vendredi 27 avril 2007

Shining


Parfois les films commerciaux sont de bons tremplins à ses thèmes, voire un exutoire quant à ses propres problèmes. Ce fut le cas pour Kubrick et son adaptation de Shining.

Après avoir cherché un bon sujet pendant deux ans, Kubrick découvre finalement l’œuvre de Stephen King, qui lui permet, comme il aime, d’insérer ses propres idées dans une histoire préétablie (comme ici le labyrinthe comme lieu de dénouement, alors que dans le livre l’hôtel prend feu). Il faut dire qu’avec cette histoire, Kubrick voit une approche originale et paranormale de la création artistique et de la décomposition de la cellule familiale…

Il obtient donc les droits et sans trop travailler avec King commence son tournage qui va durer plus d’un an. D’entrée de jeu, Kubrick projette Eraserhead à son équipe, pour montrer dans quel sens il veut que le film aille. Et il préviens d’emblée qu’il veut réaliser un tournage linéaire, autrement dit respecter l’ordre des scènes dans le scénario, ce qui va grandement compliquer le tournage. Pour ceux qui en doutaient, le mythe de la perfection refait vite surface : Kubrick multiplie les prises (127 fois une scène de Shelley Duvall, 120 fois celle de l’illumination de Scatman Crothers, 40 fois celle où il se fait tuer par Jack Torrance, près d’un an pour obtenir l’ouverture de l’ascenseur rempli de sang exactement comme il le voulait…), il utilise de vieux effets pour obtenir le plan qu’il désire (la scène où Dany croise les deux fillettes dans le couloir fut tournée en deux fois : Danny seul et les fillettes seules. En surimpression, les fillettes ressortent légèrement de l’image de la sorte, leur donnant un aspect plus fantomatique), il va même jusqu’à taper lui même les centaines de feuilles que découvre Wendy dans le bureau de Jack avec la célèbre phrase « All work and no play makes Jack a dull boy » (il en existe des versions en anglais, allemand, espagnol et français !).

Mais Kubrick reste attentionné à tout, surtout ses acteurs : compte tenu de son âge et de sa première expérience cinématographique, Danny Lloyd devient le protégé du cinéaste, si bien que l’enfant n’apprendra des années plus tard que Shining était un film d’horreur ! Inversement, Shelley Duvall n’a pas eu cette chance, Kubrick la poussant continuellement à bout pour avoir le meilleur résultat possible. Et bien qu’il se plaignait des changements quotidiens de scénario, Jack Nicholson eut une grande liberté d’improvisation : ainsi, l’idée de la balle qu’il lance quand il s’ennuie est de l’acteur, tout comme la célèbre réplique « Here’s Johnny ! » que Nicholson a simplement imité d’une émission de télévision américaine, le Tonight Show Starring Johnny Carson. L’avantage avec tout ça, c’est que Kubrick a pu obtenir de bonnes interprétations, à l’exception près que Shelley Duvall n’est pas crédible la plupart du temps et que Nicholson part un peu trop en roue libre par moment… Pour une fois, Kubrick le grand directeur d’acteur n’a pas réussi son coup.

Peut-être surveillait-il trop l’aspect technique de son film ? Il faut dire que, fidèle à sa réputation, Kubrick voulait employer les dernières technologies possibles. En l’occurrence, c’est la steadycam qu’il a rentabilisé, qui lui permettait de créer des séquences inoubliables à l’instar de ces tours en tricycle de Danny dans l’hôtel. Il s’amuse aussi à nager à contre-courant du genre, en filmant l’horreur non pas dans les ténèbres mais dans les lumières de l’hôtel et la neige immaculée. Enfin, il filme en ratio 1:37, format projeté en 1:33 à la télévision mais en 1:85 au cinéma : plus clairement, l’avantage de filmer en 1:37 c’est que le haut et le bas de l’écran sont masqués au cinéma, ce qui donne l’aspect « widescreen », mais ne le sont plus pour les formats télévisuels et vidéos. Est-ce pour tout cela que Kubrick a baissé son attention sur des détails comme l’ombre d’un hélicoptère dans le champ ou des erreurs de raccords flagrantes ? Etonnant de la part d’un cinéaste dont on clamait le perfectionnisme comme étant inégalable…

D’un point de vue psychologique, l’horreur provient surtout des décors, de la musique et de la dégradation progressive de Jack. L’hôtel, immense et vide, nous donne un sentiment de claustrophobie, et d’apprendre que des êtres surnaturels sont là ne nous aide pas à nous relaxer… Kubrick joue également avec le son tant avec les musiques angoissantes (dont une partie signée Ligeti, qui avait déjà composé la b.o. de 2001 : l’odyssée de l’espace) mais aussi avec ces silences lourds, quand un bruit anodin ne vient pas nous troubler (le bruit du tricycle par exemple). Enfin, on a beau savoir que tout se passe dans la tête de Jack (pour preuve, chaque fois qu’un fantôme lui apparaît, c’est devant un miroir ; n’est-ce donc pas le reflet de ses pensées que nous voyions ?) on est quand même pas rassuré avec le temps qui passe. Et les fans du cinéaste savent à quel point le film tenait du personnel pour Kubrick. « Vous savez, faire un film revient à s’isoler, à ne plus voir ce qui nous est proche. Cela vous prend tout entier, vous possède, vous réclame, et il est difficile d’y échapper. A un moment ou à un autre, on se demande si l’on ne devient pas fou, commandé par des forces invisibles. Faire un film impose une totale abnégation de soi, une complète disponibilité, et c’est la raison qui me pousse à m’enfermer, à m’isoler du monde extérieur. Dès qu’on devient imperméable à ce qui nous entoure, on ne reçoit plus la réalité en face, on bascule vers ces choses indéfinissables qu’on appelle la créativité. Dans ce sens, oui, je suis assez proche de Jack. »

Elu 9ème film le plus effrayant de tous les temps par Entertainment Weekly, Shining est bien plus qu’un film d’horreur, comme il fut péjorativement considéré à sa sortie ; il vient s’installer dans l’œuvre de Kubrick avec une totale adéquation de ses thèmes, de son style et, mieux encore, il est probablement l’un de es films les plus personnels quant à sa réflexion sur la vie et sur la mort. En un mot : chef-d’œuvre.

