhender. Ils sont donc dotés de la vision, de l'audition, du toucher quand ils entrent en collision avec les autres agents. Ils perçoivent leur environnement. Chaque agent est en outre doté de ses propres traits de caractère : l'agressivité, l'audace, la lâcheté... Il faut y ajouter les paramètres qui définissent quel est leur degré de saleté, leur taille, leur fatigue. Il y a d'innombrables paramètres qui entrent en jeu pour déterminer comment ces agents se comportent. Ce sont des entités uniques ». On atteint donc des sommets, comme le précise Richard Taylor, responsable de Weta : « Chacun de ces personnages possède son propre éventail de mouvements militaires, son répertoire d'action. Tous ces éléments ont été intégrés aux personnages. Chaque personnage numérique a été crée dans les moindres détails : il devait donner l'impression de posséder sa propre volonté, sa propre détermination, pour compléter le jeu des acteurs réels. On ne devait absolument pas déceler la différence. (...) Certaines des scènes que l'on voit au Gouffre de Helm défient l'entendement : ces batailles titanesques créées par Massive avec des dizaines de milliers de soldats qui s'agitent dans une atmosphère de colère et de mort, et tout cela a été crée numériquement... »

Comme libéré du poids de la réussite, le succès de la Communauté de l’Anneau ayant d’office remboursé les trois films, et n’ayant plus besoin déposer les bases d’un univers complexe (au maximum rajouter quelques éléments relativement simples), Peter Jackson signe avec Les Deux Tours l’épisode le plus réussi car le plus abouti de la trilogie. Exit quelques moments de flottements, une coupure du film en deux parties ou des moments romantiques un peu trop longs, cette suite se concentre désormais sur le véritable enjeu de l’intrigue : la préservation de la Terre du Milieu de l’armée de Sauron. Batailles dantesques, monstres hideux, remise en question des personnages, jeux de faux semblants, trahisons et amours interdits, tous les éléments de l’heroic-fantasy sont en place pour un divertissement de la même durée que le premier film. Bien plus sombre que la Communauté de l’Anneau, les Deux Tours est parsemé de revirements de situations pour se jouer du spectateur, et de moments de bravoure comme on aime en voir au cinéma. Le rythme change aussi, beaucoup plus soutenu et rapide, ne s’extasiant plus sur tel ou tel décor plus que nécessaire et allant droit à l’essentiel, instaurant au passage un climat tendu qui ne trouvera son dénouement qu’à la fin de la bataille de Helm. Peter Jackson semble avoir trouvé sa vitesse de croisière et, sans léser le moindre de ses personnages, en apporte de nouveaux tout aussi intéressants que ceux déjà connus : le roi Théoden, sa nièce, Saroumane bien plus présent… On regrette seulement de ne pouvoir jouir un peu plus de la présence de Grima Langue-de-serpent, vite dégagé du récit malgré l’excellent Brad Douriff (la version longue lui rend mieux justice paraît-il).

Côté acteurs aussi, à croire que le film a été tourné chronologiquement, semblent avoir une approche bien plus personnelle de leurs personnages, comme s’ils parvenaient à capter tout leur essence même. Viggo Mortensen reste le meilleur des acteurs visibles, car le meilleur de tous est paradoxalement celui qu’on ne voit pas : Andy Serkis. L’interprète de Gollum parvient ainsi à insuffler assez d’âme à son personnage pour que l’on y croit, et vu le travail nécessaire pour son personnage, on peut même dire qu’il est l’acteur ayant le rôle le plus difficile ! Malheureusement, et malgré l’insistance de New Line et Peter Jackson, Serkis ne sera jamais nommé à l’Oscar pour la simple et bonne raison que l’acteur nommé doit être visible à l’écran. Plutôt dur, surtout au vu de sa performance qui écrase les autres. Elijah Wood semble un peu moins en phase avec son personnage, ou est-ce fait exprès ? Sean Astin en fait parfois un peu trop, tout comme Orlando Bloom, tandis que John Rhys Davies reste le comique de la bande, Bernard Hill un roi Théoden prétentieux à souhait et Miranda Otto la meilleure interprète féminine du film (qui, il est vrai, n’en compte pas tant que ça…)

Enfin la musique d’Howard Shore, à l’instar de la mise en scène de Jackson, opte aussi pour un ton plus sombre, plus dramatique, sentant l’imminence du danger.

Bien qu’il fut un succès public plus important encore que le premier film (910 millions de dollars de recettes dans le monde), le Seigneur des Anneaux : les Deux Tours semble avoir été le moins apprécié des films par les critiques (6 nominations aux Oscars et 2 statuettes (Meilleurs effets visuels et Meilleur montage sonore)) ; pourtant, il s’agit bel et bien du meilleur épisode de la saga, plus dense et sombre que le premier film, plus épuré et moins noyé par son budget que le troisième. Film dont les rebondissements n’ont d’égal que les moments d’anthologie, de la bataille de Helm à ces flash-backs de tendresse entre Aragorn et Arwen, et dont l’issue semble dès le début dramatique, se refusant à offrir la moindre lueur d’espoir sans l’entourer de plus de danger encore, les Deux Tours est devenu une référence en la matière. Ce n’est que juste mérite après tout.

Note : ****

Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’Anneau (Lord of the Rings : the Fellowship of the Ring)


Peter Jackson décida de tourner les trois films en une seule fois (pour un budget total de 300 millions de dollars), une première dans l’histoire du cinéma. Pendant que Jackson retravaillait le script quotidiennement et cherchait une équipe solide, la préproduction allait bon train : 12 millions d'anneaux posés à la main pour les cotes de maille, 48 000 pièces d'armes et d'armures fabriquées, 19 000 costumes, 15 000 éléments de costumes, 10 000 masques, 2 000 armes, 1 600 paires de pieds de Hobbits, 350 décors construits et plus de 100 lieux de tournage, 200 masques d'orques et 159 prothèses de nez pour Gandalf furent conçus, tandis qu’on prépara un an à l’avance la plantation du village des Hobbit pour qu’elle fasse authentique. Peter Jackson estimait que la Nouvelle-Zélande pouvait offrir tous les décors nécessaires à une telle entreprise. Parallèlement, après n’avoir pu obtenir Russel Crowe, Jackson offrit le rôle d’Aragorn à Viggo Mortensen, lequel accepta sans hésitations sur conseil… de son fils.

