lundi 19 septembre 2005

Sueurs froides (Vertigo)


Un des films les plus étranges, pour moi, d’Alfred Hitchcock que ce Vertigo.

En effet, le maître du suspens quitte quelques instants la réalité, bien qu’il la déformait souvent au profit de situations invraisemblables, pour s’introduire dans le fantastique : cette mystérieuse blonde est-elle réellement la réincarnation d’une femme ayant vécu des années auparavant ?

Bien sûr, ceci n’est que prétexte à une série de fausses pistes comme les créait si bien le maître Hitchcock, et vers la moitié du film on comprend enfin le vrai sens de l’intrigue ; c’est peut-être là que le film déstabilise le spectateur, contrairement à La mort aux trousses : dans ce dernier, on pouvait encore se demander comment Cary Grant allait rétablir sa vie, ici le sort en est jeté pour James Stewart, quoi qu’il fasse.

A noter d’ailleurs, cette interprétation transcendante de Stewart, qui n’incarne pas son personnage mais EST cet ancien flic souffrant de vertiges. C’est ainsi qu’au début, on le sent sceptique quant à cette histoire, preuve avec sa filature pas vraiment discrète ; puis interviennent ses problèmes de vertiges qui le replongent dans une haine envers lui-même. Puis quand il retrouve l’amour de sa vie, le voilà perdu cette fois dans les vertiges de la passion.

Parce que c’est ça Sueurs froides, c’est un film sur les vertiges quotidiens, provoqués par notre perception parfois faussée de la réalité : qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Comment les choses se sont-elles vraiment passées ? Y a-t-il une vie après la mort ? Et perdre un être cher, n’est-ce pas là une certaine forme de mort ?

Bien sûr, Vertigo est aussi un sommet technique dans la carrière d’Hitchcock, non seulement au niveau de son sens du cadrage et de la composition de plan, mais aussi de la photographie qui confère au film une aura mystique et, surtout, pour cet effet repris des centaines de fois depuis : la distorsion de l’espace. En effet Hitchcock se demandait comment faire passer un vertige à l’écran de manière subjective, et c’est ainsi qu’il eut l’idée fabuleuse de filmer une maquette avec un double mouvement caméra-zoom (en gros, un zoom arrière pendant que la caméra faisait un travelling avant) ce qui créait à l’écran une perte de perspective saisissante ; depuis, cette technique a surtout été utilisée pour montrer une distance par rapport à la réalité, notamment chez Kassovitz (La haine) et surtout chez Scorsese (Raging Bull, Les affranchis…).

Un film signé Hitchcock était souvent synonyme de grand film ; ici, Sueurs froides montre que Hitchcock est probablement le plus grand cinéaste de tous les temps. Un immense chef-d’œuvre qui fini par donner… le vertige…

Note : *****

La rose pourpre du Caire (The Purple Rose of Cairo)


Immense film du génial Woody Allen que cette Rose pourpre du Caire.

Tout commence donc dans un New-York des années 30, en pleine crise socio-économique où Cecilia trouve refuge à une vie triste et un époux exécrable dans un cinéma de quartier. Mais voilà qu’un jour, un héros de film sort de l’écran et enlève Cecilia…

Vous l’aurez compris, Allen privilégie cette fois le fantastique pour lancer son histoire. Pas de philosophie, pas de métaphysique, pas de sexe, même pas de Woody acteur dans ce film, simplement une histoire d’amour.

Enfin, des histoires d’amour pour être précis. En effet, il y a d’abord l’amour entre Cecilia et le cinéma, auquel elle se rend tous les soirs ; il y a ensuite l’amour entre Cecilia et Tom Baxter, le personnage sorti de l’écran ; il y a surtout l’amour de Woody Allen pour le cinéma d’antan.

Il est difficile de ne pas observer l’amertume de Woody Allen dans ce film : lui qui rejetait à l’époque les cassettes vidéos (et aujourd’hui, son animosité s’est tournée vers le support DVD…) estimait qu’un film ne pouvait, ne devait être vu qu’au cinéma, dans cette ambiance feutrée et où chacun oubliait sa vie l’espace d’un film. C’est ainsi que durant tout le film, le cinéma tient une place prépondérante dans la vie des gens.

Bien sûr, Allen est et reste un comique, et les moments drôles sont légions dans ce film ; on retiendra peut-être plus particulièrement ces disputes entre public et acteurs à l’écran ne pouvant continuer le film sans leur collègue : original et jubilatoire !

Par moments également, Allen pose une réflexion sur le cinéma en général : que serait un film sans acteurs ? Les scénaristes sont-ils vraiment les dieux des films ? Un rôle peut-il compter tant que ça dans la suite de la carrière d’un acteur ? Des questions auxquels Woody ne nous convie pas toujours mais auxquelles il répond avec tant de grâce et d’humour qu’on lui pardonne. Là où Woody nous pousse à bout, c’est dans son final : toute cette histoire était-elle réelle ou Cecilia s’est-elle simplement endormie durant le film pour se réveiller au film suivant ?