Note : ****

mardi 24 avril 2007

1900 (Novecento)


Le cinéma est un moyen d’expression comme un autre, c’est un fait, mais peut-on vraiment s’en servir pour illustrer son idéologie ? Bertolucci a tenté d’y répondre avec 1900.

Il faut dire que Bertolucci n’a jamais caché ses opinions politiques : que ce soit à travers ses films (La stratégie de l’araignée) ou via ses fréquentations (grand ami de Pasolini), Bertolucci s’est toujours avoué comme un communiste convaincu. A l’époque, alors que Mai 68 est encore dans toutes les mémoires, le cinéaste profite de sa notoriété internationale acquise avec Dernier tango à Paris pour parler de son pays, de son Histoire d’un point de vue radicalement marxiste. Initialement prévu comme un film télévisé, le film devient un projet de cinéma et récolte des aides un peu partout : 2 millions chez United Artists, 2 autres chez Paramount et encore 2 chez 20th Century Fox. Ce qui ne l’empêchera de dépasser le budget de 3 autres millions. Le film sera autant décrié qu’acclamé à sa sortie, mutilé aux USA, raccourci d’une demi-heure en Europe (ce qui ramène le film à 5 heures, supprimant au passage des scènes jugées choquantes comme Depardieu et De Niro se faisant masturber par une prostituée ou les deux garçons du début comparant leur pénis), mais passé tout cette effervescence et ce parti pris résolument politique de la part des critiques, qu’en est-il réellement ?

Eh bien cette œuvre fleuve semble avoir vieilli et en y regardant de plus près prêt à sourire jaune ; comment un film faisant l’apologie du communisme a-t-il pu être financé par des sociétés résolument capitalistes ? Le discours de 1900 n’a pas attiré les nouvelles générations vers le communisme mais a bel et bien aidé les studios américains à se remplir les poches. De plus, la foi aveugle de Bertolucci envers son parti l’empêche de voir la réalité en face, le forçant à remanier la vérité historique à sa manière : les fascistes sont décrits comme mauvais et reniés par tous, mais le peuple n’a-t-il pas suivi en masse cette idéologie au départ ? Le message du film par ailleurs est si évident qu’il en perd de sa puissance, ridicule manichéisme de la glorification du pauvre paysan et vilain patron opportuniste et sans notion d’amitié et d’amour. L’utopie finale cependant, où le prolétariat détruit la notion de « patron », est typiquement marxiste mais ne se voit pas glorifiée puisque la réalité revient au galop : les paysans et les bourgeois sont condamnés à se battre éternellement.

La mise en scène de Bertolucci n’aide pas non plus le film a traversé les âges sans problèmes : comme dit précédemment, le film était prévu comme une œuvre télévisuelle, et malheureusement on le ressent plus d’une fois. Il y a aussi cette étrange manie d’une caméra tremblante, ne sachant pas exactement où se mettre, ce qui contraste fortement la plupart du temps avec le plan suivant, très bien construit. Si Bertolucci sait également diriger les foules et répartir équitablement les dialogues entre chaque personnage, il reste cependant étonnamment sage d’un point de vue réalisation dans le sens où aucun événement de grande ampleur ne e passe : nous vivons la montée du fascisme, la lutte communiste et la Seconde Guerre de loin, isolé sur ces terres d’Emilie. En 45 ans (de la mort de Verdi à la Libération), Bertolucci nous isole dans un domaine certes vaste mais qui finit par nous étoffer un peu, les quelques bouffées d’oxygène offertes par des visions des villes étant bien vite disparues. La mise en scène est un mélange bien étrange, où le meilleur du cinéaste côtoie le pire.

Côté casting, que du lourd : Robert de Niro, Gérard Depardieu et Donald Sutherland dans les rôles principaux, Burt Lancaster et Sterling Hayden dans les rôles secondaires. Là aussi, on peut douter de la manœuvre de Bertolucci qui, bien que voulant rendre hommage à son parti, craint l’échec public et s’octroie donc ces stars montantes et ces monstres sacrés d’Hollywood. Fort heureusement, chacun est au sommet de sa forme, Lancaster et Hayden en particulier. Sutherland est assurément le plus marquant de tous, composant un leader fasciste des plus diaboliques et tarés qu’il soit ; stéréotype certes, mai pas tant que ça, même si certaines scènes poussent le bouchon un peu loin (le meurtre du chat par un coup de tête).

Enfin, impossible de parler de 1900 sans aborder la musique d’Ennio Morricone, sans doute l’une de ses compositions les plus marquantes et des plus efficaces, mélangeant terreur et nostalgie, mélancolie et lyrisme comme rarement. Remarquable, tout simplement.