Le tournage débuta enfin, et l’entreprise était de taille : 2 400 techniciens au total (dont 180 infographistes, 114 rôles parlés, 45 techniciens de décors, 40 tailleurs, designers, cordonniers, brodeuses et bijoutiers et 2 forgerons) travaillaient sur le film, adaptation d’un scénario de 400 pages et dont certaines scènes nécessitait jusqu’à 700 acteurs, ou encore 250 chevaux, le tout dirigé par 5 équipes allant parfois jusqu’à 148 personnes. On ajoutera à cela les 20 602 figurants utilisés pour 915 000 mètres de pellicule au total. Peter Jackson exigeait la perfection : le scénario fut ainsi retravaillé chaque jour durant le tournage pour coller au mieux aux acteurs ; les journées duraient parfois jusqu’à 16 heures, et il demandait à ses acteurs d’apprendre le langage elfique ; il obtint même la participation de l’armée néo-zéalandaise pour les scènes de bataille avant que celle-ci ne du renoncer. Amoureux de son pays, il utilisa des kilomètres de moquettes pour protéger certains endroits de tournage ; bricoleur et plaisantin, il utilisa pour les bruitages des cris d’animaux divers (opossums, baleine, tigre, cheval…) et même pour les Cavaliers noirs… le cri de sa femme ! Il décida pour contrer la censure que le sang des Orcs serait noir, et eut recours à quelques vieilles techniques d’effets spéciaux pour les Hobbits par exemple, en utilisant la perspective forcée (on place les personnages les plus grands près de l'objectif de la caméra pour les faire paraître plus imposants que les semi-hommes) et un système de plates-formes et de poulies permettant aux comédiens de bouger en même temps que la caméra pour maintenir cette perspective forcée (sans oublier la construction du décor à différentes échelles, l'utilisation d'images composites, de comédiens sur échasses ou de géants et de personnes de petite taille engagés comme doublure). Inversement, Jackson dépassa les limites de la technologie en matière d’effets spéciaux avec la technique dite de "prévisualisation" (pour visualiser en amont du tournage les scènes difficiles du film requérant notamment de nombreux effets visuels). Très tôt également, Peter Jackson et ses producteurs décidèrent d'utiliser l'étalonnage numérique sur la trilogie. Cette technique consiste à numériser le film, puis revoir chaque scène et modifier leur éclairage pour obtenir une photo unifiée, et finalement retransposer le long métrage sur pellicule.

A sa sortie, Le Seigneur des anneaux : la Communauté de l’Anneau était un succès, la critique (13 nominations aux Oscars, 4 statuettes (Meilleure musique, effets visuels, maquillages et photographie)) et le public (860 millions de dollars de recettes dans le monde) s’inclinèrent.

Ce qui frappe bien évidemment, c’est l’avancée technique du film, même encore à l’heure actuelle, qui lui a permit de séduire autant les foules : du village Hobbit à la ville des Elfes, Jackson nous offre un spectacle visuel d’une beauté renversante, aidé d’une part par une photographie numériquement parfaite et des décors naturels comme on en voit rarement. Pour accompagner cela, Jackson n’a visiblement pas lésiné sur les effets spéciaux, lesquels servent le récit avant tout et sont plus d’une fois remarquables, à l’instar de ce long prologue sur la première Bataille de la Terre du Milieu. Hélas, comme tout premier épisode d’une saga, la présentation des personnages et la mise en place de l’intrigue se fait hélas un peu trop lentement, si bien qu’il faut attendre une bonne heure si pas plus pour pleinement entrer dans le film. Difficile de comparer l’épisode d’Hobbitsbourg aux mines de la Morea par exemple, le premier manquant cruellement de ce souffle épique qui plane sur le reste du film. Ce n’est qu’à partir de la quête que nous prenons vraiment notre pied, ce que nous avons vu jusqu’ici étant certes plaisant mais un peu plat, surtout après le prologue.

Si de prime abord la mise en scène de Peter Jackson semble plus classique que d’habitude, il est amusant de noter le penchant habituel du cinéaste vers le cinéma trash : ainsi, l’aspect des Orcs est soigneusement travaillé pour être effrayant, et la naissance des Uruk-Aïs rappelle ces vieux films d’horreur que Jackson affectionne tant. Le Seigneur des Anneaux se démarque ainsi radicalement d’Harry Potter et l’école des sorciers, sorti à la même époque, par un approche non seulement plus adulte mais aussi plus sombre et violente du cinéma fantastique ; il faut dire que l’univers de Tolkien s’y prêtait d’emblée, contrairement à celui de J.K. Rowling à ses débuts. Mélangeant ainsi subtilement matte-paintings, effets classiques et numériques ou plans entièrement créés par ordinateurs, Peter Jackson prouve qu’il n’est pas un manchot, mieux qu’il possède une vision artistique définie qui lui permet de s’insérer dans l’univers de Tolkien et de s’en approprier certains éléments pour les faire siens.

Il est difficile de juger le script final, le roman étant de toute manière bien plus riche et puissant que le film. Cependant, Peter Jackson semble avoir été honnête avec l’œuvre originale, ne supprimant pas les intrigues secondaires et ne délaissant pas l’humour distillé ça et là pour relâcher un peu la pression. Un rien prévisible, le scénario ne manque cependant pas de précision dans sa première partie et de rythme dans sa seconde.

Côté acteurs, Viggo Mortensen est définitivement celui qui l’emporte, malgré des pointures comme Ian Holm. Christopher Lee et Ian McKellen, vétérans du cinéma, sont fidèles à eux-mêmes : admirables. Elijah Wood est relativement surprenant, offrant peut-être sa meilleure performance des trois films, tandis qu’on ne peux encore profiter pleinement de John Rhys-Davies ou Hugo Weaving. Dans l’ensemble des prestations honnêtes et réussies.

Mais le véritable secret du film, ce qui a concrètement propulsé la mise en scène de Jackson au sommet reste la musique d’Howard Shore. Il faut dire que le compositeur a passé près de deux ans sur la b.o., s’inspirant parfois de Wagner et de musiques celtiques. Sans le mélange incroyable de vigueur, de calme, de souffle épique et de mélancolie, on a un peu de mal à imaginer ce que serait le résultat final. Assurément, Howard Shore est au même titre que Jackson et Fran Walsh (scénariste du film et femme de Jackson) l’une des pierres angulaires de l’œuvre, offrant aux images ce petit plus… magique.

Réussi, Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’Anneau l’est assurément, mais ne mérite peut-être pas le statut de chef-d’œuvre absolu qu’on lui a offert dès sa naissance ; il s’agit d’une base solide à l’une des plus grandes sagas cinématographiques de tous les temps, ce qui en soi est déjà plus qu’un exploit.

Note : ***

jeudi 19 juillet 2007

Kill Bill - vol. II


Après le succès colossal de Kill Bill – vol. I, inutile de dire à quel point on attendait la suite. Allait-on avoir quelque chose de plus jouissif, de plus virtuose et violent encore que le premier volet de ce diptyque ? Eh bien oui et non.