Dans leurs rôles, les acteurs sont tout simplement fabuleux : Mia Farrow en spectatrice acharnée et rêveuse est sublime ; Jeff Daniels dans un double rôle quasi-opposé est génial, à la foi personnage fictif à l’esprit aventurier et acteur un peu opportuniste ; enfin, Danny Aiello en époux sauvage et libertin est le stéréotype même de l’immigré Italien des années 30, mais un stéréotype tourné à la sauce Woody ce qui le rend plus caricatural et drôle que méchant.

Reste donc Woody Allen à la plume et à la caméra, aussi habile et maître de son art dans l’un comme dans l’autre ; c’était encore la belle époque d’Allen et ça se sent. On regrettera juste de ne pas le voir à l’écran cette fois…

Un film magique et poétique, nostalgique et comique où le talent de Woody Allen est, une fois de plus, confirmé ; ce qu’il faudrait maintenant, c’est qu’il refasse des films de cette trempe…

Note : ****

jeudi 15 septembre 2005

Conversation secrète (The Conversation)


Un film quasi-inconnu et pourtant essentiel dans la filmographie de Francis Ford Coppola que cette Conversation secrète.

Voici donc Harry Caul, pro de l’écoute discrète, engagé pour espionner un couple dans la rue. Se rendant compte que les conversations sont banales, Caul se met à douter, et en analysant plus profondément la bande il découvre la préparation d’un meurtre…

Difficile de ne pas faire le rapprochement avec l’affaire du Watergate à travers cette attaque de l’espionnage auditif ; en faisant cela, Coppola montre qu’il se désintéresse de la politique, que seul son art compte : c’est l’explosion d’une liberté artistique fondamentale initiée par John Cassavetes dans la même décennie.

Dans le rôle de Caul, on retrouve un Gene Hackman magistral, tout en paranoïa et intériorisation : spécialiste de la communication, Caul n’est qu’un être introverti incapable de rester zen en public, de s’intéresser aux autres ni même d’aimer. Au fil du film, le voici plongé dans le doute, dans la douleur du passé, dans une paranoïa profonde et aigue : grâce à ce Harry dans tous ses états, Gene Hackman trouve probablement le meilleur rôle de sa carrière.

Dans sa réalisation, Coppola n’innove pas beaucoup… en apparence. Si les néophytes accuseront une mise en scène classique pour ne pas dire académique, on pourra au fil des visions remarquer ça et là des plans d’une incroyable maîtrise, à la fois intelligents et sophistiqués, symboliques et réglés au millimètre. Coppola se lance aussi souvent dans la métaphore, faisant souvent interagir l’endroit où se trouve Caul avec son état d’esprit ; un plan fantastique à cet égard reste ce plan final, où Caul joue du saxophone dans son appartement qu’il vient de réduire en miettes : le parallèle avec son état d’esprit (autodétruit) est flagrant et sublime, convenant parfaitement avec la métaphore d’un final relativement surprenant et tout à fait symbolique vis-à-vis du mode de vie de Caul…

Dans ce film sur la communication, Coppola souligne une forme exacerbée d’autisme des gens dits « normaux » ; la sociologie, thème de prédilection pour Coppola, e voit donc au centre de ce film qui, comme cité plus haut, à une connotation politique flagrante.

Un immense chef-d’œuvre donc, film phare et intense, peu spectaculaire et intelligent (bref en marge de la plupart des films de ce style) qui prouvait une fois de plus le génie de Coppola ; Cannes ne s’est pas trompé en l’honorant d’une Palme d’Or, aux spectateurs actuels de lui rendre hommage en le redécouvrant avec un œil qui a également besoin de voir des bons films américains de temps en temps…

Note : *****

dimanche 11 septembre 2005

Intolerance


Intolérance, ou le LE film-fondateur du cinéma contemporain, ni plus ni moins !

Il faut dire qu’à l’époque, D.W. Griffith connaît quelques soucis populaires : si son film précédent Naissance d’une nation a été vivement applaudi par les critiques (et est d’ailleurs considéré comme le vrai film phare du cinéma, qui posa toutes les bases du cinéma moderne), on ne peut pas en dire autant du public qui, même s’il remplit les salles ne manqua pas de souligner le caractère raciste du film (apologie du Sud pendant la Guerre de Sécession et naissance du Ku Klux Klan. Condamné ainsi par la communauté noire, interdit dans 12 états américains et exigeant de Griffith des coupes, la situation était tendue ; c’est pourquoi Griffith réalisé Intolérance pour se faire pardonner, devenant d’ailleurs le film le plus cher de l’histoire du cinéma à sa sortie en 1916.