Pour conclure, 1900, trente ans plus tard, qu’est-ce ? Simplement le cri d’amour d’un artiste envers son pays, se servant de ses convictions comme moteur à son récit, ce qui l’empêche du coup d’atteindre les sommets. Quelques scènes mémorables ne font pas oublier d’autres où tout part dans tous les sens, mais le cinéaste semble n’en avoir cure et il a raison : son film est désormais entré dans la légende du cinéma, à juste titre sans doute car malgré ses défauts il reste un moment de bravoure, d’amitié, de désillusion qui renoue avec le lyrisme des grandes épopées d’autrefois. Un film fleuve qui ne laisse personne indifférent, c’est sans doute ça le plus important…

Note : ***

samedi 21 avril 2007

Roger et moi (Roger and me)


Ce sont les sujets que l’on connaît le mieux dont on parle le plus facilement. Et quand on a une formation de journaliste à la base, ça peut être un atout lorsqu’on décide de réaliser un documentaire. Après tout, à l’époque c’était encore le meilleur moyen de révéler quelque chose qui ne tournait pas rond dans un coin inconnu. Michael Moore a eu cette réaction et a donc décidé de parler un peu de sa chérie de ville natale, Flint, dans Roger et moi.

Tant qu’il y est, et bien qu’il n’y connaisse rien, Moore décide de réaliser un documentaire sur son périple. Il rencontre Kevin Rafferty qui lui apprend à se servir d’une caméra, vend sa maison, investit 50 000 dollars gagnés au bingo et profite du soutien moral – et surtout financier – d’un certain Ed Asner pour financer un projet qui va durer trois ans. Au programme : démarche pour amener Smith à flint et revalorisation de sa ville natale.

On notera la franchise de Moore dès le début de son film : son enfance comme point de départ, preuve que le récit qui va suivre est très personnel – mais aussi très subjectif pour ne pas dire égocentrique. Moore est comme ça, il préfère imposer sa vision des choses plutôt que de raconter à distance. Un bien comme un mal, puisqu’à la pertinence de ses questions mûrement étudiées s’ajoute un avis qui n’écoute que d’une oreille l’opposition.

Pour un début, Moore s’en tire assez honorablement, son seul pêché étant de ne pas savoir à quel saint se vouer : la dénonciation du système capitaliste ou une tentative désespérée de redorer l’image de Flint ? Roger et moi ne fait hélas pas toujours la distinction, épinglant d’un côté les difficultés pour les ouvriers de retrouver du travail à cause de patrons préférant s’installer au Mexique et, de l’autre, des anecdotes d’anciens employés qui se veulent touchantes (la pauvre femme ne vendant que des lapins pour vivre… et nourrir trois chiens). A l’occasion Moore souligne l’indifférence du pays ou du moins son mutisme quant à l’affaire avec des interviews creuses de Miss Amérique ou du chanteur Pat Boone. Belle idée mais qui retombe à nouveau dans le côté « presse à scandale » avec le flic intègre et obligé malgré lui de chasser des familles de leurs maisons non payées.

A sa sortie, le film sera un succès, glanant des récompenses un peu partout et révélant le poil à gratter Michael Moore à la face du monde. Si sa verve n’était pas aussi percutante qu’à l’heure actuelle, elle n’en demeure pas moins intéressante. Pour lui, le film fut cependant un échec, échouant d’une part à revaloriser l’image de Flint, et le siège réservé à Roger Smith lors des premières séances étant toujours resté vide. De plus, Flint n’a jamais vu le film : il n’y existe tout simplement plus aucun cinéma.

Quoiqu’il en soit, Roger et moi a révélé un talent mais n’a pas changé la face du monde pour autant : les grosses entreprises quittent toujours autant les pays riches pour les plus pauvres, où la main-d’œuvre ne dépasse pas un dollar de l’heure. Ne serait-il pas merveilleux cependant que ce genre de film sensibilise notre société afin qu’elle défende bien mieux ses intérêts, que ce genre de film donne à réfléchir à la prochaine génération de patrons des multinationales ? Wouldn’t it be nice ?

Note : ***

mercredi 18 avril 2007

300


Le cinéma regorge de surprises : d’années en années, des innovations techniques sont faites pour offrir des films de plus en plus originaux point de vue visuel. Depuis peu, ce sont les fonds verts (ou bleus) qui ont la cote, vu les résultats obtenus par Captain Sky and the World of Tomorrow ou encore Sin City. Il est donc logique de voir des films comme 300 profiter de ces petites prouesses technologiques pour devenir des films cultes.

Pour quelques années seulement, car 300 est condamné à ne pas traverser les âges. Il est même fort à parier que le film sera jugé « vieillot » d’ici une dizaine d’années, les effets visuels (au nombre de 1300 alors qu’il y a 1500 plans dans ce film, voyez le rapport) étant dépassés depuis belle lurette. En attendant, et après tout c’est là le propos du film, prenons notre pied sur ce trip sauvage sans se soucier du lendemain.

Zack Snyder s’explique d’ailleurs sur son film : « Je ne voulais pas d'un film figé, je voulais faire pénétrer dans l'univers imaginé par Frank [Miller]. 300 n'est pas un drame historique, ni un récit linéaire. Ce n'est pas davantage une reconstitution, c'est une expérience inédite. » avant d’ajouter « Les gens vont au cinéma pour vivre une expérience originale, explique-t-il. C'est ce que nous avons tenté de leur apporter. Qu'il s'agisse des paysages, des batailles, de l'action, de l'architecture, chaque image du film constitue un effet visuel. » Pour cela il s'est appuyé sur une technique baptisée "crush" consistant à "écraser" les couleurs sombres pour valoriser et renforcer leur éclat. Dès cet instant, on sait que le film n’est pas là pour être un documentaire (les formations des hoplites étant d’ailleurs erronées mais visuellement fortes) mais une projection d’un fantasme, celui de la beauté absolue (des acteurs bodybuildés, un Xerxès interprété par le mannequin Rodrigo Santoro, un ciel orage la plupart du temps) mélangée à la violence la plus crue (les scènes de combats dantesques avec des bouts de jambes ou de têtes un peu partout). Le scénario est prétexte à une enfilade de bastons toutes plus violentes les unes que les autres et on accepte sans honte une telle proposition.