Entre le volume I et le volume II, c’est vraiment le jour et la nuit : autant le I était peu dialogué, vif, stylisé et affichant des dizaines de morts au compteur (41 visibles, 93 en version officielle), autant le II est lent, bavard, épuré et avec en tout et pour tout 3 morts dont un seul est attribué à The Bride. Le choc est rude : passer d’un film délirant à une œuvre sérieuse de manière si brutale, il faut savoir s’accrocher. Et c’est là que le film perd de sa force.

Kill Bill II est en effet bien trop bavard pour réellement nous fasciner. On retrouve bien sûr des dialogues dignes de Tarantino (la comparaison entre Superman et les autres superhéros) et une tonne de références glissées dans le scénario (La prisonnière du désert, La route de Salina, Matrix, Lucio Fulci, Sergio Leone, Bruce Lee et la série Kung Fu entre autres) mais on ne peut s’empêcher de décrocher, à un moment ou à un autre, de séances de bavardages intempestives. Bon sang, on est là pour du combat, du sang et de la bidoche ! Mais même si le combat entre Elle Driver et The Bride est remarquable de violence pure (opposée au combat esthétique de O-Ren Ishii et The Bride dans le précédent opus), on ne peut que regretter de ne pas profiter plus de ce combat, car le final entre The Bride et Bill, que l’on attendait comme un sommet du genre (et originellement, il l’était, Tarantino ayant prévu un combat de sabre sur la plage sous la pleine lune, The Bride étant revêtue de sa robe de mariée, avant qu’Harvey Weinstein insiste pour que le cinéaste coupe cette scène) n’est finalement qu’une petite escarmouche bâclée en deux temps trois mouvements.

Et c’est dommage, car si Tarantino joue moins avec sa caméra que dans le premier film, il n’en demeure pas moins un brillant technicien : parvenant à nous faire stresser comme The Bride lors de l’inhumation vivante, il se pose la plupart du temps pour simplement laisser jouer ses acteurs, comme dans Reservoir Dogs ou Jackie Brown, fasciné qu’il est par sa muse Uma Thurman mais aussi par David Carradine, remplaçant Warren Beatty initialement prévu, et Daryl Hannah, qui effectue un grand retour au cinéma et vampirise l’écran dès qu’il y apparaît. Un casting ponctué par un Gordon Liu qui s’éclate visiblement à parodier le stéréotype du maître en arts martiaux des films de kung fu…

Une conclusion en dessous du premier film donc, Tarantino se souciant trop de prouver qu’il sait être sérieux dans un genre qui demandait surtout, comme Kill Bill – vol. I, un refus de crédibilité et une autodérision constante. Bavard et un peu trop lent, Kill Bill – vol. II n’en reste pas moins un bon film, mais pas le chef-d’œuvre que l’on était en droit d’attendre.

Note : ***

Kill Bill - vol. I


st parfois quand on veut se faire plaisir qu’on fait également plaisir aux autres. Tarantino l’a bien compris à travers ses films, et plus encore avec Kill Bill.

1993 : Quentin Tarantino réalise Pulp Fiction. Sur le plateau, il discute avec Uma Thurman d’un film sur une experte en arts martiaux qui se vengerait des assassins de sa famille, quelque chose dans la tradition des films asiatiques grande époque. L’idée trotte dans la tête de QT pendant des années, jusqu’à écrire un scénario dantesque : 220 pages, offertes à Uma Thurman pour son 30ème anniversaire. Il décide aussi de travailler avec Robert Richardson, directeur photo de Tueurs-nés, à qui il envoie le pavé de plus de 200 pages accompagné d’un joli bouquet de rose. Et là, la nouvelle tombe : Uma Thurman est enceinte ! Refusant de se passer de sa muse, Tarantino prolonge la préproduction jusqu’en 2002. Parallèlement, QT a réussi à convaincre Miramax que Kill Bill passerait mieux en diptyque.

Le tournage débute, et Tarantino s’éclate : après avoir passé plus d’un an à regarder des films d’action asiatiques, et s’être repassé en boucle The Killer, Coffy et Pour une poignée de dollars, le cinéaste s’amuse à glisser ça et là des références visuelles à ses films cultes et à ses propres films, s’entraîne avec ses actrices par solidarité et pour pouvoir montrer exactement le mouvement qu’il désire (il devait également interprété Peï Meï dans Kill Bill 2 mais il a du abandonné cette idée vu le travail qu’il avait), tourne au mythique Beijing Film Studio, épuise son opérateur steadycam, se ramasse un coup de boule (!) de Chiaki Kuriyama pendant son combat contre Uma Thurman, dépense 65 000 dollars en sabres japonais, utilise 500 litres de faux sang, tourne pendant 8 semaines la scène de bagarre dans le restaurant (alors que le tournage complet de Pulp Fiction ne demanda que 10 semaines), fait appel au studio Production I.G. pour la séquence animée du film (les responsables de Ghost in the Shell ou Jin-Roh, la brigade des loups), écrit de nouvelles scènes vu ses rushes, et surtout tourne « à l’ancienne » : peu d’effets numériques, que des effets traditionnels, du câble au geysers de sang contrôlé à distance en passant par les modèles réduits.

Résultat ? Tarantino nous revient six ans après Jackie Brown avec une forme impressionnante, réalisant tout simplement avec Kill Bill – vol. 1 l’un de ses sommets techniques. Côté scénario, ne nous voilons pas la face, le film est assez mince, comme tous les films d’action et de vengeance par ailleurs, mais Tarantino parvient pourtant à doser ce qu’il faut de moments d’action purs par rapport à des moments plus calmes. Et surtout, il sait comment nous tenir en haleine du début à la fin.

Non, c’est vraiment dans la réalisation que Tarantino prouve que « génie » est un mot inventé pour lui : au sommet de sa virtuosité, Tarantino parvient à intégrer une série de références dans un film personnel : de Leone à Battle Royale, de Bruce Lee aux films de Chang Cheh, de Brian de Palma à They call her one eye, le réaliateur est parvenu à assimiler chacun de ces films au point qu’il parvient à nous faire croire qu’ils sont les siens dans sa mise en scène. Un tour de force cinéphilique qui contribue à la critique de son style, mais qui permets aussi une approche radicalement différente de Kill Bill, non plus comme un film tendance gore mais comme un vibrant hommage à un cinéma de genre tombant en désuétude à l’heure du numérique et de l’action violente et décérébrée (style Rob Cohen). Tarantino pousse même l’hommage à l’utilisation exclusive de musiques de films pour créer sa propre b.o.