Pour illustrer son propos, Griffith choisi quatre histoires :
1/ en 1914, un ancien malfrat se voit condamner à la peine capitale pour un crime qu’il n’a pas commis
2/ la vie de Jésus
3/ le massacre de la Saint-Barthélemy
4/ la prise de Babylone par l’armée de Cyrus en 539 A.C.N.

Inutile de souligner à quelle point les reconstitutions furent méticuleuses… Eh bien si cela mérite d’être souligné, car les décos sont vraiment démesurés : la reconstitution de Babylone est véritablement stupéfiante de réalisme ! On en vient presque à ne plus sentir que c’est un décor mais à croire que c’est la vraie ville antique.

Bien sûr, les costumes aussi sont fabuleux, semblant tout droit sortis de leurs époques respectives pour figurer dans ce film. On comprend déjà beaucoup mieux le coût du film.

Et pourtant nous ne sommes qu’au début de nos surprises. Si les reconstitutions sont fantastiques, il faut souligner le nombre de figurants qui se trouve parfois à l’écran ; ainsi durant la première bataille de Babylone un combat entre des milliers de soldats se déroulent sous nos yeux ! Et en 1916, impossible de faire appel aux effets spéciaux de qualité donc les cascades et autres attaques en masse sont bel et bien réelles. A noter aussi le réalisme saisissant pour l’époque des massacres : de l’épisode de Babylone apparaissent des décapitations, de celui de la Saint-Barthélemy des meurtres d’enfants et de jeunes filles transpercées par les sabres, de l’épisode contemporain l’intervention musclée de la police durant la grève, digne d’un Germinal.

Intolérance se profile donc comme un film fleuve (2h45) d’un réalisme incroyable pour l’époque ; mais ce n’est pas tout.

En effet, le film se pose aussi en message philosophique, en exploitant à la perfection ses thèmes de l’intolérance humaine : surtout religieuse, elle peut aussi être sociale et avoir à chaque fois des conséquences graves. Il faut par ailleurs souligner la magnifique poésie qui ressort du final, où Griffith imagine un monde sans intolérance ; pas mal pour un raciste latent.

Bien sûr, le lien entre ces quatre histoires, une jeune femme berçant son bébé, est un message métaphorique de tout beauté : on peut voir dans les mouvements du berceau une récurrence qui peut s’appliquer à l’Histoire, ce que vient souligner les quatre épisodes d’intolérance prenant souvent la même origine (avidité, religion, jalousie).

Mais comme si tout cela ne suffisait pas, Griffith réalise le triplé magique en rendant son film mémorable : déjà en 1916, tous les codes élémentaires du cinéma se retrouvent dans son film : travellings horizontaux et verticaux, zooms, fondus-enchaînés, très gros plan des visages, angles de prises de vue variés, montage alterné, montage parallèle, travail sur la durée des plans, importance accordée au montage, tout concourt à faire de ce film, extrêmement en avance sur son temps, un chef-d’œuvre éternel. Et ce n’est que justice car il faudra attendre des années avant de revoir autant de qualité réunies. Remarquons aussi les qualités de jeux des acteurs, qui pour une fois dans un film muet son très loin d’un jeu théâtral mais s’approchent déjà beaucoup plus d’un jeu moderne.

Chef-d’œuvre de la première seconde au mot fin, d’un réalisme saisissant et aux qualités techniques irréprochables, Intolérance sera le film qui conditionnera les théories de Eisenstein et de Poudovkine, influencera le cinéma américain et même mondial et rendra à Griffith une aura de génie incontesté ; même 90 ans plus tard, le film paraît plus modernes que certains films actuels c’est dire !

Note : *****

samedi 10 septembre 2005

Aliens


Voilà le retour de la vilaine bébête de l’espace dans Aliens et ça risque de faire mal !

Ce qu’on a surtout peur au début, c’est de savoir que c’est une suite du chef-d’œuvre éternel de Ridley Scott qu’on nous propose. Il faut dire que Alien premier du nom était un véritable bijou cinématographique, un renouvellement des codes du film d’horreur réalisé à la perfection. Surtout qu’on a droit à James Cameron, qui a quand même bluffé son monde avec Terminator deux ans auparavant mais bon. Heureusement, le doute est très vite dissipé !

Tout d’abord, on ne peut que tomber amoureux des effets spéciaux : comme toujours chez Cameron, ils sont d’une finesse et d’une perfection rare, toujours surprenant même 20 ans après ; pas de doutes, ce gars sait choisir ses collaborateurs.