On accepte jusqu’à un certain point puisque la majorité des scènes misogynes (dont personne ne connaît la vraie paternité, les uns accusant la production les autres criant que c’est l’idée de Snyder) de la Reine voulant sauver son Roi de mari coûte que coûte plombent un peu le film, même si le personnage de la Reine s’en trouve plus étoffé et apporte cette touche de féminité à un film définitivement masculin (voire par moments limite primaire). Est-ce que ces scènes forcent Snyder a en sacrifier d’autres pour ne pas dépasser la durée standard du blockbuster, toujours est-il qu’on est un peu amer de ne pas profiter plus de certains éléments de l’histoire, ne serait-ce que l’Exécuteur (qui aurait pu être jouissif en combat) ou l’attaque des éléphants vite expédiée. On aurait également apprécié un petit règlement de compte l’arme au poing entre Leonidas et Ephialtes mais bon, l’ensemble est assez sanguinolent pour nous plaire.

Sanguinolent est peut-être un euphémisme d’ailleurs, tant la rage contenue dans les batailles se fait ressentir de bout en bout. C’est un massacre antique dans les règles, la bonne vieille lance et le bon vieux glaive dans la face de l’adversaire. Snyder semble d’ailleurs s’éclater sur ces plans, du travelling latéral de Leonidas à travers ses ennemis au rhinocéros déchaîné chez l’adversaire. Il savoure tellement ses moments qu’il les stylise à mort, jouant avec les ralentis/accélérés à profusion, rendant toute décapitation comme un moment de beauté gore. Clairement, Snyder voulait faire ces scènes de batailles à sa sauce, et il savoure autant le sang que ces zombies dans son Armée des morts. En revanche, on regrette que Snyder, qui avait su se détacher de l’influence de Romero dans on premier film, ne parvient pas ici à éviter des références un peu lourdes bien que jolies à Gladiator (le champ de blés au soleil couchant) ou encore au Seigneur des Anneaux (les éléphants dix fois trop grands, les mages bombardiers, les Immortels défigurés au masque kabuki). Inversement, il ne sombre pas dans le travers de Sin City à savoir rendre son film trop BD et pas assez cinématographique. Reste également d’autres plans visuellement puissants comme la tempête, les milliers de soldats de Xerxès sur la plage, le soleil caché par un nuage de flèches ou encore un mur immense de cadavres tombant sur les guerriers perses et, non des moindres, la découverte de l’Arbre des morts.

Côté acteurs quasi que des inconnus, ce qui contribue au plaisir du film (comme si les corps de rêves, masculins ou féminins, ne suffisaient pas) puisqu’on n’attend rien de spécial de leur part. Si dans l’ensemble les prestations sont honorables, d’autres s’en tirent moins bien (Dominic West, Rodrigo Santoro par moments) que d’autres, qui impressionnent vraiment : Lena Headey, aussi belle que convaincante et surtout Gérard Butler, au charisme animal plus qu’attrayant et qui tente de rendre son personnage humain, tour à tour Spartiate pur et dur, père de famille attentionné, mari aimant et chef autoritaire mais non dénué d’humour. Il porte clairement le film sur ses pas du tout frêles épaules, même si la tension baisse par moments et laisse apparaître non plus Leonidas mais un acteur jouant Leonidas. Enfin, pas trop grave.

Pour terminer, soulignons le travail fait sur le son, aussi important que l’image, dans le bruit lourd des armes qui s’entrechoquent autant que dans la musique, omniprésente, de Tyler Bates (déjà actif sur l’Armée des morts) qui souffre aussi d’une petite influence de Hans Zimmer mélangée avec du Nine Inch Nails. Intriguant mais efficace.

Un léger manque de personnalité et surtout un scénario beaucoup trop prévisible et formaté empêchent le film d’accéder au rang de chef-d’œuvre mais pas à celui de film culte, objet visuel époustouflant (bien que pas exempt de défauts) et animal, gros trip sauvage, sombre et violent où les cadavres s’entassent de manière stylisée. Du péplum tendance gore, un film nourri à l’adrénaline et qui sent bon la sudation et la sang, du divertissement décérébré et haut de gamme ; après tout, c’est aussi ça le cinéma.

Note : ****

dimanche 15 avril 2007

The Fountain


On l’attendait le retour du prodige Aronofsky, surtout avec son projet ambitieux d’une histoire d’amour éternelle sur trois époques. Et la difficulté du film à se monter car trop « spécial » pour les producteurs renforçait notre besoin de découvrir le fin mot de l’histoire. Alors forcément, quand on découvre The Fountain, c’est mitigé.