Techniquement, il prouve aussi qu’il sait comment cadrer une action, comment la découper et même que sa virtuosité n’est plus à démontrer (à l’image de ce plan-séquence dans le restaurant) tout comme il n’hésite pas à mélanger les genres (35 mm, dessin animé, noir et blanc…) et à utiliser des couleurs dominantes pour nous plaire. Sa stylisation de la violence trouve écho dans cette lutte entre The Bride et les Crazy 88 (utilisation du noir et blanc suivi d’un fort clair-obscur, montage rythmé, raccords impeccables) mais surtout dans ce combat final entre The Bride et O-Ren Ishii, dans ce jardin japonais couvert de neige, où les mouvements lents et précis ont le contrepoint musical de Don’t let me be misunderstood de Santa Esmeralda. Un cinéaste que l’on jugeait violent prouve ainsi qu’il sait rendre cette agressivité belle pour ne pas dire poétique.

Côté casting, Tarantino sait aussi mélanger les genres et les générations comme personne, de l’admirable Uma Thurman aux mythiques Sonny Chiba et Gordon Liu, en passant par de l’international avec Lucy Liu, Julie Dreyfus ou encore Vivica Fox. Si on ne profite pas encore du retour de Michael Madsen, on salive déjà des courtes apparitions de Daryl Hannah et David Carradine, les deux has-been que mister QT a décidé de ramener sur le devant de la scène comme à l’accoutumée. La direction d’acteur, ça le connaît le Tarantino, pensez donc vu le temps qu’il passe a créer ses personnages, et il fait encore preuve ici de quelques éclats, dont Uma Thurman assez surprenante, rendant son personnage d’ancienne tueuse sympathique, tandis que le monde qui l’entoure nous paraît affreux.

S’il n’est assurément pas le sommet de sa carrière, Kill Bill reste une étape importante dans l’œuvre de Tarantino, démonstration de savoir-faire jusqu’au générique final dont le scénario un peu faible au regard de ses précédentes œuvres empêche le film d’accéder au rang de chef-d’œuvre incontestable. Il a eu celui de film culte dès sa sortie, ce qui n’est déjà pas rien.

Note : ****

mardi 17 juillet 2007

Patton


Patton est comment dire… Un film ambigu ? Oui c’est cela, c’est exactement cela.

A la base du projet : Frank McCarthy, ancien soldat ayant servi sous les ordres du Général Marshall durant la Seconde Guerre ; pendant 20 ans, il rêvera de monter un film sur Patton. Finalement, il parvient à posséder un scénario solide, co-écrit par un jeune débutant du nom de Francis Ford Coppola, et décide d’en confier la réalisation à Franklin J. Schaffner, dont la réussite critique et commerciale de La planète des singes ne laisse personne indifférent. Même si, auparavant, John Huston, Henry Hathaway, Fred Zinnemann et William Wyler avaient décliné l’offre. L’ennui avec ce film n’était pas tellement de trouver un cinéaste, mais bel et bien un comédien capable d’endosser le rôle de Patton, général incontrôlable et surdoué, bigger than life. John Wayne était d’accord, mais pas la production ; Rod Steiger, Lee Marvin, Robert Mitchum et Burt Lancaster eux ne voulaient pas de ce rôle. Finalement, c’est à Georges C. Scott, général hilarant dans Dr Folamour et véritable ex-Marines, qui fut choisi, son caractère bien trempé ne pouvant que servir le film après tout. Pour l’anecdote, Patton devait être le second et dernier film à être tourné en Dimension 150, et la moitié du budget passa en location de soldats et équipements de l’armée espagnole.

Si le film est ambigu, c’est pour une raison très simple : en faisant l’apologie d’un général, Patton n’en est pas moins un des films les plus antimilitaristes de son genre. Paradoxal ? Pas sûr, simplement plus subtil que la plupart des productions de ce type et se refusant, à l’ère du Vietnam, de faire l’apologie de la guerre, Schaffner étant un cinéaste résolument engagé. Ainsi, alors que Patton est décrit de manière réaliste (brutal, grossier, guerrier et un peu cinglé…), l’armée US en prend pour son grade, se ridiculisant elle-même au travers des punitions infligées à son meilleur officier. Elle condamne un régiment à une mort certaine en le privant de carburant (des scènes de combats forts réalistes au demeurant, ne lésinant pas sur les effets pyrotechniques et explosifs) ; elle joue les hypocrites avec l’URSS qu’elle avait, déjà à l’époque, l’intention de combattre d’une manière ou d’une autre… La guerre plus généralement est montrée du doigt comme un coup médiatique : comment ne pas éclater de rire en apprenant que Patton devait rester sur ses positions pour laisser entrer les Anglais victorieux en Italie ? Autant de charges virulentes et à peine dissimulées qui transforme Patton en martyr. En effet, le général américain semble trouver, aux yeux des scénaristes et de Schaffner, un pardon absolu, voire même une profonde admiration qui pousse même à lui éviter la mort en l’occultant (l’accident de voiture qui coûta la vie de Patton est illustré comme un acte manqué ici). Un respect total pour un homme finalement hors de son époque – mais en avait-il une ?

A ce jour encore, on ne parvient pas à imaginer qui d’autre que Georges C. Scott aurait pu interprété ce « monstre sacré » en son genre, ce génie rebelle et trop teigneux pour être dans l’armée. Même l’excellent Karl Malden doit se battre pour lui tenir tête. La personnalité de Scott était sans doute la plus proche du vrai Patton, et cela doit être pour ça qu’il est si extraordinaire. Le tournage ne fut pourtant pas de tout repos : Scott fît perdre une journée entière de tournage parce qu’il jouait contre un champion de ping pong et voulait gagn au moins un set, même s’il devait y passer la nuit. Il refusait également de dire le speech du début sous prétexte de fausser l’ensemble de sa prestation pour le reste du film. Ce ne sont là que des traits d’un caractère fort qui devait pourtant offrir l’une des plus grandes interprétations de tous les temps, justement récompensée aux Oscars. Mais Scott était fidèle à lui-même, et pour la première fois de l’Histoire un acteur refusa la statuette, estimant que la compétition entre acteurs était stupide et décrivant la cérémonie comme une « meat parade ». Borné certes, mais humble : Scott déclara ainsi qu’il ne pensait pas avoir su capter toute la complexité du personnage de Patton, et désirait ardemment s’en excuser auprès de Schaffner.

Le film fut hélas fraîchement accueilli, malgré ses 7 Oscars : le peuple américain en avait marre de la guerre, et le Nouvel Hollywood commençait déjà à faire passer les films de studio pour des trucs ringards. 37 ans plus tard, le discours n’est plus le même : Patton est, à l’instar de son héros, un monument.

Note : *****

samedi 14 juillet 2007

Heat


Parfois, les remakes les plus improbables peuvent offrir les plu grands chefs-d’œuvre. On peut avancer cette idée lorsqu’on regarde Heat.