Deuxièmement, Cameron tout en imposant sa patte ne s’éloigne absolument pas du chef-d’œuvre original : la trame de base est continue par rapport à l’épisode précédent et le design de l’Alien est respecté au millimètre, quant à la Mère-Alien elle fut construite par Cameron lui-même tout en respectant des traits de la créature originelle.

Le plus agréable, c’est que Cameron impose sa patte comme je disais : Aliens est en effet plus sombre, plus violent, plus drôle, plus psychologique qu’Alien.

Admirateur de Dante et de Freud, Cameron crée en effet un personnage de Ripley plus subtil que dans le premier, plus humain : elle a des sentiments et n’hésite pas à les exprimer, notamment à travers ses peurs, ses cauchemars, ses doutes, son instinct maternel. De ce point de vue, Sigourney Weaver trouve un personnage mieux dessiné qu’avant et n’y trouve que profit dans son jeu.

Cameron dresse aussi au passage le portrait au vitriol d’un gouvernement cupide, sans foi ni loi qu’on pourrait encore trouver de nos jours…

Point de vue angoisse, il est vrai que la claustrophobie d’Alien ayant disparue, on pourrait s’attendre à quelque chose de plus mou ; eh bien non ! Le film garde son atmosphère tendue non seulement par des passages furtifs de non pas LA créature mais bien LES créatures ; même en se débarrassant d’une centaine d’entre elles, elles reviendront, et si les personnages ne sont plus enfermés dans un vaisseau, ils sont cependant bloqué sur une planète déserte, ce qui n’est pas mieux.

Regorgeant de scènes d’action brutes, violences et sombres, Aliens acquiert plus encore de réalisme (dans le domaine de la science-fiction bien sûr) que son prédécesseur.

On regrettera juste une suite de retournements finaux dont on finit par se douter, ce qui n’enlève pourtant rien à l’extrême qualité du film. On pourra cependant remarquer, du moins est-ce mon avis, des hommages ci et là de Cameron à ses cinéastes préférés, notamment Stanley Kubrick (l’enfant de la base sur son tricycle fait penser à Shining et la sublimation des vaisseaux flottants dans l’espace à un air de poésie digne de 2001 : l’odyssée de l’espace…)

Une vraie perle comme on en fait plus donc, qui a réussi à se détacher de son modèle tout en conservant le nécessaire de références ; Aliens serait-il le meilleur de la série ? Allez, c’est dit.

Note : *****

Marche à l'ombre


Premier film en tant que réalisateur de Michel Blanc et film culte que ce Marche à l’ombre.

L’histoire, tout le monde la connaît : François, musicos au chômage et play-boy confirmé se rend à Paris avec son pote Denis, hypocondriaque et fidèle soutien dans la déche. Magouilles et autres mésaventures sont leur lot quotidien pour s’en sortir un peu…

Tout d’abord, la réalisation : honorable sans être remarquable, Blanc montre qu’il sait comment fonctionne une caméra, sait comment on compose un plan et sait surtout qu’il ne faut jamais jouer jusqu’à l’abus des mouvements de caméra ; une mise en scène tordante et une direction d’acteur juste rende donc le film très respectable.

Vient ensuite le scénario, qui ressemble plus à une suite de gags qu’à une histoire linéaire mais qu’importe, on ne peut résister bien longtemps aux situations abracadabrantes dans lesquels se foutent les deux compagnons, entre la manche près du ciné ou les soirées africaines dans un quartier délabré et mal fréquenté, ça se suit sans se ressembler et ça on aime. Il faut dire aussi que les dialogues, signés (et ça se sent) par Blanc lui-même, sont exquis comme jamais ; c’est de la répartie choc, c’est du dialogue absurde, ça devient immédiatement culte (« j’ai du mal à parler, parce que j’ai les dents qui poussent… »).

Bien sûr, le plus haut sommet du film est ce duo improbable de Lanvin-Blanc, le grand costaud beau gosse et le petit maigrichon à la moustache plus touffue que ses restants de cheveux. Ca se complète, ça s’amuse l’un l’autre et donc ça nous amuse nous aussi. Au point de regretter, fait rare, que le film n’aie pas connu de suite. Et comme si ça ne suffisait pas, la magnifique Sophie Duez vient compléter le casting de sa sublime présence (et plastique).

Marche à l’ombre, c’est aussi le film français phare des années 80, pile-poil dans l’esprit de cette décennie pas forcément joyeuse : on a droit à du Téléphone, du Renaud et on aime. On peut également y découvrir une peinture acide d’une société égoïste, où naît le racisme, la libération des mœurs d’une partie ciblée de la population, bref la naissance d’une France actuelle qui n’a pas tellement changée en 20 ans ; qu’importe puisque Blanc dit ce qui ne va pas mais souligne surtout ce qui va, et ça ça nous fait plaisir.