Mitigé car le film n’atteint pas tous ses objectifs et, surtout, ne répond pas aux ambitions du cinéaste. Celui-ci s’explique : « Au printemps 1999, ça commençait à me démanger. Requiem for a Dream était fini, mais pas encore sorti. J'avais déjà hâte de me remettre à la machine à écrire. Le XXIème siècle s'approchait dangereusement, et je me demandais à quoi pourrait bien ressembler la SF,maintenant que nous étions le Futur. L'immortalité de mes 20 ans s'éloignait et les histoires évoquant la quête de la fontaine de jouvence me tournaient dans la tête. D'un seul coup, la vie éternelle montrait des failles, des gens que j'aimais faisaient face aux vrais problèmes de la vie, de la mort et de l'amour. Je me suis mis à écrire innocemment, sur ce que je ressentais et sur ce dont je faisais l'expérience. J'étais loin de me douter alors que mon équipe et moi-même allions passer l'essentiel de nos trentaines à nous battre avec Hollywood pour que The Fountain puisse se faire. »

Bien que scindées, les trois histoires peuvent être analysées séparément. La partie du passé, époque de l’Espagne sous l’Inquisition, est certainement la plus aboutie techniquement. Ses décors, ses costumes et l’aspect aventure en font l’épisode le plus passionnant du film, mélange d’esthétisme et de violence. Les tortures de l’Eglise ne trouvent écho que dans la quête absolue du conquistador Tomas de trouver l’arbre de vie, « The Fountain » pour sauver sa Reine, celle qu’il aime comme un damné. Le temple aztèque, la bataille qui précède et la lutte entre Tomas et le chamane sont tout simplement admirables. L’ambiance est sombre, presque glauque, la folie guette les hommes et l’ensemble marche à merveille.

La partie du présent est très certainement la moins réussie, d’une part trop longue, d’autre part trop prévisible. Cette lutte de Tommy contre le cancer qui tue à petit feu sa femme, lutte qui l’empêche de savourer les instants présents avec elle, est d’une banalité qui fait frémir de la part d’un cinéaste de cette envergure. Le pire, c’est que c’est elle la plus longue.

La partie futuriste est quant à elle la plus spirituelle, sorte de 2001 du réalisateur. Bien que composée d’une majeure partie d’effets spéciaux, ceux-ci n’enlèvent rien à son charme et le côté mystérieux planant tout au long des scènes renforce l’idée d’une quête philosophique et métaphysique de l’amour et de l’immortalité.

Hélas, le final de tout ça vire au guignolesque, une débauche d’effets spéciaux et un recoupement intemporel des histoires entre elles qui tire trop sur la longueur et, surtout, flirte avec l’incompréhensible pour, à nouveau, mystifier le spectateur. Sauf qu’à force, on lâche prise, on laisse aller le film et on le regarde avec distance, ce qui n’est pas le but.

Et c’est bien dommage, car le film a de l’envergure. Outre l’amour, c’est carrément l’immortalité et ses conséquences qui est abordé ici. Le cinéaste l’explique d’ailleurs très justement : « Les gens prient pour être jeunes et ils occultent le fait que la mort est une part essentielle de la vie. Les hôpitaux dépensent des sommes folles pour garder les gens en vie. Mais nous sommes tellement préoccupés par notre obsession du corps que nous en négligeons l'esprit. C'est l'un des thèmes centraux que je voulais aborder dans ce film : la mort nous rend-elle humains ? Si l'on pouvait vivre éternellement, perdrions-nous notre humanité ? »

Les comédiens sont également très bons, Hugh Jackman plus que tout. Si à ses débuts on pouvait le considérer comme un bellâtre, il prouve définitivement après ses collaborations avec Woody Allen ou Christopher Nolan qu’il a des capacités immenses, comme ici où il parvient à jouer trois caractères différents pour un même personnage. Son calme bouddhiste contraste avec sa haine justicière de conquistador, et plus d’une fois l’émotion l’étouffe et il se laisse aller, ce qui a pour effet de bougrement nous convaincre. Finalement, on ne regrette pas que Brad Pitt et Cate Blanchett aient quittés le projet (même si cela a eu des conséquences sur la préparation, du film, diminuant son budget de 75 à 35 millions de dollars).

Si Aronofsky avait pu exploiter pleinement ses idées, et non pas se limiter à un spectacle visuel et pseudo-philosophique calibré grand public, son The Fountain aurait pu être son chef-d’œuvre, son 2001 : l’odyssée de l’espace à lui ; en dépit, il reste un agréable moment, par intermittence mais un agréable moment.

Note : **

mercredi 11 avril 2007

Apocalypse Now


Les films de guerre sont souvent parsemés de scènes de batailles incroyables, de question d’honneur et de fraternité entre soldats quand une histoire d’amour brisée n’est pas en toile de fond. Voilà un résumé bien stéréotypé du genre, qui compte dans ses rangs des cinéastes qui ont forgé sa légende, à l’instar de Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now.