Alors que La Forteresse noire sort en salles, Michael Mann avoue posséder un projet de polar urbain efficace, mais ne désire pas le réaliser lui-même. Pourtant, en 1989, Mann réalise son projet en tant que téléfilm sous le titre L.A. Takedown, avec Michael Rooker et Scott Plank. Quelques années plus tard, l’envie de retravailler ce vieux projet en le dotant d’un budget conséquent et d’une confrontation de rêve, à savoir celle inédite de Robert de Niro et Al Pacino, titille le cinéaste au plus au point si bien que, fort de sa réputation et de ses succès, il lance la production de Heat. Et pendant que l’équipe suit un entraînement rigoureux quant au maniement des armes, Mann se rend à la prison de Folsom pour avoir une vision très précise de ce que devrait être le personnage de Neil. La démarche devait s’avérer payante.

Bien sûr, le marketing et le point fort du film consistait en la représentation de deux monstres sacrés du cinéma enfin réunis à l’écran. Pour la peine, Mann devait leur tailler, dans un scénario déjà dense, deux personnages sur mesure. Le premier, celui d’Al Pacino, était inspiré d’un détective que Mann connaissait à Chicago, qui avait un jour discuté avec un criminel qu’il devait arrêter ; dans la version originale, il devait également être cocaïnomane, ce qui expliquait ses sautes d’humeur. Le second, celui de Robert de Niro, était beaucoup plus subtil dans sa manière d’être : ex-taulard ne voulant replonger à aucun prix, méticuleux et efficace (pour preuve, quand il découvre Hannah à ses trousses à la fin, il abandonne tout ce qu’il possède exactement 30 secondes montre en main), il s’habille de manière classique, sobre et un peu sombre pour pouvoir se fondre dans la masse et passer inaperçu.

Le scénario se base justement sur la confrontation de ces deux êtres, que tout oppose et que finalement tout réuni. Constamment, les rôles s’inversent, on se prend de sympathie pour le criminel en désavouant le flic, aux manières peu légales à l’occasion. Cette dualité-complémentarité, Mann l’exploite pleinement à travers un jeu de miroirs de 2h40, comme le prouve ce souci du détail dans les opérations de chacun ou encore l’enchaînement de deux scènes de restos, celle des truands suivie de celle, semblable, des flics…

Pour illustrer cette confrontation, Mann instaure un climat tendu, où on ne sait jamais ce qui va se passer la minute suivante. Efficace, la mise en scène de Mann fait passer la longue durée du film comme une lettre à la poste, contemplatif de moments de grâce comme Los Angeles la nuit, utilisant sa palette de couleur favorite (noir, jaune et surtout bleu) et dont le sens de l’épure n’a d’égal que l’art du montage frénétique et précis, à l’instar de cette fusillade mémorable lors d’un hold up raté, ou cette introduction radicale et violente décrivant sans fioriture le braquage d’un fourgon en à peine 5 minutes. On est loin de son film précédent, Le dernier des Mohicans, dans la représentation du réalisme, et on ne devra pas voir Mann revenir à un tel niveau avant la fusillade finale, moins réussie cependant, de Miami Vice.

Mais bien sûr, parler de Heat sans évoquer un instant son casting serait impardonnable. Et ce n’est pas tant les deux têtes d’affiche qu’il faut acclamer que les seconds rôles qu’il faut applaudir, d’un Val Kilmer écorché vif parce qu’il le veut bien à un Tom Sizemore impressionnant, en passant par un Danny Trejo trop rare, une Nathalie Portman trop rare aussi et surtout un Kevin Cage assez sympa en psychopathe et un Jon Voight idéal en imitation d’Edward Bunker. Dire qu’il ne voulait pas jouer ce rôle au départ et que l’on ne doit sa performance qu’à la persévérance (et l’admiration) de Mann… Et enfin Al… Et Bobby… Des années qu’un tel événement faisait baver des milliers de cinéphiles, une rencontre si puissante qu’elle effrayait tous les réalisateurs. Même Mann : conscient qu’il détient la possibilité de réaliser un rêve trop beau pour être mis en images, il opte pour une technique vieille comme le monde afin de ne pas briser la magie : le champ-contrechamp. Les bases de la narration en gros, le minimum syndical comme les jeux des deux acteurs : regards fuyants, visages impassibles, voix douce et calme, bref un véritable moment de flottement dans ce récit rapide et brutal où jamais De Niro et Pacino sont visibles simultanément. A une exception près : lorsque Hannah interpelle Neil sur l’autoroute, mais alors encore Mann tronque sa mise au point et offre, en plus d’un éclairage minimaliste, un flou pour De Niro et une contre-plongée pour Al Pacino. Comme si cette rencontre n’avait finalement pas lieu… Le reste du temps, Al Pacino est le flic survolté et impulsif, tandis que Robert de Niro est le truand implacable et méthodique : deux styles en totales oppositions, comme les jeux des acteurs au travers de leurs carrières d’ailleurs, où Pacino à vif s’oppose à un De Niro en le plus souvent en intériorisation.

Œuvre crépusculaire, Heat n’est pas qu’une simple réunion de talents : c’est une œuvre d’art à part entière, où les personnages dessinés sont finalement condamnés à mourir dans ce tableau d’un Los Angeles le plus souvent nocturne, comme si on voulait cacher dans l’obscurité les démons d’une ville où s’affrontent quotidiennement le Bien et le Mal. Ce que le film illustre sans prendre de parti mais, tout simplement, en transformant un vulgaire polar en tragédie antique.

Note : *****

jeudi 12 juillet 2007

Platoon


Lorsqu’on évoque les films sur la guerre du Vietnam, de grands noms sortent mais le plus réaliste d’un point de vue combat reste sans doute Platoon.

A l’époque, Oliver Stone est plus connu pour ses scénarios que pour ses films. Même Salvador est passé inaperçu et du coup, Stone traîne son scénar sur le Vietnam de boites de prods en boites de prods depuis 1976. Puis, finalement, il parvient à se dégoter un budget, et après quelques refus d’acteurs (Kyle MacLachlan, Keanu Reeves, Kevin Costner) se crée un casting qui dans quelques années en fera rêver plus d’un : Charlie Sheen, Tom Berenger, Willem Dafoe, Forest Withaker et Johnny Depp ! Ceux-ci, après une formation de 14 jours dans un camp militaire spécial, se lancent dans l’aventure sans savoir ce qui les attends…

Car jusqu’à alors, le Vietnam était un cauchemar, mais surtout spirituel (Apocalypse Now) ou moral (Voyage au bout de l’enfer), mais pas encore physique. Fort de son expérience personnelle, Stone veut donner une forme jusqu’à alors inédite à cette guerre : un conflit d’une violence inouïe, teintée de tragédie humaine.