Une comédie délirante donc, où cet ancien génie du Splendid reprenait son rôle de tâche ambulante avec néanmoins plus de finesse et un don évident pour la mise en scène : du cinéma populaire comme on les aime quoi.

Note : ***

mardi 6 septembre 2005

Le Sicilien (The Sicilian)


Un autre échec signé Michael Cimino que ce Sicilien.

Pourtant, l’histoire avait de quoi séduire : dans les années 40, un jeune Sicilien du nom de Salvatore Giuliano décide de rendre ses terres à son peuple, lequel meurt de faim et ne possède rien. Alors bon, apologie d’un héros populaire, on peut espérer quelque chose de bon !

Eh bien non ! Le mal commence par le casting : dans le rôle principal Christophe Lambert. Non non, ne soyez pas trop sévère, c’était encore à l’époque où il était relativement bon mais là, il ne séduit pas totalement ; bien meilleur que dans Highlander pour moi, mais on est encore loin du véritable génie de l’interprétation, de plus il existait d’autres acteurs bien plus typés pour jouer un Sicilien non ? Terence Stamp lui fait figure de décoration, apparaissant tout au plus 10 minutes dans un film de 2h20 ! Seul John Turturro s’en tire sans trop de dégâts.

Vient ensuite le plus tragique : la réalisation ; mais que s’est-il donc passé dans l’esprit de Michael Cimino ! D’un point de vue paysage, c’est vrai qu’on est gâté, les montagnes de la Sicile étant (presque) aussi bien filmées que les dunes de sable de Lawrence d’Arabie, mais bon, on ne peut pas baser tout un film là-dessus ! Et comme si ça ne suffisait pas, Cimino alourdit son récit par des dialogues incessants, des scènes d’action bien maigres et bien rares et surtout une mise en scène proche par moment d’un téléfilm. Quand on a réalisé Voyage au bout de l’enfer, on a plus droit à de telles erreurs ! On sera néanmoins intéressé par le souci politique du film (la montée du communisme) et la description du massacre des « rouges » dans les montagnes, ainsi que quelques moments forts (les tueries sont très réalistes) du film (la mort en crucifixion du faux prêtre) ; hélas, ils sont très très rares.

Le scénario de base revêt aussi quelques bonnes idées, mais également son lot d’inutiles : le film aurait ainsi pu se retrouver limiter à 2 heures voir 1h45 et le film aurait été bien mieux équilibré.

Une déception donc, qui ressemble plus à une œuvre bafouée (c’est quand même tiré d’un roman de Mario Puzzo) et une carte postale de la Sicile qu’à un récit socio-historique et un film de qualité ; même s’il me reste La porte du Paradis à voir, j’ai l’impression que Cimino ne fut qu’un immense chanceux sur Voyage au bout de l’enfer plutôt qu’un cinéaste doué…

Note : **

Le Doulos


Le troisième polar de l’immense Jean-Pierre Melville voilà ce qu’est Le Doulos.

C’est peut-être avec ce film que Melville a véritablement posé les bases de son futur style, lequel allait influencer des dizaines de cinéastes à travers le temps et le monde, de John Woo à Quentin Tarantino…

On retrouve ici en effet tous les ingrédients des grands films de Melville : amitié, mensonge, trahison, jeux des apparences, aspect américain du film, final froid et obligatoire, autant de thèmes et d’ingrédients qui ont fait le succès de Melville.

A l’affiche, que du beau monde : Jean-Paul Belmondo, Serge Reggiani, Michel Piccoli, Jean Desailly… Bref que du lourd ! Et il faut absolument souligner l’excellente qualité de leurs interprétations, dirigées visiblement d’une main de fer par Melville. Belmondo, en particulier, ressort du film en véritable élément fondateur de la qualité » du film tant son interprétation est sublime.

Ce serait pourtant une erreur monumentale de limiter le film à ses acteurs ; la réalisation de Melville est en effet incroyable ! Tout d’abord par ce souci de coller aux polars grande époque des USA ; fenêtres en guillotine, stores en lamelle, imperméables et chapeaux, cigarettes, armes à feu, bistrots, bureaux de police tout a été pensé par Melville pour coller au plus près de l’univers des grands films noirs ; preuve indéniable avec un sublime noir et blanc, magnifié par une photographie exceptionnelle qui souligne à merveille les ombres des acteurs, conférant ci et là une symbolique parfois extraordinaire.

Bien sûr, à la caméra aussi Melville reste impressionnant, maître de son espace et de ce qui s’y passe. Un très bel exemple est cette scène au commissariat où Belmondo se fait interroger par Desailly : la séquence n’est qu’un simple plan filmé en panoramique mais l’effet devient tel que, comme Belmondo, on fini par avoir le vertige de la situation. Effet réussi maître Melville.