Prévu pour durer 6 semaines, le tournage s’étale sur 16 mois, entre mars 1976 et août 1977. Situés aux Philippines, les plateaux de tournage subissent en vrac un ouragan, la crise cardiaque de Martin Sheen (cachée à la production par un Francis Ford Coppola terrifié à l'idée d'un arrêt du film) et des problèmes de drogues divers et variés. Décrit par de nombreux témoins comme de plus en plus mégalo et paranoïaque au fur et à mesure du tournage, Francis Ford Coppola investi une grande partie de son argent personnel dans l'aventure, menace à plusieurs reprises de se suicider et perd plus de 40 kilos. Le film bénéficie aussi de l'aide logistique accordée par le dictateur Ferdinand Marcos, qui dirige alors le pays. Le plus beau reste à venir : Brando, qui coûte une fortune et sur qui l’espoir du film repose, arrive en créant la surprise : énorme alors que son personnage doit être mince, il ne connaît ni son texte ni l’œuvre de Conrad ! Coppola fait répéter comme un dingue l’acteur avant de léguer la charge de la réalisation de ses scènes à Jerry Ziesmer, l’assistant-réal. Et ce n’est pas fini ! C’est l’heure du montage, et Coppola galère : 200 heures de rushes, des versions maniées et remaniées, bref le montage dure trois ans. Pour que son récit soit plus clair, Coppola fait appel à Joe Estevez, frère de Martin Sheen, pour en faire la voix-off. Beaucoup des dialogues sont à refaire aussi car inaudibles. Enfin, le film est prêt et est projeté à Cannes… où c’est l’hallucination collective, à tel point que le film partage la Palme d’Or avec Le Tambour de Schlöndorff. C’est le début de la gloire : 15 récompenses et 32 nominations à travers le monde et un statut de film culte sauvent le film du naufrage. Coppola n’est pas fini pour cette fois, mais à titre personnel il est traumatisé : il déclare en outre à Cannes que « Ce n'est pas un film sur le Vietnam, c'est le Vietnam ! », et ajoutera quelque temps plus tard « Après Apocalypse Now, j'ai réalisé que je ne serais plus jamais un jeune réalisateur. »

Il faut dire que le film n’a vraiment rien de classique : plus qu’un film de guerre, c’est une métaphore sur la vie, la mort, la souffrance, bref un voyage initiatique vers la connaissance de soi et du monde, comme dans l’œuvre de Conrad. Le côté psychédélique est renforcé par cette b.o. majestueuse, emprunte de musiques envoûtantes ou de la participation des Doors avec leur fameux This is the end sur lequel s’ouvre le film. D’ailleurs, en parlant de cette célèbre séquence où une forêt prend feu sous l’effet du napalm, ne peut-on pas y voir un avertissement comme étant un rêve de Willard ? Souvenez-vous, le temps de deux surimpressions, les hélicoptères laissent place au visage de Willard et aux pâles d’un ventilateur, comme si simplement Willard se souvenait de ce qu’il avait vécu et que, par la suite, nous vivions son cauchemar avec lui ; après tout, il est l’unique narrateur…

Le film s’inscrit dans le contexte de son époque en laissant une large place à la drogue, la sexualité non pas comme vecteurs de liberté mis plus comme une dépendance ; ironie de la part d’un cinéaste réputé libidineux et toxicomane à l’époque. Toujours est-il qu’à travers ces personnages types, du surfeur californien au jeune noir des quartiers pauvres, c’est l’Amérique entière que sonde Coppola, dénonçant le gouvernement d’avoir envoyé l’avenir de son pays dans un enfer autant physique que spirituel : Lance, le seul survivant du groupe, n’est-il pas bloqué dans un trip sans fin, dû à un abus de LSD ? Là où Coppola faiblit un peu c’est dans le discours de la plantation française, dénonçant les erreurs de la guerre du côté français en Indochine comme celui des Américains au Vietnam mais de manière trop dialoguée, via un débat entre gens de la haute mais qui hélas se laisse emporter par leurs émotions et parlent trop et trop vite, ce qui empêche le spectateur d’emmagasiner toutes ces informations alors que, de toute évidence, elles sont pertinentes.

C’est ce côté spirituel et moralisateur qui a plu, dénonçant de manière lyrique ce que Voyage au bout de l’enfer décrivait sans concession : la perte de repères et surtout de sa propre identité. L’avantage de Coppola c’est qu’en plus d’avoir cet esprit intellectuel, il a aussi cette notion d’esthétisme et de grandeur qui font d’Apocalypse Now un chef-d’œuvre : alors que tout le monde lui conseillait de la supprimer, il laisse cette scène devenue mythique de l’attaque des hélicoptères sur fond de Wagner ; il tire profit du physique énorme de Brando pour en faire une sorte de Bouddha de la jungle, renforçant l’aspect philosophique du film ; il n’est pas dénué d’un humour cynique consistant à faire engueuler des surfeurs sous le feu de l’ennemi ; enfin, dans la version Redux, la séquence très érotique entre Martin Sheen et Aurore Clément est filmée de manière quasi surnaturelle, psychédélique.

Le montage rend justice au film, privilégiant un rythme lent sur la durée si ce n’est la fameuse attaque des hélicoptères, réglée au millimètre près. Le reste du temps, le film pénètre en nous comme il se doit, comme Coppola le voulait, t nous empêche de quitter le film ne serait-ce qu’un instant au risque de manquer quelque chose d’essentiel. Il y a ce côté hypnotique dans le film, et ça les malheureux qui se sont arrachés les cheveux durant trois ans l’ont compris.

Enfin, que serait le film sans ses acteurs, tous plus surprenants les uns que les autres. Martin Sheen, héros du film, trouve là son meilleur rôle, proche de la réalité puisqu’il était réellement alcoolique à l’époque (la scène où il brise un miroir s’est réellement produite, et il a agressé physiquement Coppola un jour sous l’effet de la boisson) et tire implicitement profit de cette situation ; sa lente descente aux enfers, à la recherche de la vérité sur soi et sur le monde est aussi incroyable, finissant par perdre ses repères et ne plus savoir ce qu’il doit faire face au monstre sacré Kurtz, interprété par un vrai monstre sacré Marlon Brando, qui comme dit précédemment ne connaissait rien de son rôle ou de l’histoire et qui, pourtant, l’espace de quelques minutes, parvient à bouffer 3 heures de film par sa simple présence, par l’aura surnaturelle qu’il dégage et son physique impressionnant, où le simple fait de passer sa main sur son crâne rasé et transpirant est devenu une scène culte alors qu’il ne se passe rien. Rendons quand même justice au reste de l’équipe, de Laurence Fishburne (qui a menti sur son âge pour pouvoir être pris) à Frédéric Forrest sans oublier deux éléments incontournables : un Dennis Hopper s’autoparodiant presque par rapport Easy Rider en photographe junkie mais qui en a marre de l’être et un Robert Duvall inoubliable en officier déjanté, accro de surf jusqu’à en faire faire à se soldats sous le feu ennemi, sûrement officier de cavalerie dans une autre vie durant la guerre de Sécession (il n’y a qu’à voir le départ des hélicos avec un clairon sonnant la charge) et depuis devenu un personnage culte aux répliques tout aussi marquantes (« J’aime sentir l’odeur du napalm le matin, l’odeur de la victoire »).