Travaillant donc sur la pyrotechnie et le son, afin que le bruit des M-16 soit le plus réaliste possible, Oliver Stone pousse ses acteurs et son équipe à bout, sachant très bien que le film sera un succès. Et c’est le cas : le film cartonne au box-office, supplante le Full Metal Jacket de Kubrick et s’offre 4 Oscars (Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Montage et Meilleur Son) sur 8 nominations. Avec bien sûr une reconnaissance mondiale à son auteur.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Eh bien le film a vieilli, et ce qui faisait sa force semble bien fade face à des Il faut sauver le soldat Ryan ou même Nous étions soldats. Heureusement pour lui, Stone n’avait pas tout misé sur cet aspect du film, mais aussi sur le côté « shakespearien » de son histoire et de ses personnages. Chris, par exemple, tel Hamlet, ne décide-t-il pas de venger son père (spirituel ici en la personne d’Elias) en tuant Barnes ? Evidemment, cette dimension dramatique est un peu délaissée au fil du récit, mais elle est bel et bien présente, permettant au film de ne pas boire la tasse dans les eaux du temps.

Les acteurs aussi y sont pour beaucoup. Si Sheen se démène comme un diable, cherchant à offrir au personnage un esprit suicidaire, ce sont bien Tom Berenger et Willem Dafoe qui dominent, l’un pour son rôle de « plus salop tu crèves » l’autre ne serait-ce que pour cette seule scène où il se voit mourir en croix, scène qui impressionna tellement Stone lui-même qu’il la garda – alors que les explosifs remplis de faux sang n’explosèrent pas. Mais mine de rien, c’est un inconnu (maintenant cantonné aux séries TV) du nom de Francesco Quinn qui parvient à se démarquer, dans son rôle de militaire grande gueule et froussard. C’est un peu aussi ça la classe de Stone : permettre aux seconds rôles d’avoir autant d’importance que ses têtes d’affiches, quitte parfois à voir ces derniers un peu évincés…

Le style de Stone est aussi clairement construit à l’époque, dans ce besoin de rajouter une dose de drame humain alors que ce n’est pas nécessaire. La surenchère n’est pas trop gênante ici, mais le coup des violons (le célèbre Adagio for strings de Samuel Barber) laisse plus de marbre qu’il n’émeut. Sans doute à l’époque était-ce un coup décisif, mais à l’heure actuelle, ça a considérablement perdu de son impact.

On regrettera donc que le côté visuel et sonore du film aient été un peu privilégiés au scénario dont on ne saurait nier la paternité à Stone. Moins métaphysique qu’Apocalypse Now, moins éprouvant que Voyage au bout de l’enfer, moins intellectuel que Full Metal Jacket ou moins offensant qu’Outrages, mais pourtant incontournable dans ce genre de cinéma.

Note : ***

mardi 10 juillet 2007

La science des rêves (The Science of Sleep)


Ah on l’attendait le retour de Gondry ! Oui mais l’ennui, c’est que cette fois, il ne travaille plus avec Kauffman mais bel et bien seul. Et c’est dommage lorsque l’on regard le résultat de La science des rêves.

Pourtant à la base, Gondry promet de belles choses : une nouvelle exploration de son imaginaire débordant, une histoire d’amour compliquée, un joli casting, avec même la possibilité que l’air français lui donne de nouvelles forces…

Au niveau de l’inventivité, là oui rien à redire, Gondry est fidèle à lui-même. Il n’est pas commun de voir un film où règnent les bricolages en cartons-pâtes ! Mais c’est ça l’univers Gondry, celui des mains géantes, des lacs en pente, des télévisions cérébrales qui proposent de découvrir le monde comme une émission de variété (à noter que la vraie télévision est elle attaquée en plein vers le milieu du film). On retiendra l’eau remplacée par du plastique, les dossiers géants ou encore le cheval mécanique…

Les acteurs sont eux aussi formidables. Gael Garcia Bernal n’hésite pas à parler trois langues, ou encore à payer de sa personne ; Charlotte Gainsbourg en artiste frustrée n’a d’égal qu’une Emma de Caunes garce à souhait, ou une Miou-Miou en mère absente. La palme revient pourtant à Alain Chabat, assez fidèle à lui-même, mais dont le pince sans rire et le sarcasme permanents offre un meilleur ami comme on aimerait pas en avoir, et puis finalement si. Véritable phénomène à lui tout seul, il rend un peu plus drôle cette histoire assez monotone…

Car oui, voilà le gros défaut du film : son scénario. N’est pas Kauffman qui veut, et certainement pas Gondry : exit donc le charme dérangé (et dérangeant) d’Eternal sunshine of the spotless mind, le troisième film du cinéaste n’est somme toute qu’une histoire d’amour bancale, incroyable sur papier mais finalement plate sur l’écran. On aimerait adhérer, mais tout cela sent le déjà vu, le déjà vécu, et c’est une idée que l’on ne pardonne pas à un artiste comme Michel Gondry. C’est dur je sais, mais c’est comme ça.

A noter enfin, comme toujours, une splendide b.o. qui parcourt le film et lui donne un peu son côté magique, enfantin qui fait son charme indéniable.

Un film bien foutu il est vrai, visuellement réussi dans le côté innocence de l’enfance, mais dont on ne parvient pas à accrocher pleinement à l’histoire. L’essai était beau, mais seulement à moitié concluant. Vivement la reformation du duo Gondry/Kauffman, histoire d’assister à un nouveau chef-d’œuvre poétique et unique.

Note : **

samedi 7 juillet 2007

Citizen Kane


Peut-on imaginer ce que serait, même un instant, le cinéma moderne sans Citizen Kane ? Impossible, tant l’innovation de ce film a chamboulé à jamais le monde du cinéma !

Et dire que tout cela est l’œuvre d’un homme en particulier : le mythique Orson Welles. Génie (la légende veut d’ailleurs que ses premiers mots furent « je suis un génie ! ») touche-à-tout, qui aurait pu prédire que cet artiste du théâtre, chroniqueur radiophonique (dont l’adaptation de La guerre des mondes est devenue célèbre) allait bousculer 40 ans de cinéma comme si de rien n’était, à seulement 26 ans ? Mais quel est le secret de Citizen Kane ?

Tout d’abord, et surtout, sa réalisation, qui a véritablement révolutionné le monde du cinéma. Orson Welles a e effet employé des techniques nouvelles et qui allait devenir les bases du langage cinématographique moderne. Il a par exemple employé le procédé d'impression optique à la Truca (qui consiste à aligner une caméra avec un projecteur dont le fonctionnement est synchronisé ; la pellicule peut ensuite être retravaillée en post-production) ; il a fait une utilisation exceptionnelle des plans-séquences pour l'époque, au détriment du gros plans et du champ contre champ (le plan-séquence permet une plus grande fluidité du film et une liberté de mouvement pour les comédiens) ; il fit installer des objectifs avec grand angle sur les caméras ce qui donna une profondeur de champ exceptionnelle pour l'époque (et ce qui a obligé le chef opérateur à utiliser parallèlement des courtes focales pour que l'image reste nette en arrière et premier plans. L'utilisation fréquente de la contre-plongée a également forcé le chef opérateur à faire venir la lumière du sol). Welles utilisa aussi des trucages dans les décors : il fit ajouter des peintures trompe l'oeil en transparence pour faire des jeux de perspective et installer des faux plafonds. Enfin, les jeux d’ombres ont une importance capitale dans ce film, recentrant l’action ou, dans le cas du journaliste, permettant une sublimation pour que le spectateur devienne l’enquêteur.