Le scénario aussi est grandiose, jeux de faux-semblants qui ne cesse de surprendre ; on pense le film fini après 1 heure, mais surgit alors un retournement surprenant ; cette fois à 1h20 le film est vraiment fini mais non, il reste le dénouement final, auquel on s’attend un peu mais qui fini quand même par surprendre…

Même si tous les aspects du film n’ont pas forcément bien vieillis (les voitures devant les écrans de studio qui défilent, risible), Le Doulos reste quand même plus de 40 ans, après sa création, dans le genre polar français, que dis-je, dans le cinéma français en général, un chef-d’œuvre intemporel et immortel, d’inspiration américaine et shakespearienne qui annonce avec brio les futurs Samouraï, Cercle rouge ou Un flic ; Le Doulos, où le génie à l’état pur.

Note : ****

vendredi 2 septembre 2005

La Corde (The Rope)


Un petit plaisir de génie que cette Corde.

En effet, Hitchcock faisait partie de ces cinéastes qui refusent de se limiter leur art aux bases traditionnels du cinéma ; ainsi voulait-il, à chaque film, révolutionner la technique cinématographique. Il le fera notamment dans Psychose, La mort aux trousses, Vertigo, Les oiseaux mais il le fit également avec cette Corde qui a pour particularité de n’être qu’un seul plan séquence de 1h30 !

Alors bon, en réalité, le film n’est pas composé d’un seul plan-séquence mais bien de 3 : un pour le générique (plan de la rue puis pivot de la caméra vers l’appartement) et deux au sein même de l’intrigue. N’empêche que le défi est relevé, Hitchcock ciblant exclusivement son action dans un seul lieu. L’astuce : vider l’écran des acteurs et filmer un objet qui servira de relais, ou encore se coller contre la veste noire d’un protagoniste pour s’en détacher aussitôt.

Dans les rôles principaux, deux jeunes acteurs dont l’un d’eux jouera dans L’inconnu du Nord-Express ; ce n’est pas par méchanceté mais on ne peut pas vraiment dire qu’ils soient exceptionnels. Non, là où le film se voit relever de niveau, c’est avec l’intervention du charismatique James Stewart en professeur des deux étudiants meurtrier.

Le scénario du film ? Comment deux jeunes étudiants, homosexuels (pour l’époque, une révolution !), vont se débarrasser d’un de leurs camarades et dissimuler son corps dans une malle où sera servi le buffet auquel sont convié les amis et la famille de la victime… Bon, effectivement, le scénario n’est pas des plus subtils, mais ça Hitchcock l’a bien compris et c’est pourquoi il privilégie la technique et l’atmosphère au récit : le maître installe donc une ambiance lourde, de multiples occasions pour le plus fragile des étudiants de flancher, des moments de tensions où même nous spectateurs ne savons pas si le corps va être découvert ou non… Du grand art.

On regrettera juste le manque de crédibilité des acteurs donc, et un scénario qui a tendance à vieillir, mais le challenge que constituait la réalisation, l’ambiance distillée à merveille par le génie du suspens et une association déjà splendide du couple artistique Stewart-Hitchcock font que La corde reste, dans la filmographie du cinéaste anglais, un véritable bijou de cinéphile…

Note : ****

Une décennie sous influence (A decade under influence)


Un documentaire de base sur le cinéma des années 70, voilà ce qu’est Une décennie sous influence.

En grand nostalgique (qui l’eut cru ? lol) d’un cinéma d’autrefois autrement supérieur au cinéma contemporain, je ne pouvais m résigner à ne pas voir ce documentaire.

Première petite ombre au tableau : les réalisateurs. Ted Demme, paix à son âme, n’était pas un cinéaste d’exception malgré quelques idées intéressantes ; Richard LaGravenese, meilleur scénariste que réalisateur, ne mérite non plus des salves d’honneur. Soit, ce n’est qu’un détail.

Voilà donc que le film débute dans une atmosphère très seventies (tiens ?) et promets un petit délire ; que nenni !

Au programme : interviews de cinéastes légendaires, archives d’époque au niveau de la société, extraits de films. Le programme de base en quelque sorte. Mais il faut quand même souligner les cinéastes à l’affiche : William Friedkin, Sidney Lumet, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Milos Forman, Sydney Pollack, Peter Bogdanovich… Qui se voient vite rejoins par Paul Schrader, Julie Christie, Roy Scheider… Bref que du lourd !

Pourtant, le film ne tient pas ses promesses : on s’attend à de l’info inédite ou quelque chose comme ça, et on raconte juste la genèse des films principaux de ses artistes. Dommage.