Une œuvre dantesque, métaphysique, intellectuelle, baroque, violente, d’auteur qui a transformé Coppola en intouchable, en génie clair et confirmé mais aussi en cinéaste adulte comme il le dit lui-même, et un film qui a marqué plus d’une génération carrément l’Histoire du cinéma. Pour le plus grand bonheur des cinéphiles et des autres.

Note : *****

dimanche 8 avril 2007

Blanche-Neige, la suite

23 longues années que Picha, roi du politiquement incorrect dans les dessins animés, n’avait plus donné signe de vie côté cinéma. Les amoureux de la provoc attendaient donc son retour avec impatience… Dommage que cela soit avec Blanche-Neige, la suite.

Picha, c’est un peu l’antisocial de l’animation, le rejeté, la cinquième roue du carrosse parce que Picha, c’est plutôt « nichon-caca-partouze » que « un jour mon prince viendra ». Quelques titres en vrac : Tarzoon, la honte de la jungle, Le chaînon manquant ou encore Le Big Bang. C’est d’ailleurs là son dernier film, en 1984. Déjà à l’époque, Picha est démangé par l’envie de revisiter le côté nunuche des films de Disney, et plus particulièrement cette prude et innocente Blanche-Neige. Mais comment ? Impossible de trouver un bon angle d’attaque, alors on réfléchit, on travaille pour la télévision (plusieurs spots publicitaires et séries animées ZooOlympics, ZooCup ou Les Jules… chienne de vie) pour enfin revenir sur le devant de la scène en 2007 avec Cécile de France et Jean-Paul Rouve à ses côtés pour égratigner le mythe de notre enfance. Hélas, c’est la déception.

C’est toujours rigolo de causer sexe, de voir des nains faire des doigts au Prince Charmant, chaud lapin ne pouvant trouver sa la-pine pour le soulager, Blanche-Neige étant trop innocente, la Belle au bois dormant se payant un orgasme en solitaire et Cendrillon malgré les seins qui pointent pas foutue de rester une femme après minuit. C’est rigolo mais c’est super léger, et à force ça devient lourd. C’est vrai quoi, c’est sympathique de vouloir causer poils et tétés mais à l’heure des gras American Pie, Sexy Movie ou des pubs pour Yoplait, on en a déjà vu tellement de strings, de jambes en l’air et de bouts de fesses qu’il en faut plus pour nous choquer. Même en Amérique le puritanisme a dépassé ce stade, y a qu’à voir.

Et c’est con (jeux de mot, attention) parce que le dessin est quand même nickel, n’ayant vraiment rien à envier aux grosses prods d’outre-Atlantique. L’idée des personnages est sympa aussi, ces nains verts libidineux face à la Bonne Fée plus vraiment bonne même si toujours chaude du soutif, et quelques règlements de compte avec une Belle nympho et sa Bête, le Chaperon Rouge qui sort pas sa grand méchant Loup de Mère-Grand, etc.

Le hic, définitivement, c’est que l’humour Picha des années 70-80 est resté l’humour Picha des années 70-80, sans tenir compte de l’évolution des mentalités. Il est loin le temps où une Cendrillon aux tétons qui dépassent affole les esprits, où les allusions sexuelles font rire honteusement et où les chansons causant de sodomie et de branlette font tressaillir les mères de famille : Blanche-Neige, la suite n’est même plus pour les gosses, déjà rôdés à toutes ces cochonneries et pire encore. Et comme si ça suffisait pas, c’est long, sans rythme, gras, pas drôle et surtout propose une fin dégoulinante de bonheur et de joie au Royaume des Rêves de Blanche-Neige et de son charmant Prince, dont l’angoisse de savoir s’il va dépuceler sa dame est le dernier ressort d’un dessin animé que même les nostalgiques de Mai 68 ne trouveront pas à leur goût. Même pas trash, même pas drôle, mais honteusement dépassé.

Note : *

jeudi 5 avril 2007

Bobby



Issu d’une famille d’acteur (fils de Martin Sheen et frère de Charlie Sheen), Emilio Estevez nous avait habitué à des seconds rôles dans des films pas toujours marquants ; d’autant plus grande donc est la surprise de le voir s’atteler à la réalisation, et d’un film choral et à sujet politique qui plus est avec Bobby sur Robert Kennedy.

Tout d’abord, puisque c’est ce qui saute directement aux yeux, petit mot sur le casting ; pour un film à qui il a fallu sept ans avant de se monter, on peut dire qu’il n’a pas eu à se plaindre ! Evidemment, les interprétations sont de niveaux inégaux, certain(e)s s’en sortant mieux que d’autres : magnifiques Demi Moore et Sharon Stone, surprenant Emilio Estevez en mari las de la vie tandis qu’Ashton Kutcher joue les hippies avec tout ce que ça comporte de stéréotype démentiel (rien de péjoratif là-dedans) ; on regrettera en revanche un Hopkins trop rare et en retrait ainsi qu’un William H. Macy qu’on a connu plus inspiré.