Le scénario, lui aussi, est extrêmement bien travaillé. Outre la complexité des personnages, en particulier celui de Charles Foster Kane, et le côté satirique du film, dénonçant les arrivistes, les riches mégalomanes et Hollywood lui-même (Xanadu ne ressemble-t-il pas à certaines maisons de stars ?), le découpage du récit en surprit plus d’un à l’époque : composé de flash-back, de scènes revisitées sous d’autres angles, ce « film-enquête » se révélait très complexe, bourré de métaphores et dont l’énigme, le mystérieux Rosebud, n’allait trouver signification qu’à la toute fin du récit. A ce propos, petite analyse personnelle : Rosebud n’est donc autre que la luge de Kane, mais ne peut-on y voir d’autres allusions ? Et si Rosebud était l’amour, dont Kane avait été privé en étant séparé de ses parents ? Et si Rosebud était le symbole de l’enfance et, par là même, le symbole de l’innocence perdue de Kane ? Les interprétations sont nombreuses… On regrettera toutefois quelques moments de flottements, comme la parade amoureuse à laquelle se livre Kane et la cantatrice, qui dure un peu trop longtemps et, du coup, ralentit le film…

Tous les acteurs son excellents. Rien d’étonnant car s’ils débutent devant la caméra, ce sont des habitués d théâtre, issus pour la plupart du Mercury Theatre, la compagnie de Welles. Pourtant, une fois encore, c’est Welles qui domine tout, évoluant comme son personnage tant mentalement que physiquement. C’est presque du De Niro avant l’heure, le côté shakespearien en plus. La mégalomanie de Kane, que l’on peut aujourd’hui associé à celle de Welles tant elles se ressemblaient, trouve en ce fabuleux acteur une base solide, lequel a vraiment livré avec ce film l’une de ses plus monstrueuses interprétations.

On notera aussi deux noms prestigieux au générique : d’une part Robert Wise, travaillant ici comme monteur avec Welles (il le sera à nouveau sur La splendeur des Amberson) ; ensuite Bernard Hermann, dont c’était là le premier film (nominé à l’Oscar) et qui deviendra célèbre par la suite notamment via sa collaboration avec Alfred Hitchcock…

Pourtant, le film ne fut pas un succès retentissant ; il fut même un échec cuisant à sa sortie. Beaucoup expliquent cela par la pression médiatique de William R. Hearst, magnat de la presse de l’époque qui fit en sorte que tout le monde boycotte ce film. Il faut dire que Welles s’était largement inspiré de la vie de Hearst, et que du coup Citizen Kane ressemblait à une attaque directe envers celui-ci. Hearst lutta donc fermement pour détruire le film. Le cinéma ne doit le salut de son chef-d’œuvre qu’à un retournement de situation incroyable : la perte de crédibilité et d’influence de Hearst…

Le film reçut 9 nominations Oscars (Meilleur film, Meilleure direction artistique, Meilleure photographie, Meilleur montage, Meilleur musique, Meilleur son et 3 pour Welles : Meilleur acteur, Meilleure réalisation et Meilleur scénario), mais n’en remporta qu’un seul (Meilleur scénario), dont on ne su jamais vraiment qui avait travaillé le plus entre Welles et Herman Mankiewicz, notamment au niveau de l’énigmatique Rosebud…

Le film fut donc un échec mais se rattrapa largement par la suite, devenant avec le temps une valeur sûre de la RKO. Il faut dire que la réputation du film fut énorme : acclamé par les critiques de la Nouvelle Vague, le film fut rapidement considéré comme un chef-d’œuvre ultime. La revue Sight & Sound la qualifiera même, et ce depuis plus de 50 ans de « meilleur film de tous les temps ».

Top 10 des critiques1 - Citizen Kane d'Orson Welles 2 - Sueurs froides d'Alfred Hitchcock 3 - La Règle du jeu de Jean Renoir 4 - Le Parrain / Le Parrain, 2e partie de Francis Ford Coppola 5 - Le Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu 6 - 2001 : l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick 7 - L'Aurore de Friedrich-Wilhelm Murnau 8 - Le Cuirassé Potemkine de Sergei Mikhailovich Eisenstein 9 - Huit et demi de Federico Fellini 10 - Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly Top 10 des cinéastes 1 - Citizen Kane d'Orson Welles 2 - Le Parrain / Le Parrain, 2e partie de Francis Ford Coppola 3 - Huit et demi de Federico Fellini 4 - Lawrence d'Arabie de David Lean 5 - Docteur Folamour de Stanley Kubrick 6 - Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica 7 - Raging Bull de Martin Scorsese 8 - Sueurs froides d'Alfred Hitchcock 9 - Rashomon d'Akira Kurosawa - La Règle du jeu de Jean Renoir - Les Sept samouraïs d'Akira Kurosawa

Un chef-d’œuvre qui semble donc intemporel, où les années n’ont aucun emprise sur sa puissance et qui continue, encore et toujours, à fasciner des milliers de cinéphiles.

Note : *****

jeudi 5 juillet 2007

C'est arrivé près de chez vous


En Belgique aussi, les contes de fées existent, même s’ils sont teintés d’humour second degré et de pas mal de mousse d’une bonne blonde. Voici par exemple l’histoire d’un film sur lequel personne ne misait, voici l’histoire de C’est arrivé près de chez vous.

Il était une fois trois allumés dont l’humour n’avait d’égal que la puissance du coude au comptoir : Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde. Alors que Benoît connaissait quelques disputes avec les études en général, ses amis Rémy et André ne pouvaient pas se vanter de faire mieux, si ce n’est que eux se voyaient déjà réaliser des films. Après un premier court métrage ensemble (Pas de C4 pour Daniel-Daniel), nos trois amis décidèrent, pour le film de fin d’études de Rémy, de décrire le quotidien d’un serial killer en parodiant quelque peu une émission très prisée (et très voyeuriste) à l’époque : Striptease.

Une chose en amenant une autre, le film de fin d’études se transforma en premier long métrage pour nos joyeux lurons, pas si joyeux que ça quant il fallait monter le film : appels à la famille et aux amis (Benoît invita même a famille sans jamais lui dire le sujet du film), fouilles des poubelles des studios pour récupérer des morceaux de pellicule, tournage sans autorisations et véritables tournées chez Malou, bref la bande eut bien des difficultés à arriver au bout de ses peines, et il fallut plus d’un an pour arriver au but ultime : Cannes.