Pourtant, il serait erroné d’enfermer ce documentaire dans une classe très moyenne ; ainsi toutes les influences de l’époque (et donc qui ont encore des répercussions maintenant) son citées et expliquées : la libération sexuelle, les films chocs des années 60 comme La cible, Le lauréat ou Bonnie and Clyde, le Vietnam, l’influence de la Nouvelle Vague, le système D de Roger Corman qui va révéler plus d’un talent, l’influence de John Cassavetes au niveau de la mise en scène et de la liberté de l’auteur… Rien n’est épargné, et on regrettera juste un léger manque d’exploitation de certains passages, comme une chronologie mélangée.

On apprend aussi les raisons de la mort du cinéma des années 70 : l’arrivée des blockbusters, l’appât du gain de plus en plus grand des producteurs (qui ont lancés la mode des produits dérivés à la sortie de Star Wars)…

Intéressant pour les non-initiés, mais pour les cinéphiles un peu trop léger. On aimera pourtant voir autant de légendes du cinéma parler de leur vision du cinéma à l’époque, de leurs influences diverses et de leurs points de vue sur d’autres films marquants.

Dernier regret : une filmographie très sélective, justifiée à la fin du documentaire par le nombre de grands films et la durée limitée du documentaire ; on regrettera quand même l’absence de film cultes (ceux de Carpenter, The Rocky Horror Picture Show, Les trois jours du Condor…), le peu de temps consacré à des films très importants (Voyage au bout de l’enfer, Délivrance, Orange Mécanique…), l’oubli volontaire de l’explosion du porno (quand on parle de cinéma autant parler de tous ses genres, surtout que celui-ci représente parfaitement la dérive de la société et que c’est dans cette décennie qu’il connu son plus gros succès avec Gorge profonde (à voir le très bon documentaire Inside Deep Throat qui revient sur le film le plus rentable de toute l’histoire du cinéma…) et l’oubli de cinéastes majeurs (Kubrick, Peckinpah, Lynch…).

Agréable donc, mais peu instructif quand on est réellement passionné de cinéma.

Note : **

jeudi 1 septembre 2005

Tirez sur le pianiste


Le deuxième long-métrage de Truffaut, après Les 400 coups, est une adaptation d'un roman policier, très influencé par les films noirs américains, et répond au titre de Tirez sur le pianiste.

Dans un style assez expérimental, Truffaut raconte l'histoire d'un joueur de piano, ex-vedette hantée par la mort de sa femme, et membre d'une famille de gangsters dont le frère aîné va l'entraîner dans les ennuis.

Interprété avec justesse par Charles Aznavour, ce joueur de piano va donc devoir régler quelques soucis, tout en étant tombé amoureux d'une serveuse du café où il joue.

Très influencé par les films noirs des années 50-60, Tirez sur le pianiste est l'un des films les plus étranges de Truffaut, à une époque où il cherchait encore ses marques et venait de lancer avec ses camarades le mouvement Nouvelle Vague. Pourtant le film est réussi, mais hélas un peu trop imperméable au grand public. En effet, l'histoire suit un chronologie constante jusqu'a milieu du récit environ, où là Truffaut nous envois à l'aide d'un long flash-back vers le passé de ce pianiste. Sans effet de transition, ça peut en dérouter plus d'un, même si l'on prend rapidement ses marques.

Surtout prétexte à des dialogues savoureux et une sorte d'hommage au cinéma typiquement américain, Tirez sur le pianiste est loin d'être le plus mauvais film de Truffaut, où même d'être le moins personnel. Pourtant, ce n'est pas son chef-d'oeuvre non plus, mais une oeuvre forcément culte.

Conseillé aux cinéphiles et aux curieux, ceux dont le bon goût les attire vers une filmographie unique, celle de François Truffaut.

Note : ***

Fahrenheit 451


Le seul film entièrement tourné en anglais de François Truffaut. Son seul film de science-fiction aussi, décrivant un monde où l'on brûle les livres car ils sont interdits. Et à quelle température un livre brûle-t-il? à 451 degrés Fahrenheit voyons, d'où le titre original Fahrenheit 451.

Comme tout le monde le sait, Truffaut avait deux passions inconsumables, le cinéma et les livres. Alors évidemment, réaliser Fahrenheit 451 lui tenait à coeur.

Retrouvant Oscar Werner qu'il avait dirigé dans Jules et Jim, Truffaut rend hommage, à travers ce film, à tous ces écrivains et leurs ouvrages que Truffaut aimait tant. Il décide aussi d'adapter la SF à sa manière, assez proche du 1984 de Georges Orwell.

Très inventif, le film fut l'un des plus difficile pour Truffaut (c'est d'ailleurs ce tournage qui inspirera en partie l'idée de La nuit américaine) mais également l'un de ses plus enrichissant.

Les acteurs sont très biens, et Truffaut en profite également pour déposer ses petites critiques envers un monde totalitaire où les livres empecheraient d'être heureux.