Evidemment, avec ce genre de film, difficile de ne pas songer à certaines œuvres de Robert Altman, Short Cuts en tête qui analysait aussi le côté sombre de l’Amérique à travers des tas d’histoires qui s’imbriquaient entre elles. Ici, via des histoires elles aussi inégales entre elles, Estevez analyse l’Amérique des années 60, l’Amérique raciste, sexiste, bouffée par le Vietnam et la paranoïa ambiante, accentuée par l’invasion des drogues dures. En soi une bonne chose, qu’Estevez aborde de manière plus ou moins directe mais avec sobriété ; là où ça coince, c’est dans ce parti pris de Kennedy, canonisé sauveur de l’Amérique s’il avait pu être élu, qui aurait poursuivi la lutte de Martin Luther King et autres combats pour un monde juste et en paix. Inversement, le film peut être considéré comme une charge contre le gouvernement de Nixon et plus récemment Bush, deux gouvernements semblables, et l’efficacité est là mais s’estompe peu à peu puisqu’en réalité, ce n’est absolument pas le moteur de l’histoire du film.

Point de vue technique, Estevez s’étant déjà fait la main sur quelques téléfilms auparavant, on a pas trop à se plaindre, la réalisation étant plus que correcte bien qu’un peu impersonnelle. Il manque justement ce ton acide qu’on aurait aimé voir, cette approche plu radicalement cynique de la situation. Le rythme aussi, hélas, n’est pas forcément au rendez-vous, le film tirant un peu parfois en longueur et surtout se laissant aller dans un final prévisible : la panique générale après l’assassinat de Kennedy avec en fond sonore un discours de ce dernier prônant la paix et l’égalité. Ca se veut fort, c’est juste un peu gros pour pleinement marcher.

Un exercice de style impressionnant sur papier, qui hélas se laisse un peu trop aller à la subjectivité dans le concret pour vraiment fasciner. Estevez a du potentiel qui ne demande qu’à être pleinement exploité, et le mieux serait encore qu’il ait un peu plus de rigueur dans son écriture. A ce moment-là, il pourrait en surprendre plus d’un.

Note : **

lundi 2 avril 2007

Sleepers


Les Américains sont des masochistes invétérés : plus les sujets abordés au cinéma démontent leur façade de gens biens propres sur eux, plus ils aiment et en redemandent. Les cinéastes, eux, s’en donnent à cœur joie de signer des films « polémiques » pour faire croire que ce sont des auteurs. C’est de cette manière que naissent des films comme Sleepers, histoire de pédophilie, ode à l’amitié et bénédiction de vengeance meurtrière…

Ne tournons pas autour du pot, le fond de l’histoire laisse sceptique : peut-on vraiment tuer pour une juste cause ? Inspiré du livre autobiographique de Lorenzo Carcaterra, que les institutions pénitentiaires des USA dénoncent comme un tissu de mensonges, le scénario n’éclaire guère le sujet : oui, le salaud qui a fait ça méritait une sentence, mais ne devait-elle pas être légale ? En dépit, le film prône l’amitié et l’innocence de l’enfance, tout en dénonçant la pédophilie visiblement fréquente au pays de l’Oncle Sam.

Levinson a d’ailleurs la pudeur d’occulter ces scènes qui auraient été insoutenables de toute manière. Il préfère ce concentré sur la manière implacable dont la juste vengeance des quatre amis se préparent. Comme cité en exemple dans le film, c’est du Monte Cristo en plein. Si le film tarde cependant à démarrer, c’est pour mieux démonter un à un les rouages d’un système défaillant, accusant clairement les institutions correctionnelles en les désignant non comme aides aux délinquants mais comme bonus (voir raison) de leur déviance.

On regrettera deux petits éléments cependant : d’une part, au niveau du scénario, une certaine « hollywoodisation » qui consiste à insérer un semblant de relation intime entre Jason Patric et Minnie Driver. Bien qu’on ne remette pas cette « liaison » en doute, on a un peu de mal à vraiment cerner son importance dans le récit, tout comme cette idylle gâchée entre les personnages de Brad Pitt et Minnie Driver. L’autre reproche revient à la mise en scène de Levinson, qui aussi sobre puisse-t-elle être lorgne un peu trop du côté de chez Scorsese pour sa description de l’Amérique sixties. Un léger manque de personnalité qui contraste un peu avec le reste du film, d’autant que Levinson n’est pas un amateur.

L’élément le plus frappant dans ce film réside évidemment dans son casting de fou : Robert de Niro, Dustin Hoffman, Kevin Bacon, Brad Pitt, Jason Patric, Minnie Driver, Vittorio Gassman, rien que ça ! Chacun parvient à tirer son épingle du jeu d’ailleurs, certain (Bacon, Gassman) mieux que d’autres (Patric, Pitt) mais tous restent agréables à regarder. On regrettera toutefois les performances un peu en retrait (et légèreté) des monstres De Niro et Hoffman mais bon, rien que leurs présences suffisent à notre bonheur.

Un film de facture honnête, un brin longuet, quelques facilités dans le scénario et une mise e scène qui n’est pas exempte de tout reproche ; pourtant, c’est un formidable plaidoyer pour la fidélité en amitié, pour le sens de la justice et une attaque directe et sans concession à un système défectueux et dangereux. Du cinéma pop-corn engagé comme on les aime.

Note : ***