Se rendre à ce prestigieux festival était déjà merveilleux pour nos héros nationaux, mais ils n’étaient pas encore au bout de leurs surprises (et pour dire vrai, nous non plus) : projeté en séance de minuit, le film attira bien vite l’attention des festivaliers. « Viens vite, il y a des Belges qui ont fait un truc de fou ! » s’exclamait un spectateur, tandis qu’un inconnu du nom de Quentin Tarantino se battait avec 4 gardes de la sécurité pour aller voir le dit film de dingue. Trois récompenses plus tard, nos amis rentrèrent dans leur plat pays en abandonnant à la vue de tous leur bébé. Le résultat ne se fit pas attendre : le film culte de la décennie, pourquoi pas même de l’histoire du cinéma belge, attirait tous les curieux, repoussant les plus sensibles d’entre eux pour fasciner les amoureux du cynisme et de l’humour noir. Preuve avec cette affiche qui choqua : à la base, ce n’était pas un dentier mais une tétine de bébé qui voltigeait parmi les flots de sang. Mais la censure trouva cela « de trop »…

Quel était donc le secret de cette réussite ? Le scénario à double niveau sans doute : d’une part une satire féroce et sans concession de la télé réalité, du voyeurisme et de la place du spectateur dans ce qu’il regardait (l’équipe documentaire participant activement aux meurtres de Benoît au fil du temps) mais d’abord et surtout à un ton débridé et un humour que l’on avait encore jamais osé jusque là : du veilleur de nuit noir à la mamy cardiaque, de l’anniversaire sanglant au cocktail référant au petit Grégory Villemin, chaque phrase, chaque situation poussait à son paroxysme la limite du bon goût et n’hésitait d’ailleurs pas à la franchir allègrement. Il faut dire que notre « héros » n’en est pas un : assassin pour le plaisir autant que pour l’argent, raciste et sans égard pour femmes, vieillards et enfants, son amour de la poésie n’épargne en rien ce côté détestable qui émane de lui alors que, honte à nous, on ne peut s’empêcher de l’adorer, de réciter à sa place ses répliques devenues cultes.

Qu’aurait été un tel personnage si ce n’était pas Benoît Poelvoorde qui l’avait interprété ? Quelque chose de totalement différent, et allons plus, quelque chose d’indigeste. Pour son premier vrai film, Poelvoorde écrase déjà tout, laissant deux types de cadavres sur son passage : les morts du films et nous, morts de rire. La comédie est un art très délicat, et Poelvoorde y excelle comme nul autre de sa génération.

Malheureusement, le film a bien du mal à tenir ses promesses, et si l’humour reste présent longtemps, on ne peut s’empêcher de regretter que la seconde moitié du film traîne, tire en longueur, soit moins inoubliable que la première partie, et il arrive parfois que le sourire qu’on ne pouvait plus effacer de notre visage s’en aille de lui-même.

Mais qu’importe ! Le film est ce qu’il est, autrement dit une pierre précieuse rare car brut, sans influence quelconque si ce n’est le caractère déjanté de ses trois auteurs, et dont l’humour acide traverse les âges et les générations sans prendre la moindre ride. Moralité : la personnalité dans un film, ça fait beaucoup, la bière ça fait le reste. Cinéma, cinémaaaaaa !!!!!

Note : ***

mardi 3 juillet 2007

Les fantômes de Goya (Goya's ghosts)


On le sait depuis 20 ans, Milos Forman aime les biopics un peu « hors norme », aux antipodes de ce que prône Hollywood : Amadeus, Larry Flynt, Man on the moon sont autant d’exemples du talent de Forman de présenter un personnage célèbre en dénonçant ce qui ne tourne pas rond autour de lui. Surtout si cela lui permet d’égratigner l’image de l’Amérique vers laquelle il a été obligé de migrer. Cette fois, dans Goya’s ghosts, ce n’est pas tant le peintre que ceux qu’il côtoie (le frère Lorenzo et Inès) qui intéressent Forman. L’occasion de dénoncer l’Inquisition était trop belle pour la laisser passer, mais bizarrement Forman ne se limite pas à un seul point de vue cette fois : critiquant l’Eglise et ses méthodes ultraconservatrices et totalitaires, le cinéaste s’en prend aussi aux révolutionnaires français en pointant du doigt la faiblesse de leur mouvement, eux qui se croyaient les héros d’une Espagne souffrante alors qu’ils n’étaient vraiment pas désirés. Pour la première fois dans un film de Forman, personne n’a raison, ni mérite de salut au générique de fin. Pas de happy end ici, le film est résolument sombre, sans doute l’un des plus sombres de Forman. Mais hélas, malgré cette innovation dans sa narration, Forman se laisse aller à quelques facilités scénaristiques, et tire certaines de ses scènes bien trop en longueurs.

Malheureusement la mise en scène ne sauve pas les meubles : étrangement classique, la reconstitution de l’époque n’a d’égal que le calme de 90% du film. Le film est intimiste, certes, mais un rien trop lent, sans le rythme et le souffle qui ponctuait Amadeus et le propulsait au firmament. Serait-ce dû à l’âge sans cesse avancé de Milos Forman, qui fête ses 75 printemps cette année ? Peu certain, beaucoup de cinéaste ne se laissant pas aller à cette excuse. D’autant que l’ironie et l’agressivité du cinéaste ont rarement été si virulentes, à l’instar de ce final sous des airs enfantins joyeux dont aucun des personnages ne sort indemne.

Milos Forman reste aussi un directeur d’acteur exceptionnel : s’étant entouré d’un casting plus qu’admirable (Stelan Skarsgard, Michael Lonsdale, Nathalie Portman, Javier Bardem), le réalisateur prouve une fois de plus qu’il saurait rendre fascinant un chien se grattant l’oreille. Si beaucoup ont reproché le fait de voir un nordique interprété Goya, il faut tout de même admettre que Skarsgard interprète avec conviction et réalisme le peintre génial et quelque peu opportuniste, dépeignant le monde qui l’entourait au travers de métaphores visuelles troublantes et sombres. Michael Lonsdale est quant à lui admirable en Evêque tout-puissant, autant que ne l’est Nathalie Portman en muse innocente d’une part et en catin de l’autre. Mais c’est bel et bien Javier Bardem qui mérite les applaudissements, tour à tour calme et à vif, lâche et fourbe, animé d’une volonté de se préserver et opportuniste.

Dommage que le scénario un peu trop prévisible et une mise en scène un peu trop académique (même si clairement fascinée par l’univers de son peintre de héros) ne rendent pas justice à un quatuor d’acteur d’exception, dont l’un d’eux parvient à atteindre les sommets presque sans efforts. Une leçon de direction d’acteur à défaut d’une leçon de cinéma comme grand retour.

Note : ***