Sans totalement se détacher du genre, Fahrenheit 451 s'éloigne de la science-fiction classique et offre quelques moments marquants, à l'instar de cette vieille femme se faisant brûlée avec ses livres.

Le moins Truffaut des films de Truffaut, Fahrenheit 451 reste cependant agréable à voir, répondant implicitement à la question "les livres sont-ils plus important que la vie?", agréable également tant il est plutôt original et montre que Truffaut regorgeait de talent. Comme si on pouvait en douter...

Note : ***

Edward aux mains d'argent (Edward Scissorhands)


Ou quand Tim Burton revisite à sa manière l'histoire de Frankenstein, ça donne le très beau Edward aux mains d'argent.

L'histoire donc, de cet être créé de toute pièce par un Geppetho en manque de Pinocchio, sauf que cette fois l'artisan décède avant d'avoir fini son oeuvre. Le maheureux se retrouve donc avec des ciseaux à la place des mains. Pratique pour les bricolages à l'école primaire mais beaucoup moins pour nager le cent mètres papillon. Et voilà qu'un jour il se voit recueuilli par une gentille famille au sein de laquelle vit une jolie jeune fille.

Certes, il y a un peu de miévrie dans tout ça, tout le monde sachant que la jeune fille si repoussée soit elle au début finira par tomber amoureuse. Mais c'est là la seule faute du film.

En effet, d'un point de vue esthétique par exemple, le film est une merveille. L'univers gothique de Tim Burton cohabite avec l'aspect Barbie des maisons de la ville, et les couleurs chatoyantes du jour et du quartier se mélangent harmonieusement avec le sombre de la nuit et du manoir du scientifique. A la limite du peintre et de l'esthète, Burton soigne son film et lui donne un aspect à la fois magique et enfantin lorsque tout va bien, puis continue dans l'ombre de la nuit lorsque tout dérape.

C'est qu'au début, tout le monde est content de l'avoir le petit Edward pour couper les haies, les cheveux ou les poils des chiens. Mais très vite on le trouve gênant cet adulte à l'âme d'enfant... La morale de cette fable est donc une quête d'égalité et de fraternité, le message étant que l'on ne doit pas faire de différence entre les hommes, quelque soit la tare de l'autre. Un thème déjà élevé très haut par Elephant Man et qui regagne un second souffle avec Edward aux mains d'argent.

Pour servir ce récit au mieux, Burton fait appel, et ce à raison, à Winona Ryder pour le rôle de la jeune fille mais surtout à Johnny Depp, une fois de plus excellent, qui trouve à l'aide de son ami Tim ce rôle à la hauteur de son talent. Si Depp n'est pas toujours au top, il reste quand même bien souvent dans les très hautes sphères de l'interprétation.

Un excellent film donc, sur le fond un peu simpliste (certains reprochent d'ailleurs l'aspect Disney au film) mais d'une telle splendeur visuelle que l'on peut pardonner...

Note : ****

Jules et Jim


Du très très grand Truffaut que ce Jules et Jim.

Peut-être même, du moins à mes yeux, son meilleur avec La nuit américaine.

Il faut dire que ce n'est pas tous les jours qu'on voit ce genre de petit bijou cinématographique ; pour l'époque, c'est réalisé d'une façon incroyable, presque aussi virtuose que les réalisations de maintenant, mais en plus oser parler d'amour d'une telle manière (en définitive un ménageà 3) je trouve cela téméraire!

Mais au-delà de cette histoire d'amour trouble, il faut voir une véritable ode à la vie et à l'art, à l'amour et à l'amitié, à la mort et au chagrin... C'est presque un film philosophique en fin de compte, et surtout un mélange permanent des genres, entre la comédie et le drame, le film romantique teinté de guerre...

Les acteurs sont splendides mais c'est surtout la belle Jeanne Moreau qui crève l'écran, incarnant cette femme fatale étrange et troublante, ambigue et fascinante...

On sent l'amour que portait Truffaut pour le roman d'origine durant tout le film, une passion qui l'avait tellement animé durant le tournage qui fut gravement affaibli par après...

Film très verbal, Truffaut jouant avec les mots comme avec les sentiments, avec cette petite mélancolie arrosée de chant nostalgique (pour connaître les paroles voir le commentaire de Stef lol), Jules et Jim reste à ce jour le film romantique (enfin, si on peut le juger comme tel) le plus fascinant et réussi que j'ai pu voir, loin de tout effet qui nous font épuiser nos mouchoirs en papier et dont le final reste métaphorique et inédit pour l'époque, aussi déchirant que celui de Roméo et Juliette mais moins romantique cependant.

Une réussite grandiose donc, un film phare dans l'histoire du cinéma français (vaste succès populaire et critique) et surtout un très bon moment de cinéma...

Note : ****